Un tribunal détermine que les mesures adoptées par le Costa Rica visant à protéger son environnement ne violent pas le TJE ou ses obligations en matière d’expropriation au titre de l’ALEAC-RD

David R. Aven et autres c. la République du Costa Rica, Affaire CIRDI n° UNCT/15/3

Dans une décision du 18 septembre 2018, un tribunal arbitral constitué au titre de l’ALE Amérique centrale-République dominicaine-États-Unis (ALEAC-RD) examinait les recours présentés contre le Costa Rica par David R. Aven, un ressortissant italo-étasunien, et six autres investisseurs étrangers, tous ressortissants des États-Unis. Dans cette décision, le tribunal rejette les recours fondés sur la violation du TJE et de la clause d’expropriation indirecte, et accorde au Costa Rica le remboursement de ses frais d’arbitrage.

Le contexte et les recours

Au début des années 2000, les demandeurs décidèrent de lancer un projet touristique à Esterillos Oeste, sur la côte Pacifique du Costa Rica (le projet Las Olas). À cette fin, Aven acquit une participation dans les multiples entreprises servant de véhicule d’investissement spécialisé (« special purpose vehicle », ou « SPV »), enregistrées au titre du droit costaricien et détenant un terrain d’environ 37 hectares. L’un de ces SPV conclut un accord de concession avec la municipalité de Parrita.

Le projet Las Olas comprenait des zones prévues pour un club de plage, un hôtel, 72 lots résidentiels, une zone commerciale incluant supermarchés et restaurants, et une section « appartements » de 288 lots individuels. Les demandeurs alléguèrent avoir reçu tous les permis et approbations requis, y compris le plus important, le Permis de viabilité environnementale (PVE). Toutefois, ce dernier a été émis par les autorités costariciennes en l’absence du rapport préparé par un sous-traitant des demandeurs, indiquant de possibles zones humides sur le site du projet.

Suite à des plaintes des communautés riveraines concernant les dommages causés aux zones humides, et l’abattage des arbres, les autorités du Costa Rica menèrent plusieurs inspections qui donnèrent lieu à des rapports contradictoires s’agissant de l’existence de zones humides et de forêts sur le site du projet. Les autorités costariciennes émirent donc une série d’injonctions interdisant les travaux sur le site du projet.

Une procédure pénale fut lancée contre Aven et Damjanac (le directeur des ventes et du marketing du projet Las Olas), accusés de violer les lois locales sur la foresterie et la conversation de la faune et de la flore. Le tribunal pénal émit une Notice rouge d’Interpol en vue d’obtenir l’extradition d’Aven, puisqu’il avait quitté le Costa Rica alléguant avoir reçu des menaces par voie électronique et avoir été victime d’un échange de tirs. Damjanac fut acquitté de toutes les accusations à son encontre, bien que cette décision ait plus tard été renversée. Au moment où la décision arbitrale a été rendue, son nouveau procès était en cours.

Les demandeurs lancèrent un arbitrage auprès de la CNUDCI en 2014. Ils arguaient que l’interférence du Costa Rica dans le projet Las Olas équivalait à un manquement de leur accorder un TJE, ainsi qu’à une expropriation abusive de leur investissement, en violation de l’ALEAC-RD. Ils réclamaient une indemnisation d’un montant de 69,1 millions USD en dommages matériels, plus intérêts, et de 5 millions USD en dommages moraux pour Aven.

Le tribunal reconnait sa compétence sur le différend à l’exception des 67 propriétés vendues

Le Costa Rica s’opposait à la compétence du tribunal pour quatre motifs : (1) Aven n’est pas un investisseur protégé au titre de l’ALEAC-RD car sa nationalité effective et dominante est sa nationalité italienne, plutôt que sa nationalité étasunienne ; (2) deux autres demandeurs ne sont pas des investisseurs protégés puisqu’ils n’ont engagé aucune ressource, tel que l’exige l’ALEAC-RD ; (3) certaines propriétés sur le site du projet n’étaient pas détenues par les demandeurs ; et (4), le site de la concession se trouve en dehors de la compétence du tribunal puisque 51 pour cent des parts du SPV concessionnaire ne sont pas détenues par un ressortissant costaricien comme l’exige la loi nationale, et que le SPV a des impôts en souffrance.

Le tribunal rejeta l’interprétation de la « nationalité dominante et effective » mise en avant par le Costa Rica. Il indiqua que l’article 10.28 de l’ALEAC-RD cherche à prévenir les recours présentés par des investisseurs ayant la nationalité de l’État hôte, mais pas d’un État tiers. Compte tenu de la double nationalité d’Aven, et que l’investissement a été réalisé au Costa Rica, le tribunal estima que cette disposition n’était pas pertinente. Divers facteurs tels que la résidence habituelle et les lieux d’intérêts démontraient également que la nationalité dominante et effective d’Aven était sa nationalité étasunienne.

Le tribunal rejeta également l’argument du Costa Rica selon lequel deux des demandeurs n’avaient pas réalisé d’investissement. Il estima que leur expérience en matière de marketing et de développement immobilier constituaient des contributions, et que ces contributions en nature étaient confirmées par les certificats de participation.

S’agissant de certaines des propriétés n’étant soi-disant plus détenues par les demandeurs, le tribunal reconnut que ces derniers n’avaient pas divulgué que la vente des lots à des tiers était en cours au moment de la procédure. Le tribunal estima donc qu’un investissement vendu avant la date de dépôt de l’avis d’arbitrage ne devait pas être protégé par l’ALEAC-RD. Aussi, le tribunal s’abstint d’exercer sa compétence sur 67 des propriétés du site.

Le non-respect par les demandeurs des règles applicables au site de la concession n’empêchait pas le tribunal d’affirmer sa compétence. Il remarqua que le Costa Rica n’avait pas contesté la structure de l’actionnariat, qui est interdite, et donc qu’il l’acceptait tacitement. De même, il nota qu’aucune autorité costaricienne n’avait contesté le non-paiement des impôts par les demandeurs, et que ce manquement n’empêchait pas le tribunal d’exercer sa compétence.

Tous les recours sont jugés recevables, à l’exception de celui fondé sur la protection et la sécurité intégrales

Le Costa Rica présenta également trois objections à la recevabilité : (1) la conduite abusive et illégale des investisseurs pendant l’exploitation de l’investissement ; (2) l’absence de mention des recours fondés sur la protection et la sécurité intégrales dans l’avis d’arbitrage ; et (3) le non-épuisement des voies de recours internes.

Le tribunal conclut que le Costa Rica ne démontrait pas que les demandeurs avaient réalisé leur investissement de manière frauduleuse et estima que les critères de la conduite abusive et illégale ne s’appliquaient pas aux actions réalisées pendant l’exploitation de l’investissement. Aussi, le tribunal rejeta cette objection à la recevabilité. Il estima en revanche que les recours fondés sur la protection et la sécurité intégrales étaient irrecevables puisqu’ils avaient été soulevés au terme de l’audience plutôt que dans l’avis d’arbitrage.

S’agissant de l’épuisement des voies de recours internes, le tribunal affirma que l’ALEAC-RD n’exige pas l’épuisement des voies de recours locales comme précondition à l’accès à l’arbitrage international. Il affirma que l’épuisement des voies de recours internes était requis pour démontrer un déni de justice et serait examiné lors de l’examen quant au fond.

La protection de l’investisseur est subordonnée au droit de l’État d’adopter des lois et mesures de protection de l’environnement et de les appliquer

S’appuyant sur l’article 10.11 de l’ALEAC-RD, le Costa Rica affirma que la suspension du projet Las Olas se justifiait par les obligations en matière de protection de l’environnement souscrites par le Costa Rica au titre du droit international et de sa législation nationale. Il argua que toute incohérence entre les normes du chapitre 17 (sur l’environnement) et celles du chapitre 10 (sur l’investissement) devait être interprétée en faveur du chapitre 17.

Le tribunal conclut qu’au titre de l’ALEAC-RD, les droits des investisseurs sont subordonnés au droit du Costa Rica de veiller à ce que les investissements soient réalisés « de manière sensible aux préoccupations environnementales » (para. 412). Il nuança cependant, affirmant que cette subordination n’est pas absolue, et que l’État hôte doit mettre en œuvre et appliquer son droit environnemental « de manière juste et non-discriminatoire, appliquant lesdites lois visant à protéger l’environnement en suivant les principes de l’application régulière de la loi, non seulement dans leur adoption mais aussi dans leur application » (para. 413).

Le tribunal remarqua que le Costa Rica est partie à des conventions internationales relatives à la protection des zones humides et forestières, et a adopté des lois nationales y relatives. Aussi, le tribunal devait déterminer si l’application de ces lois avait été approprié et régulier.

Les recours fondés sur le TJE, l’expropriation et le déni de justice sont rejetés

Le tribunal affirma que la détermination de la violation, ou non, par le Costa Rica du TJE ou de la clause d’expropriation indirecte, dépendait de deux facteurs : (1) l’existence ou non de zones humides et de forêts sur le site du projet Las Olas au moment où les mesures avaient été adoptées, et (2) l’existence ou non de dommages aux zones humides et aux forêts.

Après analyse de plusieurs rapports d’experts et du droit costaricien, le tribunal conclut qu’au moins une des zones du site était humide, et que les conditions du site permettaient d’affirmer qu’une « forêt » existait, selon la définition fournie par le droit sur la foresterie.

Le tribunal considéra qu’au titre du droit costaricien, ce sont les demandeurs, en tant que développeurs, qui ont le fardeau de la preuve et doivent pouvoir démontrer que l’environnement ne sera pas endommagé, et informer les autorités de tout éventuel dommage environnemental. Le tribunal estima qu’ils n’avaient pas divulgué l’existence de zones « marécageuses » sur le site du projet. En outre, il conclut que la fragmentation du terrain ne contenait pas d’objectif commercial en soi, mais permettait aux demandeurs de contourner l’exigence d’obtenir un PVE pour cette partie du site.

Le tribunal disposait de suffisamment de preuves pour déterminer que les zones humides et forestières étaient affectées par les travaux des demandeurs. Il conclut que les mesures prises par le Costa Rica en vue de protéger son environnement étaient conformes au droit international, et n’étaient ni arbitraires, ni en violation des obligations de l’État au titre de l’ALEAC-RD.

En outre, selon le tribunal, les demandeurs ne satisfaisaient pas à la norme leur permettant de présenter un recours pour déni de justice. Le tribunal ne trouva aucun élément permettant d’affirmer que le procureur ou le système judiciaire costaricien avait agi de manière contraire au droit national à l’égard d’Aven et de Damjanac. Il conclut que le procureur avait des motifs raisonnables de traiter la conduite des demandeurs comme un crime continu, et qu’il avait valablement utilisé son pouvoir discrétionnaire pour émettre la notice rouge d’Interpol.

La demande reconventionnelle du Costa Rica pour dommages environnementaux au titre de l’ALEAC-RD

Le Costa Rica présenta une demande reconventionnelle, exigeant des dommages situés entre 500 000 et 1 million USD dans le but de restaurer les conditions naturelles du site à Las Olas. Il argua qu’aucun élément de l’ALEAC-RD n’empêchait le tribunal d’exercer sa compétence sur une demande reconventionnelle au titre du chapitre 10. Les investisseurs s’opposèrent à la compétence du tribunal sur la demande reconventionnelle considérant qu’au titre des dispositions relatives au règlement des différends contenues dans l’ALEAC-RD, seuls les États peuvent être défendeurs.

Le tribunal affirma que la majorité des dispositions de l’ALEAC-RD portent sur les obligations des États, ce qui pourrait soutenir l’argument des demandeurs selon lequel les investisseurs ne peuvent être défendeurs. Cependant, après analyse des dispositions de l’ALEAC-RD relatives à l’environnement, le tribunal conclut qu’elles imposaient implicitement des obligations aux investisseurs de protéger l’environnement. Il considéra que les investisseurs n’étaient pas à l’abri d’un procès pour violation des obligations en matière de protection de l’environnement au titre de l’ALEAC-DR, et confirma sa compétence sur la demande reconventionnelle du Costa Rica.

Toutefois, le tribunal remarqua que l’ALEAC-DR n’impose aucune « obligation affirmative » (para. 743) aux investisseurs, et n’indique pas que le non-respect des réglementations environnementales constitue une violation de l’accord pouvant servir de base à une demande reconventionnelle. Aussi, ayant déterminé que le Costa Rica n’avait pas présenté les faits soutenant sa demande reconventionnelle et la réparation exigée, tel que l’exigent les articles 20 et 21 du règlement d’arbitrage de la CNUDCI, le tribunal considéra la demande reconventionnelle comme irrecevable.

Les coûts

Le tribunal considéra que les deux parties avaient, d’une certaine manière, perdu. Il reconnut qu’elles avaient agi de manière appropriée pendant la procédure, que la complexité de l’affaire se traduisait dans l’incohérence des faits, et que les demandeurs ne semblaient pas être de riches investisseurs institutionnels. Aussi, il ordonna aux investisseurs de payer la totalité des coûts de l’arbitrage, mais ordonna à chacune des parties de payer ses propres frais et dépenses juridiques.

Remarques : le tribunal était composé d’Eduardo Siqueiros (président nommé par le Secrétaire général du CIRDI, de nationalité mexicaine), de C. Mark Baker (nommé par les demandeurs, de nationalité étasunienne) et de Pedro Nikken (nommé par le défendeur de nationalité vénézuélienne). La décision est disponible sur https://www.italaw.com/cases/2959

Victoria Khandrimaylo est candidate (2018–2019) au Master sur le règlement international des différends (MIDS) à l’Université de Genève – Graduate Institute (IHEID).

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