Les recours de Clorox contre le Venezuela sont rejetés à l’étape de la compétence en l’absence d’« action d’investir »

Clorox Spain S.L. c. la République bolivarienne du Venezuela, Affaire CPA n° 2015-30

Le tribunal d’un arbitrage mené en espagnol sous l’égide de la CPA au titre du règlement d’arbitrage de 2010 de la CNUDCI a rendu sa décision finale le 10 mai 2019, dans une affaire au titre du TBI Espagne-Venezuela. Le tribunal a rejeté l’affaire contre le Venezuela lancée par l’entreprise espagnole Clorox Spain S.L. (Clorox) en mai 2015, pour des raisons de compétence.

Le différend sous-jacent et le transfert des parts de Clorox International à Clorox Spain

La décision présente le résumé des arguments sur les questions de fond (para. 437 à 781), mais le tribunal ne les a pas examiné. La filiale locale du demandeur, Clorox Venezuela, fabriquait des produits d’entretien. Clorox contestait des mesures législatives et administratives adoptées par le Venezuela dès novembre 2011, qui limitaient la capacité de l’entreprise de fixer ses prix et de mener ses opérations commerciales. Selon Clorox, ces mesures violaient les clauses du TBI sur le TJE, la protection et la sécurité intégrales, et l’expropriation.

Clorox International, enregistrée aux États-Unis, était l’unique actionnaire de Clorox Venezuela depuis les années 1990 lorsqu’elle a été constituée, jusqu’en avril 2011, lorsque Clorox Spain (la demanderesse) avait été constituée et avait immédiatement reçu l’ensemble des parts que Clorox International détenait dans Clorox Venezuela.

Les objections du Venezuela à la compétence

Le Venezuela présenta plusieurs objections à la compétence du tribunal : (i) absence d’un investisseur reconnu, (ii) absence d’un investissement protégé, (iii) abus de procédure, et (iv) treaty shopping. Le tribunal n’analysa que les deux premiers, considérant que Clorox était, a priori, un investisseur, mais que ses parts n’étaient pas un investissement protégé pour absence d’« action d’investir ».

L’objection du Venezuela fondée sur le fait que Clorox Spain n’est pas un investisseur reconnu car elle n’a pas d’investissement protégé

Le Venezuela alléguait que Clorox International était le véritable investisseur (para. 210) et que Clorox Spain, une société écran sans liens substantiels avec son lieu d’enregistrement (para. 213 à 216), n’avait pas réalisé l’investissement.

Le Venezuela souligna le libellé de l’article 1(2) du TBI, qui définit les investissements comme des actifs « investis par des investisseurs » (“invertidos por inversores”) (para. 230). Le défendeur interprétait le terme « por » (« par ») comme exigeant un lien entre l’investisseur et l’investissement, en général de cause à effet (para. 226). S’appuyant sur l’affaire Quiborax c. la Bolivie, le Venezuela argua que la simple propriété des parts ne suffisait pas à définir un investissement, car une « action d’investir » était également nécessaire (para. 229).

Le défendeur emprunta également le test de Salini de la jurisprudence du CIRDI, arguant que puisque Clorox n’avait pas pris de risque, ni réalisé de contribution en capital, en actifs ou en savoir-faire, le test n’était pas respecté.

Clorox alléguait quant à elle être un investisseur au sens du TBI, qui n’exigeait que l’enregistrement dans l’une des parties contractantes (para. 334). L’entreprise arguait que la tentative par le Venezuela d’ajouter des prescriptions au TBI, telles que des activités commerciales substantielles dans le territoire d’enregistrement, devait être rejetée, car de telles prescriptions devraient être explicites dans le texte du traité (para. 335). Elle demanda au tribunal de reconnaitre que sa propriété des parts de Clorox Venezuela constituait en soi un investissement protégé.

L’analyse en deux étapes du tribunal

Puisque les parties étaient en âpre désaccord quant à la charge de la preuve dans les questions de compétence, le tribunal remarqua que (i) Clorox avait la charge de la preuve de la compétence personnelle, matérielle et temporelle, mais que (ii) le Venezuela avait la charge de la preuve des défenses affirmatives, de l’abus de procédure et du treaty shopping (para. 785). S’agissant du test de Salini, le tribunal indiqua brièvement qu’il considérait qu’il n’était pas pertinent en l’espèce (para. 819).

Bien qu’il considérait que les objections du Venezuela représentaient « les deux faces de la même pièce » fondées sur l’article 1(2) du TBI, le tribunal décida de les aborder à tour de rôle.

Il examina d’abord la définition de l’investisseur. Il se rangea du côté de Clorox et détermina que le TBI n’exigeait que l’enregistrement, mais pas d’activités économiques substantielles ou d’autres critères (para. 769). Le tribunal estima donc que Clorox satisfaisait a priori à la prescription de la compétence personnelle pour prétendre à la protection du TBI (para. 797). Il ajouta cependant qu’une personne juridique correctement enregistrée ne devient un investisseur protégé que « si elle a réalisé un investissement qui respecte la définition d’un investissement protégé » (para. 798).

Le tribunal estima ensuite que Clorox, étant l’unique actionnaire de l’entreprise enregistrée dans le pays, avait a priori un investissement protégé (para. 800). Toutefois, s’appuyant sur le libellé de l’article 1(2), il ajouta que la protection se limitait aux actifs « investis par un investisseur ». Il confirma cette interprétation par référence à d’autres articles du TBI, qui mentionnent les investissements « réalisés » par un investisseur (“inversones efectuadas” et “inversiones realizadas”). Le tribunal détermina donc que le TBI exigeait une « action d’investir » (para. 802).

Puisqu’aucun élément du TBI n’empêchait les investissements indirects (para. 803 et 816), le tribunal chercha à déterminer si Clorox avait réalisé une telle « action d’investir » (para. 805). Il remarqua d’une part, que Clorox confondait le fait de détenir un actif avec le fait de réaliser un investissement, comme s’il n’existait pas de différence entre eux (para. 808 et 821), et, d’autre part, que l’argument du Venezuela sur la question avait évolué au cours de l’arbitrage (para. 809).

Pour le tribunal, il existait des preuves d’un investissement au Venezuela, mais pas d’une « action d’investir » de la part de Clorox, comme l’exigeait le TBI (para. 815). Compte tenu que Clorox Spain avait été constituée le 25 avril 2011, avec un capital social composé de parts qui lui avaient été transférées par Clorox International, le tribunal estima que cette transaction n’impliquait pas de réel échange (para. 831) et que Clorox elle-même n’existerait pas si ce transfert n’avait pas EU lieu (para. 831). Il conclut que, puisque Clorox n’avait pas réalisé d’« action d’investir », elle ne disposait pas d’un investissement protégé.

La répartition des coûts

Considérant l’article 42(1) du Règlement d’arbitrage de la CNUDCI, qui prévoit que les frais sont à la charge de la partie qui succombe, le tribunal détermina que Clorox devait payer l’ensemble des coûts de l’arbitrage et rembourser au Venezuela ses frais juridiques (d’environ 4,5 millions USD) (para. 845 à 847).

Remarques : le tribunal était composé d’Yves Derains (président nommé par le CPA, de nationalité française), de Bernard Hanotiau (nommé par le demandeur, de nationalité belge) et de Raúl E. Viñuesa (nommé par le défendeur, de nationalité argentine). La décision du 10 mai 2019 est disponible (en espagnol uniquement) sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw10549.pdf

Inaê Siqueira de Oliveira est étudiante en master en droit privé à l’Université de Sao Paulo, au Brésil.

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