Un tribunal du CIRDI détermine que la Hongrie a violé ses obligations au titre du TBI et accorde des dommages-intérêts à Sodexo Pass International

Sodexo Pass International SAS c. Hongrie, Sentence, Affaire CIRDI n° No. ARB/14/20

Résumé

En 2014, Sodexo Pass International a déposé une plainte auprès du CIRDI contre la Hongrie, alléguant des violations des obligations de cette dernière en vertu du TBI France-Hongrie (1986) concernant l’expropriation.

Le tribunal a conclu que les réformes fiscales entreprises par la Hongrie entre 2010 et 2013, qui ont EU un impact sur le système de chèques déjeuners proposé par Sodexo, ont effectivement constitué une expropriation de l’investissement de Sodexo, violant ainsi les droits de la société en vertu du TBI. Le tribunal a accordé à Sodexo environ 78 362 495 euros de dommages-intérêts. Ce faisant, le tribunal a souligné un message clair : les États doivent faire preuve de prudence lorsqu’ils adoptent une nouvelle législation susceptible de violer leurs obligations internationales.

Le contexte

Sodexo Pass International SAS, une multinationale française spécialisée dans les services de restauration d’entreprise et les chèques-repas, s’est lancée sur le marché hongrois en 1993. Le gouvernement hongrois, reconnaissant les avantages potentiels de ces titres, a mis en place un régime fiscal neutre, créant ainsi un environnement favorable pour les activités de Sodexo. Cependant, à partir de 2010, dans un changement spontané de politique, la Hongrie a promulgué une législation accordant un traitement préférentiel dans l’industrie à une entreprise publique nouvellement créée, Magyar Posta. Cette décision soudaine a eu pour effet d’exclure les opérateurs privés comme Sodexo du marché lucratif dans lequel ils avaient investi. Alléguant que les actions de la Hongrie avaient violé ses droits en vertu du TBI France-Hongrie, Sodexo a lancé une procédure d’arbitrage auprès du CIRDI à l’encontre de la Hongrie en 2014.

Le différend

La nouvelle législation introduite par la Hongrie a créé des exigences opérationnelles et réglementaires strictes qui, selon Sodexo, ont non seulement désavantagé les prestataires de services étrangers au profit des entreprises nationales, mais les ont également soumis à une discrimination active.

Le gouvernement hongrois a décidé d’adopter une telle législation pour plusieurs raisons. Plus précisément, la Hongrie a fait valoir qu’elle essayait de promouvoir la croissance des entreprises publiques et qu’elle tentait de sauvegarder son industrie nationale. Dans l’ensemble, le gouvernement hongrois a fait valoir qu’il essayait de protéger et de sauvegarder un certain marché intérieur en accordant l’attention nécessaire au bien-être des consommateurs hongrois. La Hongrie a soutenu que le secteur des titres d’entreprise prépayés était un secteur stratégique et qu’elle visait à accorder à Magyar Posta un avantage concurrentiel sur ce marché afin d’atteindre plusieurs objectifs de politique publique.

La législation nouvellement promulguée a eu un impact significatif sur Sodexo, qui opérait en Hongrie depuis plus de 20 ans et détenait une forte part de marché dans le secteur des titres prépayés. La législation a indirectement exclu Sodexo du marché, ce qui lui a fait perdre un nombre important d’affaires et l’a finalement conduite à quitter la Hongrie. La Hongrie a reconnu que le recours de Sodexo pouvait s’apparenter à une expropriation, mais elle a fait valoir que ses mesures réglementaires étaient justifiées par des motifs légitimes de politique publique liés au bien-être des consommateurs hongrois.

Les recours

Sodexo a déposé un recours devant le CIRDI contre la Hongrie, alléguant que celle-ci avait créé un cadre réglementaire discriminatoire qui favorisait Magyar Posta et qu’elle avait violé le TBI France-Hongrie en enfreignant les normes relatives au TJE et en expropriant l’investissement de Sodexo sans indemnisation. Les arguments de Sodexo étaient fondés sur une violation de l’article 5(2) du TBI France-Hongrie. Cette disposition stipule que les États « ne prennent pas de mesures d’exportation ou de nationalisation ou toutes autres mesures dont l’effet est de déposséder, directement ou indirectement, les investisseurs de l’autre Partie des investissements leur appartenant sur son territoire et dans ses zones maritimes, si ce n’est pour cause d’utilité publique et à condition que ces mesures ne soient pas discriminatoires, ni contraires à un engagement particulier ».

Le recours de Sodexo à l’encontre de la Hongrie pour violation du principe du TJE reposait sur le fait que les modifications apportées par l’État à la législation étaient arbitraires, manquaient de transparence et modifiaient de manière significative l’environnement commercial dans lequel la société avait investi. La Hongrie a défendu sa position en faisant valoir que l’octroi d’un traitement préférentiel à Magyar Posta était justifié par des objectifs légitimes de politique publique, tels que la promotion de la concurrence et la protection des intérêts des consommateurs hongrois. Par ailleurs, la Hongrie a affirmé que ses actions ne constituaient pas une discrimination injuste car les nouvelles mesures fiscales étaient fondées sur une logique objective. La Hongrie a souligné le fait que les nouvelles mesures réglementaires ont été adoptées dans le but de créer de meilleures conditions économiques pour les consommateurs hongrois et que la raison sous-jacente de cette politique était la création de meilleures conditions et d’un accès plus facile pour les clients hongrois.

De plus, Sodexo a affirmé que l’octroi par la Hongrie d’un traitement préférentiel à Magyar Posta constituait une expropriation indirecte de son investissement, car l’expropriation n’a pas été faite dans l’intérêt public et la mesure était discriminatoire. Il y a expropriation indirecte lorsque les actions d’un État, bien que n’équivalant pas à une expropriation formelle d’un investissement, ont un effet substantiel sur la valeur de l’investissement et privent effectivement l’investisseur de sa capacité à contrôler l’investissement ou à en tirer profit. Sodexo a fait valoir que la nouvelle législation fiscale créait une « privation substantielle » de son investissement, constituant ainsi une expropriation indirecte. Sodexo a affirmé que les mesures fiscales hongroises ont entraîné l’expropriation de ses actions dans une société appelée SPH (Sodexo Pass Hungary, la filiale de Sodexo en Hongrie), soutenant que les nouvelles mesures avaient détruit la rentabilité de SPH et, par conséquent, dévalué ses actions, s’apparentant ainsi à une saisie. Sodexo a fait valoir que divers éléments tels que le fonds de commerce, le savoir-faire, le portefeuille de clients, l’accès au marché et la part de marché faisaient partie intégrante de son investissement et avaient fait l’objet d’une expropriation. Bien que SPH soit toujours opérationnelle, Sodexo a insisté sur le fait que le contrôle des actions n’est pas pertinent pour déterminer s’il y a dépossession et que la durée de cette dépossession n’a pas besoin d’être permanente.

La Hongrie a reconnu la possibilité d’une expropriation dans le cas présent mais a contesté le recours, soulignant que Sodexo détenait toujours le titre, la propriété et le contrôle des actions. La Hongrie a fait valoir que les griefs de Sodexo découlaient d’une diminution de la valeur des actions plutôt que d’une véritable expropriation de droits. En outre, la Hongrie a soutenu que pour qu’un recours en expropriation soit valable, Sodexo devait démontrer que la privation était persistante et irréversible. La Hongrie a également soutenu que les nouvelles mesures fiscales ne constituaient pas une expropriation indirecte puisqu’elles ne privaient pas Sodexo de son investissement. La Hongrie a souligné que Sodexo pouvait continuer d’opérer sur le marché des titres d’entreprise prépayés par d’autres canaux, tels que la vente directe de ses titres aux consommateurs plutôt que l’utilisation du système déjà existant.

L’analyse du tribunal

Le tribunal a donné raison à Sodexo, estimant que la nouvelle législation « privait effectivement Sodexo Pass de son droit d’opérer sur le marché et de concourir sur un pied d’égalité ». Le tribunal a estimé que la Hongrie avait créé un avantage artificiel pour Magyar Posta et avait exposé Sodexo à un traitement inéquitable. L’analyse du tribunal, dans cette affaire, a nécessité un délicat exercice d’équilibre : mettre en balance le droit de la Hongrie de réglementer pour des objectifs de politique publique, tels que l’amélioration du respect des règles fiscales, et la nécessité de protéger les investissements étrangers d’une ingérence indue. Dans son raisonnement, le tribunal a pris en compte plusieurs aspects essentiels : la norme du TJE, l’objet de l’expropriation, la survenue de l’expropriation, la distinction entre expropriation et intervention réglementaire de bonne foi, et la légalité de l’expropriation.

Le tribunal a noté que la décision de la Hongrie d’accorder un traitement préférentiel à Magyar Posta était fondée sur des considérations politiques plutôt qu’économiques et que l’hypothèse selon laquelle Magyar Posta pouvait fournir de meilleurs services que Sodexo aux clients hongrois n’était pas étayée par des preuves. En outre, le tribunal a noté que Sodexo s’était forgée une solide réputation et une base de clientèle en Hongrie et que le traitement inéquitable auquel elle avait été exposée l’avait empêchée de tirer parti de ses actifs et connexions existants.

La majorité du tribunal a conclu que les droits de propriété de Sodexo dans SPH étaient protégés et constituaient effectivement l’objet de l’expropriation, comme le prévoit l’article 5(2) du TBI France-Hongrie. Le tribunal a affirmé qu’il y a expropriation indirecte lorsque la valeur du bien, en l’occurrence des actions, est considérablement diminuée au point de détruire effectivement l’investissement, même si le bien lui-même n’est pas physiquement saisi. Si les actes de la Hongrie visaient directement les actions, il aurait s’agit d’un cas d’expropriation directe. Toutefois, les modifications apportées par la Hongrie à sa législation fiscale ont été considérées comme une série d’actions conduisant à une expropriation indirecte. Ces modifications fiscales ont considérablement privé Sodexo des principaux avantages de son investissement, le rendant sans valeur puisque cette valeur a été transférée à l’État. Le tribunal a estimé que ces mesures fiscales n’avaient pas été adoptées dans un but d’utilité publique et qu’elles étaient disproportionnées par rapport à leurs objectifs déclarés, ce qui tend à prouver qu’il s’agit d’une expropriation plutôt que de mesures réglementaires de bonne foi. Le tribunal a établi que l’intention principale de la Hongrie par le biais de la nouvelle législation était plus liée au souci d’empêcher les émetteurs étrangers de titres d’entrer sur le marché local qu’à la poursuite d’une réforme charitable axée sur le consommateur.

Même si le tribunal a reconnu que la Hongrie avait une intention prima facie liée au bien-être des consommateurs hongrois, la Hongrie n’a pas été en mesure de produire des preuves ou des documents à l’appui des avantages économiques tangibles d’une telle réforme réglementaire pour satisfaire le tribunal. Par ailleurs, de nombreux hommes politiques hongrois ont déclaré que les mesures réglementaires avaient été prises pour empêcher les entreprises étrangères de tirer profit du marché local et pour permettre au gouvernement d’exercer un plus grand contrôle économique sur divers secteurs d’activité.

S’agissant de l’indemnisation, aucune des parties n’a fait valoir qu’une indemnisation avait été versée pour l’expropriation. Considérant qu’aucune indemnisation n’a été versée et que la mesure ne comportait pas de véritable élément d’utilité publique, le tribunal a estimé qu’une expropriation indirecte avait eu lieu en l’absence d’une base juridique vérifiable ou solide, contrairement aux prescriptions énoncées à l’article 5(2) du TBI France-Hongrie. Le tribunal s’est appuyé sur le principe de la réparation intégrale, optant pour l’indemnisation comme mesure appropriée. Les critères d’indemnisation du TBI, qui incluent un « paiement rapide, adéquat et effectif » et font référence à la « valeur réelle », ont été interprétés comme signifiant la juste valeur marchande. Compte tenu de la rentabilité de Sodexo, le tribunal a accepté la méthode de l’actualisation des flux de trésorerie pour déterminer la juste valeur marchande de l’investissement. En conséquence, Sodexo s’est vu attribuer le montant réclamé de 78 362 495 euros en plus des intérêts antérieurs et postérieurs à la sentence.

Dans son opinion dissidente, J. Christopher Thomas a souscrit à la conclusion de la majorité concernant la responsabilité et les dommages, mais n’était pas d’accord quant à la qualification, estimant que la dépossession était temporaire et ne constituait pas une expropriation. L’arbitre a fait valoir que la Hongrie avait le droit de modifier son régime fiscal et que Sodexo n’avait aucune attente légitime à cet égard. Toutefois, la majorité a soutenu que les actions de la Hongrie ont effectivement transféré la part de marché de Sodexo à l’État d’une manière discriminatoire et disproportionnée, rendant l’investissement de Sodexo sans valeur.

Conclusion

L’affaire Sodexo Pass c. Hongrie illustre l’interaction complexe entre l’autorité réglementaire d’un État et ses obligations envers les investissements étrangers en vertu des traités d’investissement. L’examen par le tribunal des réformes fiscales de la Hongrie souligne l’examen approfondi du seuil requis pour établir l’expropriation réglementaire. Malgré les difficultés inhérentes à la démonstration d’une telle expropriation, le tribunal a statué en faveur de Sodexo, affirmant que les actions de la Hongrie constituaient une expropriation indirecte. Sodexo a démontré que son investissement avait souffert du cadre réglementaire hongrois, ce qui a été déterminant dans la décision du tribunal. En revanche, la défense de la Hongrie a échoué en raison d’un manque de preuves cohérentes, laissant sa réfutation du recours en expropriation de Sodexo sans fondement.

Pour les investisseurs étrangers, cette décision peut être considérée comme une victoire, puisqu’un tribunal offre une protection contre les interventions réglementaires imprévisibles et préjudiciables des États hôtes. Néanmoins, cette affaire soulève également des questions pertinentes concernant l’impact du droit international sur les affaires nationales. Tout en reconnaissant l’importance du respect des obligations internationales, l’examen par le tribunal des arguments de la Hongrie et les conclusions qui en découlent ont sans aucun doute des répercussions sur l’autonomie réglementaire des États. Ainsi, l’affaire Sodexo Pass c. Hongrie souligne également l’interaction complexe entre le droit international de l’investissement et les politiques réglementaires nationales.

Remarques

Le tribunal arbitral était composé de William W. Park (Président, des États-Unis et de Suisse), d’Andrea Carlevaris (nommé par le demandeur, d’Italie), et de J. Christopher Thomas (nommé par le défendeur, du Canada). 

La décision finale est disponible sur https://jusmundi.com/en/document/decision/en-sodexo-pass-international-sas-v-hungary-award-monday-28th-january-2019#decision_5179

L’opinion dissidente de l’arbitre J. Christopher Thomas est disponible sur https://jusmundi.com/en/document/opinion/en-sodexo-pass-international-sas-v-hungary-separate-and-dissenting-opinion-of-j-christopher-thomas-monday-28th-january-2019#opinion_2865.  

LE TBI France – Hongrie est disponible sur https://jusmundi.com/fr/document/treaty/fr-accord-entre-le-gouvernement-de-la-republique-francaise-et-le-gouvernement-de-la-republique-populaire-hongroise-sur-lencouragement-et-la-protection-reciproques-des-investissements-france-hongrie-TBI-1986-thursday-6th-november-1986

 

Auteur

Mihai Coca-Constantinescu est un juriste qualifié, titulaire d’une licence en droit international et européen de l’Université de Groningue et candidat à un master en droit commercial international et de l’investissement à l’Université d’Amsterdam. Il travaille actuellement dans le secteur privé.

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