Un tribunal CPA conclut que l’Inde a violé le TBI Inde-Royaume-Uni dans une procédure lancée par le groupe Cairn

Cairn Energy PLC et Cairn UK Holdings Limited c. la République de l’Inde, Affaire CPA n° 2016-7

Un tribunal arbitral a rejeté les objections à la compétence de l’Inde et conclu que le pays avait violé la norme TJE du TBI Inde-Royaume-Uni, dans un arbitrage administré par la CPA aux Pays-Bas, selon le règlement d’arbitrage de la CNUDCI. L’affaire a été lancée par Cairn Energy PLC (Cairn Energy) et Cairn UK Holdings Limited (CUHL) (conjointement, Cairn). La sentence a été rendue le 21 décembre 2020.

Le contexte et les recours

Les recours portaient principalement sur une série de transactions réalisées au sein du groupe Cairn en 2006 (les transactions de 2006) dans le but de réorganiser les actifs du groupe en Inde. Dans le cadre de ces transactions, Cairn Energy consolida l’ensemble des actifs indiens du groupe dans neuf filiales britanniques (les 9 filiales), puis enregistra CUHL au Royaume-Uni avant de transférer ses parts dans les 9 filiales à CUHL, devenant ainsi des parts de CUHL. CUHL enregistra ensuite Cairn India Holdings Limited (CIHL) à Jersey, et transféra ses parts dans les 9 filiales à CIHL, devenant ainsi des parts de CIHL. La dernière étape de la réorganisation consistait à transférer l’ensemble des actifs indiens du groupe Cairn à Cairn India Limited (CIL), une filiale indienne, en transférant CIHL de CUHL à CIL en plusieurs étapes (l’acquisition de CIHL).

Selon Cairn, la section 9(1)(i) de la Loi indienne sur l’impôt sur le revenu de 1961 (LIR), contestée dans le différend, n’imposait pas les transferts indirects des immobilisations situées en Inde. Toutefois, un an plus tard, le département indien de l’impôt sur le revenu (DIR) tenta de changer l’interprétation convenue de la section 9(1)(i) en cherchant à imposer une taxe sur les plus-values sur le transfert indirect d’un non-résident dans la transaction Hutchinson-Vodafone. Cette tentative de « réinterprétation » de la section 9(1)(i) avait été rejetée par la Cour suprême en janvier 2012, dans l’affaire Vodafone International Holdings BV c. Union de l’Inde & Anr. (Vodafone). Quelques mois plus tard, le parlement indien promulgua un amendement à la section 9(1)(i) (l’amendement de 2012), qui renversait effectivement l’affaire Vodafone, et amendait la section 9(1)(i), de manière rétroactive selon Cairn, pour couvrir les transferts indirects des non-résidents.

En 2014, le DIR notifia CUHL qu’elle n’avait pas déclaré les gains de capital taxables en Inde et découlant de l’acquisition de CIHL, et émit un ordre de saisie-exécution des actions participatives de CUHL dans CIL, suivi d’une procédure d’examen qui culmina en une ordonnance finale d’examen (OFE) en janvier 2016, et en une mise en demeure de payer la taxe sur les plus-values d’un montant de 1,6 milliards USD, qui, en plus des intérêts et des pénalités, représentait un total d’environ 4,4 milliards USD (à la date des recours lancés par Cairn). Cairn prétendait que depuis, l’Inde avait procédé à la vente forcée d’environ 99 % des parts de CUHL dans CIL, et refusait d’autoriser CIL à distribuer les dividendes à CUHL.

Cairn lança l’arbitrage, arguant qu’une série de mesures imposées par l’Inde aux transactions de 2006 violait les obligations du pays au titre du TBI Inde-Royaume-Uni, et réclamait l’indemnisation intégrale des pertes découlant de ces violations. Cairn arguait en particulier que l’Inde (i) avait manqué à son obligation de créer des « conditions favorables » à son investissement et d’accorder à Cairn et son investissement le TJE, (ii) avait manqué à son obligation d’accorder à l’investissement du groupe le TJE en violation de l’article 3(2) du TBI, (iii) avait exproprié l’investissement de CUHL dans CIL de manière abusive et sans indemnisation juste et équitable, et avait soumis l’investissement de Cairn à des mesures équivalent à une expropriation, et (iv) avait violé le droit de Cairn au titre de l’article 7 du TBI de « transférer sans limites ses investissements et gains » en privant CUHL de la capacité de vendre ses parts restantes dans CIL et de rapatrier les gains, ainsi que les dividendes connexes accumulés.

Le tribunal rejette les objections de l’Inde à la compétence et la recevabilité

L’Inde souleva plusieurs objections à la compétence du tribunal, qui furent toutes rejetées. L’Inde arguait que les actifs indiens de Cairn n’étaient pas un « investissement » au titre du TBI, d’abord, parce que le soi-disant investissement de CUHL n’avait pas été réalisé conformément au droit indien puisque les transactions de 2006 étaient un mécanisme d’évasion fiscale abusif en violation des lois en vigueur à l’époque. L’Inde ne contestait pas le fait que Cairn Energy avait réalisé un investissement en Inde en 1996 en acquérant une entreprise australienne détenant des intérêts dans un contrat de partage de production de 1994 portant sur un site pétrolier et gazier en Inde, puis divers autres actifs, notamment des contrats de partage de production et des accords d’exploitation conjointe. L’Inde n’alléguait pas que ces acquisitions étaient abusives. Le tribunal conclut que cet arbitrage portait sur cet investissement légal, et conclut ainsi que le différend relevait de sa compétence.

Le tribunal rejeta l’argument de l’Inde selon lequel l’investissement devait être évalué en sous-ensembles puisque CUHL n’avait acquis ces actifs que lors des transactions de 2006, et conformément au principe selon lequel, pour déterminer si un différend porte sur un investissement, il faut examiner l’investissement dans son ensemble. Puisque les recours de Cairn portaient sur l’investissement original de Cairn Energy, qui n’a quasiment pas changé de nature depuis, ces recours relevaient de la compétence matérielle du tribunal.

Ensuite, l’Inde affirmait que la définition de l’investissement à l’article 1(b) du TBI n’incluait pas les investissements indirects, et donc que les actifs de Cairn Energy en Inde n’étaient pas protégés par le TBI. L’Inde s’appuya sur l’article 5(3), qui garanti l’indemnisation des actionnaires de l’entreprise expropriée, arguant que cette disposition serait inutile si les investissements indirects étaient de toutes façons protégés par le TBI, et invoqua l’affaire RosInvest c. Russie qui examinait une situation similaire. Toutefois, le tribunal expliqua que le tribunal de l’affaire RosInvest n’avait pas suggéré que la présence d’une telle disposition dans le TBI niait le droit existant des actionnaires de lancer un recours pour leurs pertes indirectes et conclut que le contexte du TBI, à la lumière de ses autres dispositions, ne suggérait pas d’exclure les investissements indirects de son champ d’application.

L’Inde souleva plusieurs autres objections à la compétence, y compris le fait que les recours de Cairn ne relevaient pas de la compétence du tribunal au titre de l’article 9 du TBI puisqu’ils portaient sur les « retours » et non sur les « investissements », que les différends fiscaux ne pouvaient être réglés au moyen de l’arbitrage au titre du TBI compte tenu d’une exception tacite à son champ d’application, et compte tenu du fait que l’Inde et le Royaume-Uni avaient spécifiquement convenu que les différends fiscaux seraient réglés conformément à la procédure établie dans les accords modernes contre la double-imposition. L’Inde affirmait également que les différends fiscaux ne pouvaient faire l’objet d’un arbitrage, que ce soit au titre de la politique publique internationale, du droit indien ou du droit néerlandais. Le tribunal rejeta également ces arguments.

La violation de la norme TJE est avérée ; les autres recours sont rejetés

Cairn arguait que les mesures fiscales indiennes équivalaient à un traitement injuste et inéquitable au titre du TBI. Le tribunal conclut que l’évaluation fiscale était fondée exclusivement sur la section 9(1)(i) de la LIR, telle que modifiée par l’amendement de 2012. S’agissant des effets de l’amendement de 2012, le tribunal affirma que le fait que le parlement ait qualifié l’amendement de « clarification » ne donnait pas d’effets juridiques internationaux à l’amendement. Le tribunal conclut également, après avoir examiné un large éventail de preuves, que l’amendement de 2012 modifiait de manière substantielle la portée ou le fonctionnement de la section 9(1)(i) et n’était donc pas une réelle clarification, comme le prétendait l’Inde. L’amendement de 2012 prétendait modifier le contenu de la section 9(1)(i) depuis la date de la promulgation de la LIR (c.-à-d. le 1er avril 1962). Le simple fait que les autorités fiscales n’étaient, en pratique, pas autorisées à prélever des impôts au-delà d’un délai de prescription de six ans ne changeait pas la période à laquelle l’amendement de 2012 prétendait s’appliquer de manière rétroactive.

L’Inde arguait que les transactions de 2006 auraient été soumises à l’impôt même sans l’amendement de 2012 puisqu’il s’agissait de transactions d’évasion fiscale et étaient donc imposables au titre de la doctrine de l’examen développée par les tribunaux indiens, qui met l’accent sur « le fond, pas sur la forme ». L’Inde arguait également que les transactions de 2006 étaient imposables, indépendamment de l’amendement de 2012, car elles portaient sur le transfert indirect de propriétés immobilisées et, en tant que telles, étaient imposables au titre de la section 2(47)(vi) de la LIR. Le tribunal conclut toutefois que l’Inde n’avait pas justifié ces arguments.

Après cela, le tribunal examina la question de savoir si la taxation rétroactive violait la norme TJE. Le tribunal affirma qu’il réaliserait une mise en balance des objectifs de politique publique de l’Inde et des intérêts de Cairn à bénéficier des principes de la certitude et la prévisibilité juridiques. Pour ce faire, il faudrait examiner les raisons spécifiques avancées pour justifier l’application rétroactive des mesures fiscales. Puisque l’Inde ne pouvait justifier l’application de l’amendement de 2012 aux transactions passées par un objectif public spécifique, son application rétroactive à l’acquisition de CIHL n’équilibrait pas correctement les intérêts protégés de Cairn dans la certitude juridique, et le pouvoir réglementaire de l’Inde. En appliquant de manière rétroactive un nouveau fardeau fiscal à une transaction non imposable au moment où elle a été effectuée, Cairn avait été privé de la possibilité de tenir compte des conséquences juridiques de ses actions, en violation du principe de certitude juridique, qui, selon le tribunal, est l’un des éléments clé de la norme TJE. Par conséquent, le tribunal conclut que l’Inde avait violé la norme TJE du TBI.

Le tribunal décida qu’il n’était pas nécessaire d’examiner les recours restants de Cairn fondés sur les articles 3(1), 5 et 7 du TBI. Puisque Cairn réclamait la même réparation pour tous ces recours, même si le tribunal les considérait comme bien-fondés, cela n’affecterait pas son évaluation de la réparation appropriée.

La réparation

Puisqu’il avait conclu à une violation de la norme TJE du TBI par l’Inde, le tribunal affirma qu’il devait accorder une réparation qui « effacerait » les conséquences de la violation par l’Inde du TBI, et placerait Cairn dans la position dans laquelle il aurait été si la violation n’avait pas EU lieu. Il faudrait pour cela comparer la réalité à la situation qui aurait, selon toute probabilité, existé si la violation n’avait pas eu lieu (test sine qua non). La différence entre les deux représente l’ampleur des dommages subis par Cairn. Considérant que sa compétence sur le différend incluait le pouvoir d’ordonner à l’Inde, à titre de restitution, de retirer sa réclamation fiscale internationalement abusive, le tribunal déclara que l’exigence fiscale contre Cairn telle que présentée dans l’OFE était contraire au TBI, et que Cairn était dégagé de l’obligation de la régler. Le tribunal ordonna également à l’Inde d’annuler l’OFE de manière permanente et de s’abstenir de chercher à recouvrer la soi-disant obligation fiscale ou tout intérêt et/ou pénalité en découlant.

Le tribunal autorisa également Cairn a réclamer l’indemnisation de la valeur des parts de CIL que l’Inde avait saisies et vendues en application de sa réclamation fiscale abusive au titre de l’OFE. Cairn se vit donc accorder, pour l’indemnisation de la valeur des parts, le produit net que le groupe aurait reçu pour la vente des parts de CIL dans le scénario sine qua non. Cairn réclamait également l’indemnisation du montant de l’impôt sur les sociétés qu’il devrait soi-disant payer au Royaume-Uni sur les montants accordés par le tribunal, au taux de 19 %, mais le tribunal conclut que le groupe n’avait pas établi de manière certaine qu’il devrait payer l’impôt britannique sur les sociétés sur la totalité du montant accordé pour la vente des parts de CIL, et rejeta donc ce recours.

La décision et les coûts

Le tribunal détermina qu’il avait compétence sur le différend et que les recours de Cairn étaient recevables. Il détermina également que l’Inde avait manqué à ses obligations au titre du TBI Inde-Royaume-Uni et du droit international, et spécifiquement, qu’elle avait violé la norme TJE de l’article 3(2) du TBI. Il ne se prononça sur aucune des autres questions pour lesquelles Cairn réclamait réparation.

Le tribunal ordonna à l’Inde d’indemniser Cairn pour la totalité des pertes qu’il avait subies suite aux violations du traité, d’un montant d’environ 1 232 820 143 USD, en plus des intérêts au taux libor USD à six mois accompagnés d’une marge de 6 mois de 1,375 %, composés semi-annuellement. Le tribunal ordonna également à l’Inde de payer environ 22 395 114 USD au titre des coûts de l’arbitrage et des frais juridiques de Cairn.

Remarques : le tribunal était composé de Laurent Lévy (président, Brésilien et Suisse), de Stanimir A. Alexandrov (nommé par le demandeur, Bulgare) et de J. Christopher Thomas QC (nommé par le défendeur, Canadien). La sentence est disponible sur https://www.iareporter.com/articles/a-1-2-billion-dollar-loss-for-india-as-cairn-energy-prevails-in-new-investment-treaty-award/.

Trishna Menon est chercheuse principale auprès du Centre pour le droit commercial et d’investissement à New Delhi, en Inde.

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