La majorité du tribunal de l’affaire Eco Oro c. Colombie conclut en faveur d’une violation de la norme minimale de traitement, et affirme qu’une exception générale relative à l’environnement n’exclut pas l’obligation de verser une indemnisation

Eco Oro Minerals Corp. c. la République de Colombie, Affaire CIRDI n° ARB/16/41

Le contexte et les recours

Eco Oro Minerals Corp. (Eco Oro) est une entreprise minière canadienne qui a obtenu un permis minier pour les dépôts d’or et d’argent d’Angostura, en Colombie, en 1994. Le 8 février 2007, Eco Oro conclut un contrat de concession avec l’Institut colombien de la géologie et des mines, INGEOMINAS (la concession 3452). En 2009, Eco Oro présenta un plan de travail et d’ouvrage (PTO) pour approbation, ainsi qu’une demande de licence environnementale, soutenue par un étude d’impact environnemental (EIE).

Si Eco Oro envisageait à l’origine d’opérer une mine à ciel ouvert dans la zone, la Loi 1382 de 2010 établit l’interdiction des opérations minières dans les « écosystèmes de páramo », définis comme des « écosystèmes de haute-montagne qui jouent un rôle central dans le maintien de la biodiversité, fondé sur leur capacité unique d’absorber et de restaurer l’eau » (para. 86). L’Atlas publié en 2007 au titre de la Loi générale colombienne sur l’environnement indiquait un chevauchement de 54 % entre le páramo de Santurbán et la zone de la concession 3452. En avril 2010, les autorités colombiennes ordonnèrent à Eco Oro de présenter une nouvelle EIE tenant compte de l’exclusion des écosystèmes de páramo des activités minières (l’ordonnance de 2010). Si Eco Oro demanda initialement aux autorités de revenir sur leur ordonnance, elle retira par la suite sa demande de licence environnementale pour une mine à ciel ouvert et demanda plutôt la liste des conditions pour la préparation d’un projet de mine souterraine. Entre-temps, INGEOMINAS accorda à Eco Oro plusieurs extensions de la phase d’exploration, et désigna le projet de l’entreprise comme étant d’intérêt national.

En juillet 2013, Eco Oro demanda la suspension de ses obligations au titre de la concession, y compris son obligation de présenter un PTO, jusqu’à ce que le páramo soit clairement délimité. Cette suspension fut accordée. En 2014, la Colombie publia les limites du páramo de Santurbán dans la résolution 2090, indiquant un chevauchement de 54,7 % avec la zone de la concession d’Eco Oro. Après avoir publié les limites du páramo dans la résolution 2090, les autorités colombiennes décidèrent de ne pas renouveler encore la suspension des obligations d’Eco Oro. La résolution 2090 prévoyait également des exceptions à l’interdiction générale de mener des activités minières dans ces zones. Celles-ci furent toutefois annulées par une décision de février 2016 de la Cour constitutionnelle colombienne, impactant une grande partie du projet d’Eco Oro. L’entreprise déposa sa demande d’arbitrage le 8 décembre 2016.

Le 10 novembre 2017, la Cour constitutionnelle colombienne annula la résolution 2090, citant l’absence de consultations publiques. Les limites du páramo de Santurbán n’étaient toujours pas clairement définies à la date de la sentence dans cet arbitrage. Toutefois, en avril 2018, les autorités colombiennes confirmèrent leur décision de ne pas renouveler la suspension demandée par Eco Oro s’agissant de ses obligations au titre de la concession. Elles ordonnèrent par ailleurs à l’entreprise de présenter un PTO dans les 30 jours, sous peine d’amende. Le 29 mars 2019, Eco Oro déposa une demande de renonciation à la concession 3452.

Rejet des objections liminaires de la Colombie

La Colombie arguait qu’elle avait le droit de ne pas accorder les bénéfices de l’ALE Canada-Colombie à Eco Oro puisque l’entreprise était détenue et contrôlée par des investisseurs provenant d’un État tiers. Le tribunal remarqua que l’ALE ne contenait aucune définition du terme « détenir ». Il conclut qu’en l’absence d’un libellé en restreignant le sens, le terme faisait référence à une propriété intégrale. Puisque la Colombie n’affirmait pas que les investisseurs d’un pays tiers détenaient intégralement les parts d’Eco Oro, le tribunal rejeta cette objection. S’agissant du critère du contrôle, le tribunal conclut que le terme faisait référence au contrôle réel plutôt que putatif. Puisque la Colombie n’avait présenté aucune preuve indiquant des actions concertées par les actionnaires non canadiens d’Eco Oro, le tribunal rejeta l’argument de la Colombie selon lequel l’entreprise était contrôlée par des investisseurs tiers.

La Colombie affirmait également qu’Eco Oro n’était pas un investisseur protégé puisque le bénéficiaire réel du recours était une entreprise enregistrée dans le Delaware à laquelle Eco Oro avait assigné ses recours. Toutefois, puisque la Colombie « n’[avait] pas identifié les dispositions de l’ALE exigeant d’enquêter sur la propriété bénéficiaire d’Eco Oro », le tribunal refusa d’examiner cet argument (para. 273).

Le tribunal rejeta également l’argument de la Colombie selon lequel Eco Oro n’avait pas présenté « le fondement juridique et factuel de la plainte, notamment les mesures contestées [dans sa notification d’intention] », contrairement aux conditions préalables à l’arbitrage fixées à l’article 821 de l’ALE. Remarquant que l’objection de la Colombie concernait des mesures adoptées après que Eco Oro ait notifié de son intention d’arbitrer, le tribunal considéra qu’il n’était pas réaliste ou pratique d’attendre d’un investisseur qu’il dépose une nouvelle notification d’intention à chaque fois qu’une mesure était adoptée. Selon lui, le tribunal pouvait exercer sa compétence sur une mesure ultérieure connexe s’il existe « un lien suffisant entre ladite mesure et le recours tel que détaillé dans la notification d’intention, démontrant qu’elle relève de l’évolution du même différend » (para. 328 et 329). Le tribunal conclut qu’en l’espèce, cette obligation avait été satisfaite.

La Colombie arguait en outre que l’exception générale de l’article 2201(3) de l’ALE excluait les mesures environnementales de la portée du consentement à l’arbitrage. Le demandeur et le Canada (par le biais d’une soumission de partie non contestante) s’opposèrent tous deux à cet argument. Faisant référence au titre de l’article (« Exceptions générales ») et à son sens ordinaire (« Aux fins du chapitre huit »), le tribunal conclut que l’exception ne pouvait s’appliquer que lorsque les dispositions du chapitre huit était concernées, et qu’elle ne s’appliquait pas à la totalité du chapitre huit.

La majorité rejette le recours fondé sur l’expropriation indirecte, indiquant que les mesures en faveur de la préservation de l’environnement ont été prises de bonne foi

Le tribunal examina d’abord la nature de l’investissement d’Eco Oro et détermina s’il disposait ou non d’un « droit acquis » protégé contre l’expropriation. Le tribunal remarqua qu’au titre de la concession 3452, Eco Oro ne pouvait commencer l’exploitation économique du site sans les approbations nécessaires de son plan de travail et d’un licence environnementale. Après examen des discussions du congrès, des communications émanant des organes étatiques et des décisions judiciaires nationales, le tribunal conclut que « s’il n’existe pas d’autorité pertinente sur laquelle elle peut s’appuyer », le fait qu’Eco Oro avait acquis le droit d’exploiter la zone de la concession « découle de l’entente générale selon laquelle les droits acquis par une partie au titre d’une concession sont invisibles ». Selon le tribunal, le fait qu’un droit acquis d’exploitation « soit difficile à évaluer, ou même sans valeur lorsqu’il n’existe presqu’aucune chance d’obtenir une licence environnementale » n’implique pas qu’aucun droit acquis n’existe (para. 439). Aussi, le tribunal considéra qu’Eco Oro disposait de certains droits acquis qui pouvaient faire l’objet d’une expropriation.

S’agissant de l’annexe 811 de l’ALE relative à l’expropriation, le tribunal remarqua qu’Eco Oro avait perdu plus de 50 % de ses droits miniers suite aux mesures adoptées par la Colombie. Le tribunal reconnu qu’il aurait été difficile pour Eco Oro d’obtenir les approbations nécessaires à l’exploitation une fois devenu évident que l’écosystème de páramo chevauchait une partie significative de la zone de la concession. Il observa toutefois que la Colombie avait accordé 67 licences environnementales dans des zones chevauchant des écosystèmes de páramo depuis que la Loi générale sur l’environnement avait entériné le principe de précaution. Aussi, « le tribunal ne pouvait pas affirmer qu’Eco Oro n’avait aucune chance de réussir » et conclut que la perte du droit d’exploitation de la zone de la concession était « une privation substantielle telle qu’elle équivaut à une expropriation indirecte » (para. 632 et 634). 

Toutefois, une majorité du tribunal conclut que cette privation représentait un exercice légitime des pouvoirs décisionnels de la Colombie puisqu’elle résultait de mesures non discriminatoires conçues et appliquées pour protéger l’environnement. Dans sa conclusion, la majorité fit référence à l’importance environnementale des páramos et à la menace que représentent les activités minières. La majorité indiqua par ailleurs que les mesures de la Colombie affectaient tous les concessionnaires miniers dont la zone sous concession chevauchait le páramo de Santurbán.

La majorité du tribunal examina en outre si l’exercice des pouvoirs décisionnels relevait de ces « rares cas » où la mesure est « si rigoureu[se][…] qu’on ne peut raisonnablement penser qu’[elle] a été adopté[e] de bonne foi » décrits à l’annexe 811(2)(b) de l’ALE. Pour la majorité, cette disposition faisait référence à « un élément ou facteur aggravant très important dans la conduite de l’État, et pas à une simple erreur administrative ou à l’inefficience de l’État » (para. 643). La majorité considéra toutefois qu’en l’espèce, il n’existait pas d’élément aggravant, soulignant l’adoption de bonne foi des mesures. Si la majorité se dit préoccupée par la manière dont le páramo avait été délimité, elle ne considéra pas que cette conduite reflétait une mauvaise foi relevant des « rares cas » de l’annexe 811. À l’inverse, l’arbitre à l’opinion divergente tint compte des attentes de l’investisseur lorsque la concession a été accordée, ainsi que des principes de bonne foi, pour conclure que l’application rétroactive de la délimitation du páramo à Eco Oro relevait de ces « rares cas » décrits à l’annexe 811.  

Finalement, s’agissant du caractère proportionnel des mesures de la Colombie au regard de l’objectif recherché, la majorité remarqua que « le principe de précaution est clairement pertinent à l’heure d’examiner les effets et la proportionnalité des mesures s’agissant de la protection des páramos » (para. 654). Compte tenu de l’étendue et des impacts incertains des activités minières sur les páramos, le tribunal considéra que les actions de la Colombie étaient raisonnables et proportionnelles.

Une majorité du tribunal conclut en faveur d’une violation des dispositions liées à la norme minimale de traitement

Une autre majorité du tribunal conclut en faveur d’une violation de l’article 805 de l’ALE sur la norme minimale de traitement (NMT).

À titre préliminaire, la majorité indiqua que le sens de la NMT « devait pouvoir évoluer, tout comme le droit international coutumier évolue également » (para. 744). Notant la référence à « un environnement commercial prévisible » et aux questions environnementales dans l’ALE du préambule, la majorité détermina que « Eco Oro avait le droit d’attendre de la Colombie qu’elle traite son investissement de manière juste et proportionnelle pour garantir un environnement commercial prévisible.. mais que, ce faisant, elle garantit le renforcement et l’application des lois et réglementations environnementales » (para. 748). La majorité indiqua en outre que pour pouvoir conclure en faveur d’une violation de la NMT, il faudrait « des facteurs aggravant tels que les actes en question représenteraient plus qu’une dérogation mineure de ce qui est considéré comme internationalement acceptable » (para. 755).

En appliquant cette norme, la majorité nota d’abord que la Colombie avait accordé la concession 3452 en ayant pleinement conscience que la zone de la concession chevauchait le páramo de Santurbán et qu’elle avait une obligation de protéger la zone contre toute atteinte environnementale. La majorité nota en outre qu’Eco Oro avait continué de recevoir les encouragements de la Colombie s’agissant de sa concession et que l’entreprise était présentée comme un exemple aux autres entreprises minières étrangères. Finalement, la majorité considéra que malgré plusieurs loi, résolutions et décisions des tribunaux imposant une obligation à la Colombie de délimiter et d’acquérir les zones des páramos, la Colombie ne l’avait pas fait. Pour la majorité, cela indiquait que « l’on ne pouvait affirmer avec certitude que le dépôt d’Angostura chevauchait le páramo de Santurbán » (para. 777). Aussi, la majorité détermina que les actions nationales incohérentes de la Colombie, notamment son manquement à délimiter le páramo de Santurbán, privaient Eco Oro d’un environnement réglementaire stable et prévisible en violation de ses attentes légitimes.

Ensuite, la majorité conclut que la frustration des attentes légitimes d’Eco Oro par la Colombie était injuste et arbitraire. Arrivant à cette conclusion, la majorité fit référence à l’incapacité de la Colombie de délimiter le páramo de Santurbán, en violation flagrante de ses propres obligations légales. La majorité mit aussi l’accent sur « les approches concurrentes au sein des ministères colombiens », c’est-à-dire sur la nécessité de protéger le páramo tout en garantissant l’obtention des bénéfices économiques de son exploitation. Pour le tribunal, cela suggèrait « une absence totale d’accord ou même de coordination », entraînant « une incapacité quasi-totale de résoudre ces demandes concurrentes » (para. 815). Finalement, le tribunal remarqua aussi que si la Colombie avait refusé d’accorder un délai supplémentaire à Eco Oro pour présenter son PTO, elle avait en parallèle étendu le temps imparti pour la délimitation du páramo. La majorité considéra que dans l’ensemble, c’était l’approche colombienne de la délimitation du páramo qui « impactait Eco Oro sans pour autant présenter un quelconque intérêt légitime » (para. 821).

L’interprétation par la Colombie de la disposition relative aux exceptions générales est rejetée

La Colombie arguait que l’article 2201 de l’ALE, contenant une exception générale pour les mesures « nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux » et à « la conservation des ressources naturelles épuisables, qu’elles soient biologiques ou non biologiques », s’appliquait de manière à exclure sa responsabilité de payer une indemnisation. La majorité rejeta l’argument de la Colombie. La majorité considéra que l’article 2201(3) était « permissif », en ce qu’il autorisait la Colombie à adopter ou appliquer des mesures aux fins de la conservation de l’environnement, à condition que ces mesures ne soient pas arbitraires, discriminatoires sans justification, ou ne constituent pas une restriction déguisée à l’investissement international. Toutefois, pour les arbitres, si les parties avaient souhaité que cette disposition exclue l’obligation de verser une indemnisation, elles auraient libellé la disposition en des termes similaires à ceux utilisés dans l’annexe 811 sur les pouvoirs décisionnels. Les arbitres considérèrent que toute interprétation contraire entrerait également en conflit avec les dispositions de l’annexe 811, « qui reconnaît expressément que dans certaines circonstances, une mesure adoptée pour protéger l’environnement peut constituer une expropriation indirecte » (para. 831).

À cet égard, la majorité détermina en outre que les dommages réclamés par Eco Oro n’étaient pas spéculatifs, même si l’entreprise n’avait pas réussi à obtenir la licence environnementale et l’approbation nécessaire de son PTO. Pour la majorité, la Colombie avait accordé certaines licences environnementales pour la conduite d’activités minières dans les zones de páramos depuis l’entrée en vigueur de la Loi générale sur l’environnement. Aussi, la majorité détermina que, nonobstant la référence au principe de précaution dans la loi colombienne, l’on ne pouvait dire qu’Eco Oro n’avait « aucune chance d’obtenir une licence environnementale » (para. 848).

Remarquant qu’elle ne disposait pas de suffisamment d’informations pour déterminer le montant des dommages, la majorité adopta la méthode d’évaluation des « transactions comparables » proposée par le demandeur, et chargera les parties de présenter des soumissions supplémentaires pour déterminer les pertes découlant du droit d’Eco Oro de demander une licence environnementale.

La décision et les coûts

Compte tenu de ce qui précède, le tribunal détermina qu’il avait compétence sur les recours présentés et conclut, à la majorité, en faveur d’une violation de l’article 805 de l’ALE relatif à la NMT. Le tribunal reporta sa décision sur les coûts au moment de rendre sa décision sur les dommages-intérêts.

Remarques : le tribunal était composé de Juliet Blanch (présidente, nommée par le secrétaire général du CIRDI, de nationalité britannique), d’Horacio A. Grigera Naón (nommé par le demandeur, de nationalité argentine), et de Philippe Sands (nommé par le défendeur, de nationalités française, britannique et mauricienne). La décision est disponible sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw16212.pdf

L’auteur de cet article souhaite rester anonyme.

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