L’objection fondée sur la nationalité dominante et effective prévaut dans un arbitrage au titre de l’ALEAC-RD
Michael Ballantine et Lisa Ballantine c. la République dominicaine, Affaire CPA n° 2016-17
Le 3 septembre 2019, un tribunal sous le règlement de la CNUDCI rejetait sa compétence sur un recours déposé en 2014 contre la République dominicaine par deux binationaux, et fondé sur le prétendu déni discriminatoire de projets immobiliers dans des zones écologiquement vulnérables et protégées. Les demandeurs avançaient, entre autres, la violation de la norme TJE et de la disposition relative à l’expropriation de l’Accord de libre-échange Amérique centrale-République dominicaine (ALEAC-RD).
Le contexte et les recours
Les ressortissants étasuniens Michael et Lisa Ballantine avait commencé de mener des activités de missionnaire chrétien en République dominicaine en 2000, et sont restés connectés au pays depuis lors, acquérant même la nationalité dominicaine. Ils remarquèrent qu’autour des montagnes de Jarabacoa, il n’existait pas de développement immobilier de luxe, offrant infrastructures et commodités. Ils commencèrent donc à acheter des terres pour le projet Jamaca de Dios, comprenant deux phases : la première, lancée en 2005, portait sur la construction d’infrastructures et de résidences individuelles de luxe ; la deuxième, lancée en 2009, portait sur la construction d’un hôtel-spa de luxe, entre autres commodités.
Les Ballantine avaient acquis moins de la moitié des terres nécessaires à la deuxième phase et fait face à des dépenses importantes liées à la construction de routes et d’infrastructures, aux activités de reforestation, à la mise en place de l’internet haut débit, et à la maintenance et la sécurité, entre autres. Toutefois, le décret présidentiel n° 571-09 du 7 août 2009 créa le parc national de Baiguate pour protéger et préserver la cascade de Baiguate, un écosystème très divers, et hautement fragile. En outre, des tensions émanaient sur le site du projet du fait de l’utilisation d’une route passant par la propriété des Ballantine ; plusieurs autorités locales étaient impliquées, et il y avait même EU des faits de violence.
Après avoir parachevé la première phase du projet, les demandeurs n’étaient pas en mesure de parachever la phase 2 car depuis 2011, le ministère de l’Environnement refusait d’octroyer plusieurs permis environnementaux. Aussi, ils lancèrent en 2014 un arbitrage sous le règlement de la CNUDCI, pour violation de plusieurs dispositions de l’ALEAC-RD : le traitement national, le traitement NPF, la norme minimale de traitement, l’expropriation et l’indemnisation, et la transparence (para. 189).
La charge de la preuve et la norme d’interprétation
Le tribunal remarqua que l’ALEAC-RD ne contenait aucune disposition portant sur la charge de la preuve, et détermina que puisque l’article 27(1) du règlement de la CNUDCI prévoit que chacune des parties avait la charge de prouver ses recours ou arguments, chacune des parties devaient démontrer si le tribunal avait ou non compétence sur le différend. Cette conclusion était conforme à l’approche générale suivie par d’autres tribunaux constitués au titre de l’ALEAC-RD (par exemple, l’affaire Pac Rim LLC c. El Salvador).
S’agissant de la norme d’interprétation, le tribunal détermina que les articles 31 et 32 CVDT s’appliquaient à l’identification (i) des personnes habilitées à présenter un recours à l’arbitrage et de la manière de le faire (article 10(16) de l’ALEAC-RD) et (ii) des prescriptions qu’un ressortissant ou une entreprise doit respecter pour être reconnu comme investisseur, et donc comme demandeur (article 10(28) de l’ALEAC-RD). S’agissant du dernier point, le tribunal indiqua que « [l]e concept de ressortissant est particulièrement essentiel… et a un effet sur la question de la compétence » (para. 514).
Puisque les demandeurs avaient la double nationalité étasunienne et dominicaine, le tribunal considéra qu’il devait établir quelle était la nationalité dominante et effective. Pour ce faire, il détermina qu’il devait répondre à deux questions fondamentales se complémentant l’une l’autre : « (i) en quels moments pertinents un individu doit-il respecter le critère de nationalité ? et (ii) quelle est la norme juridique… permettant de déterminer [la] nationalité dominante et effective [?] » (para. 515).
Moments pertinents, nationalité dominante et effective
La majorité du tribunal répondit à la première question en indiquant que les moments pertinents (ou dates critiques) à retenir pour examiner le respect du critère de nationalité étaient (i) le moment où la prétendue violation avait été commise (le 12 septembre 2011), et (ii) le moment du dépôt de la demande (le 11 septembre 2014) ; ces dates offraient le contexte temporel dans lequel interpréter l’article 10(28) à la lumière de la CVDT. Par ailleurs, le tribunal détermina que le moment auquel l’investissement avait été réalisé n’était pas pertinent en l’espèce.
S’agissant de la deuxième question, le tribunal détermina que l’ALEAC-RD ne « précis[ait] pas les facteurs à prendre en compte pour déterminer le caractère dominant et effectif » (para. 530). Il s’attela donc à identifier la norme juridique applicable, en s’appuyant d’abord sur le sens spécifique des termes du traité, puis en examinant le droit international coutumier, puisque l’ALEAC-RD et les règles du droit international constituaient le droit applicable, conformément à l’article 10(22) de l’ALEAC-RD.
Déterminant que le traité n’offrait pas davantage d’indications quant à l’interprétation, le tribunal se tourna vers l’analyse de la jurisprudence d’autres cours et tribunaux internationaux (la Cour internationale de justice, le Tribunal des réclamations États-Unis-Iran, et la Commission de conciliation États-Unis-Italie). Ce faisant, le tribunal considéra que les critères précédemment stipulés dans son Ordonnance de procédure n° 2 s’appliquaient, à savoir : (i) la résidence habituelle des demandeurs, (ii) leurs connections personnelles, (iii) le centre économique et familial, et (iv) l’acquisition de la deuxième nationalité.
À l’analyse de ces critères, la majorité du tribunal affirma qu’il n’avait pas l’intention de déterminer si les demandeurs cessaient d’être des ressortissants des États-Unis ou d’avoir des liens avec ce pays. Elle conclut néanmoins que c’était la nationalité dominicaine qui prévalait pendant les moments pertinents, et donc que les Ballantine n’étaient pas des investisseurs au titre de l’article 10(28) de l’ALEAC-RD. L’arbitre Cheek n’était pas d’accord avec cette conclusion.
Le tribunal déclara donc, à la majorité, qu’il n’avait compétence sur aucun des recours présentés.
La décision relative aux coûts
Le tribunal considéra que compte tenu de la complexité de la procédure, du caractère inédit des questions de faits et de droit, et d’autres circonstances pertinentes, les coûts de l’arbitrage étaient raisonnables conformément à l’article 40(2)(e) du règlement d’arbitrage de la CNUDCI. Ils s’élevaient à 900 000 USD ; les frais et dépenses juridiques des demandeurs s’élevaient à 1,8 millions USD, et ceux du défendeur à 3,2 millions USD.
La majorité du tribunal (les arbitres Hernández et Cheek) décidèrent de diviser à part égale les coûts de l’arbitrage entre les parties, et ordonna à chacune des parties de payer ses propres frais. L’arbitre Vinuesa n’était pas d’accord sur ce point.
Les opinions divergentes partielles
L’arbitre Cheek divergeait en partie quant à la pertinence du moment auquel l’investissement avait été réalisé. Selon elle, à l’heure d’examiner les liens des demandeurs avec les États-Unis et la République dominicaine, le tribunal aurait dû déterminer que non seulement les dates critiques étaient pertinentes, mais aussi toute l’histoire de vie des demandeurs, comme l’exige le droit international coutumier.
L’arbitre Vinuesa divergeait en partie quant à la répartition des coûts. Selon lui, « les coûts de la CPA, y compris les frais et dépenses du tribunal, devaient être à l’entière charge des demandeurs », compte tenu que la majorité du tribunal avait fait un jugement de valeur en affirmant que « les demandeurs avaient présenté une affaire crédible », conclusion qui n’avait pas été précédemment soutenue dans les arbitrages au titre de l’ALEAC-RD. Par ailleurs, Vinuesa était d’avis que l’opposition des Ballantine à la bifurcation des procédures ne pouvait être négligée, notamment du fait qu’elle avait « imposé aux parties un temps et des efforts considérables, ainsi que des coûts plus importants tout au long de la procédure » (opinion divergente de Vinuesa, para. 29 à 35).
Remarques : le tribunal était composé de Ricardo Ramírez Hernández (arbitre président nommé par les parties, de nationalité mexicaine), de Marney Cheek (nommée par le demandeur, de nationalité étasunienne) et de Raúl Vinuesa (nommé par le défendeur, de nationalité argentine). La décision du 3 septembre 2019, et les opinions divergentes, sont disponibles sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw10818.pdf
Juan Carlos Herrera-Quenguan est associé sénior chez Flor & Hurtado à Quito, en Équateur. Il est spécialisé en droit public international et règlement international des différends.