Un tribunal ALENA de l’affaire Westmoreland c. Canada infirme sa compétence, considérant que le demandeur ne détenait ou ne contrôlait pas l’investissement au moment de la violation alléguée
Westmoreland Coal Company c. Gouvernement du Canada, Affaire CIRDI n° UNCT/20/3
Le contexte et les recours
Le différend portait sur un investissement réalisé par Westmoreland Coal Company (WCC), une entreprise enregistrée aux États-Unis, dans deux entreprises canadiennes en avril 2014. Ces entreprises détenaient trois mines à charbon développées à proximité et en conjonction avec une centrale électrique dans la province de l’Alberta, au Canada. En décembre 2014, certains titulaires de privilèges de premier rang avaient fourni à WCC 700 millions USD pour le financement de sa dette.
En novembre 2015, l’Alberta annonça son Climate Leadership Plan (plan de leadership climatique, en anglais seulement), incluant des dispositions pour l’élimination progressive des émissions de gaz à effet de serre émanant de la génération d’électricité à partir de charbon d’ici à 2030. À cette époque, l’on estimait que six centrales à charbon continueraient d’opérer au-delà de 2030, et seraient tenues de réaliser une transition vers d’autres sources de combustibles ou technologies. En novembre 2016, l’Alberta annonça avoir conclu des accords visant à réaliser des paiements de transition aux entreprises opérant ces centrales. Cela n’incluait pas la WCC. D’après le Canada, les paiements de transition n’étaient accordés qu’aux centrales à charbon, et non aux mines de charbon, puisque le plan de réduction des émissions de l’Alberta ne concernait pas les mines à charbon. En novembre 2018, WCC déposa une notification d’arbitrage contre le Canada au titre du chapitre 11 de l’ALENA, contestant le plan climatique de l’Alberta et les paiements de transition.
En octobre 2018, l’entreprise WCC s’est toutefois déclarée en faillite aux États-Unis. Les titulaires de privilèges de premier rang s’accordèrent pour acquérir certains actifs, y compris l’investissement dans les entreprises canadiennes susmentionnées et leur recours au titre de l’ALENA, grâce à un véhicule d’acquisition. En janvier 2019, ces actifs furent ensuite transférés à Westmoreland Mining Holdings LLC (Westmoreland, c.-à-d. le demandeur), enregistrée au titre des lois du Delaware. En juillet 2019, WCC retira son recours contre le Canada au titre de l’ALENA, et en août 2019, Westmoreland déposa une notification d’arbitrage et une demande en justice contre le Canada en son nom propre, fondées sur l’article 1116 de l’ALENA, et au nom des entreprises canadiennes au titre de l’article 1117. Au moment de l’audience sur la compétence, WCC était en phase de dissolution, mais continuait d’exister.
Sur la base de son interprétation des prescriptions ratione temporis du traité, le tribunal rejette le statut du demandeur, y compris en tant que cessionnaire ou successeur
Le Canada souleva les trois objections suivantes à la compétence : (i) le demandeur n’était pas un investisseur protégé au moment des violations alléguées tel que l’exigent les articles 1116(1) et 1117(1) de l’ALENA ; (ii) le demandeur n’avait pas demandé prima facie de dommages-intérêts au titre des articles 1116(1) et 1117(1) ; et (iii) les mesures contestées ne « concernaient » pas le demandeur ou son investissement au titre de l’article 1101(1) de l’ALENA. Remarquant que chacune des objections du Canada impliquait l’analyse de points similaires, le tribunal décida de les examiner conjointement sous le titre général des « objections temporelles » du Canada (para. 103).
Selon le tribunal, une question fondamentale soulevée par les objections temporelles du Canada consistait à déterminer si Westmoreland aurait dû détenir ou contrôler l’investissement au moment de la violation alléguée du traité pour être en mesure de déposer un recours au titre du chapitre 11 de l’ALENA. Selon le tribunal, aucune des affaires citées par les parties n’abordait directement la question. Le tribunal tira toutefois les principes suivants de ces affaires : « (i) une transaction trompeuse portera un coup fatal à la compétence : (ii) le simple fait qu’une transaction soit de bonne foi ne constitue pas en soi une garantie de compétence ; et (iii) un investisseur au titre de l’ALENA doit bénéficier de la propriété effective en tout temps » (para. 195).
S’agissant de l’article 1116 (intitulé « Plainte déposée par un investisseur d’une Partie en son nom propre »), le tribunal conclut que le titre de l’article suggérait qu’un recours devait être déposé par une entité affectée par la violation alléguée du traité. Il s’appuya également sur le texte de l’article 1116(1) : « [u]n investisseur d’une Partie peut soumettre à l’arbitrage, en vertu de la présente section, une plainte selon laquelle une autre Partie a manqué à une obligation […] et que l’investisseur a subi des pertes ou des dommages en raison ou par suite de ce manquement ». Pour le tribunal, l’emploi de l’article défini « l’ » dans le libellé « fait clairement comprendre au lecteur que l’investisseur qui dépose plainte doit être « l’ » investisseur qui a subi des pertes » (para. 200). Aussi, le tribunal conclut que pour avoir compétence au titre de l’article 1116(1), l’investisseur doit déposer la plainte en son nom propre et ce même investisseur doit avoir subi les pertes ou les dommages. Le tribunal nota en outre que l’article 1117(1) « contient les mêmes prescriptions » (para. 200). Le tribunal considéra que sa structure était conforme à l’objet et au but de l’ALENA, observant qu’« un investisseur doit avoir pris un risque en réalisant un investissement pour obtenir la garantie de la protection du traité » (para. 201).
Le tribunal analysa ensuite si Westmoreland pouvait déposer une plainte au titre de l’ALENA en tant que cessionnaire de WCC. Rappelant son interprétation des articles 1116(1) et 1117(1), le tribunal conclut que « seule la partie qui détenait l’investissement au moment de la violation alléguée du traité dispose de la compétence temporelle pour déposer une plainte » (para. 209). Le tribunal souligna également que chacun des États parties à l’ALENA avait indiqué qu’il s’agissait là de l’interprétation correcte du traité. À cet égard, le tribunal fit référence aux arguments du Canada dans l’affaire, à la communication du Mexique en tant que partie non contestante dans l’affaire, et aux communications des États-Unis en tant que défendeur dans l’affaire Methanex Corporation c. les États-Unis d’Amérique. Le tribunal accorda une importance particulière à la communication du Mexique, observant que le pays n’avait aucun intérêt spécifique dans la conclusion de cette affaire.
Finalement, le tribunal rejeta l’argument de Westmoreland selon lequel elle pouvait déposer cette plainte en tant que successeur légal de WCC. Si le tribunal indiqua qu’un changement dans l’identité de l’entreprise intervenant après une violation au titre du traité ne constituait pas en soi un obstacle à l’accès à la protection du traité, il tint compte des faits suivants dans le contexte du droit national étasunien pour arriver à sa décision :
- L’on ne pouvait considérer que les intérêts de WCC et de Westmoreland étaient les mêmes puisque les actifs de la première avaient été transférés à la deuxième sans lien de dépendance, tel qu’en avait conclu le tribunal des faillites des États-Unis ;
- Westmoreland n’était pas issue de WCC, et il ne s’agissait pas non plus d’une réorganisation interne ou d’un changement de forme. Westmoreland elle-même qualifiait d’« intermédiaire » l’étape lui ayant permis d’être insérée dans la chaîne de propriété des actifs en question, sans durée significative. Ce n’est qu’à des fins fiscales aux États-Unis que Westmoreland a été autorisée à déterminer unilatéralement l’existence d’une continuité d’intérêt ; et
- Westmoreland n’avait assumé aucune des responsabilités liées à la succession de WCC, ou acquis la totalité de ses actifs.
Par ailleurs, Westmoreland avait admis qu’un acquéreur tiers sans aucun intérêt dans la structure précédente de WCC n’aurait pas EU compétence pour déposer cette plainte au titre de l’ALENA. Pour le tribunal, il n’existait pas de différence majeure entre un tel scénario et la présente situation puisque les actionnaires de Westmoreland n’étaient que des titulaires de privilèges de premier rang de WCC, et pas ses actionnaires. Sur la base de ces éléments, le tribunal conclut que le demandeur n’était pas le successeur légal de WCC, mais bien une entreprise distincte.
La décision et les coûts
Le tribunal conclut qu’il n’avait pas compétence sur le recours de Westmoreland. Afin d’être complet dans son analyse, le tribunal aborda brièvement les arguments restant de Westmoreland et conclu que (i) Westmoreland n’avait pas demandé prima facie de dommages-intérêts au titre des articles 1116(1) et 1117(1) de l’ALENA ; et (ii) les mesures contestées ne « concernaient » pas Westmoreland ou son investissement au titre de l’article 1101(1) de l’ALENA.
S’agissant des coûts, le tribunal considéra qu’en vertu des articles 40 du règlement d’arbitrage de la CNUDCI et 1135(1) de l’ALENA, il avait toute discrétion pour allouer les coûts, et pas nécessairement à la partie qui succombe. Si le Canada arguait que l’affaire de Westmoreland avait évolué depuis que le Canada a présenté pour la première fois ses objections à la compétence, le tribunal remarqua que cela « n’était pas rare dans les procédures où les parties développent et peaufinent leurs arguments » (para. 248). Le tribunal ne trouva aucune preuve de mauvaise foi dans la conduite du demandeur, et se dit au contraire convaincu que Westmoreland s’était conduite comme si elle avait été la successeur légitime de WCC s’agissant de cette plainte. Pour ces raisons, le tribunal ordonna à chacune des parties de payer ses propres frais juridiques et de partager équitablement les coûts de l’arbitrage.
L’auteur du résumé de cette affaire souhaite rester anonyme.
Remarques : le tribunal était composé de Juliet Blanch (présidente, nommée par le Secrétaire-général avec l’accord des parties, du Royaume-Uni), de James Hosking (nommé par le demandeur, des États-Unis et de Nouvelle-Zélande), et de Zachary Douglas (nommé par le défendeur, d’Australie). Le jugement est disponible sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw16469.pdf.