Examen critique du débat sur la facilitation des investissements

Le débat portant sur la facilitation des investissements (FI) est relativement récent, même s’il s’est intensifié depuis que le Brésil, l’Argentine, la Russie et la Chine, entre autres, ont lancé la question sur la scène internationale[1]. Au cours de l’année 2017, ces pays ont en effet présenté des propositions pour inclure la FI à l’ordre du jour de la 11ème conférence ministérielle de l’OMC, mais au final, d’autres pays tels que les États-Unis, l’Afrique du Sud, l’Inde et les pays ALBA (Bolivie, Cuba et le Venezuela) les en ont empêchés. La Chine a tenté de son côté de promouvoir la question dans le cadre des préparatifs du G20 à Hambourg (2017), mais là encore celle-ci fût bloquée[2].

La FI est une expression large et imprécise. Elle inclut les mesures réglementaires, les rôles institutionnels et les procédures administratives visant à faciliter l’entrée, le fonctionnement et la sortie des investisseurs. Il n’existe pas de définition commune, ni d’ensemble déterminé de règles visant à faciliter les investissements. Jusqu’à présent, la FI apparaissait comme une accumulation de principes tels que la « transparence », la « cohérence » et la « prévisibilité », dont l’objectif est de modifier certaines réglementations nationales afin de simplifier la circulation des investissements. Arguons ici que ces concepts représentent un mécanisme opérant dans le cadre des processus régulatoires nationaux, ce qui implique non seulement un ensemble de dispositions relatives au traitement devant être accordé aux investisseurs étrangers, à l’instar des traités d’investissement traditionnels, mais aussi, en l’espèce, de mettre l’accent sur les processus d’élaboration des règles et législations qui affectent directement l’investisseur.

C’est pourquoi la FI, même si elle ne progresse pas dans certaines enceintes de discussion[3], ne disparaitra pas de sitôt. La FI inclut un axe dont on a beaucoup parlé ces dernières années, c’est-à-dire la tendance à la simplification des démarches administratives et, notamment, des processus réglementaires applicables aux investisseurs étrangers et opérateurs économiques, et visant à alléger la charge réglementaire. En d’autres termes, l’objectif central de cette proposition est de réduire les coûts de fonctionnement des investisseurs étrangers, en modifiant les processus administratifs internes. Cela a par exemple fait l’objet de débats au sein de l’OMC dans le cadre de la facilitation des échanges, qui implique entre autres, la facilitation, la modernisation et l’harmonisation des procédures d’exportation et d’importation par le biais, par exemple, de mesures pour la coopération effective entre autorités douanières.

Toutes les propositions présentées dans les enceintes mondiales (ainsi que celle mise en avant par l’OCDE[4]) incluent, en plus de la facilitation administrative pour les investisseurs, des mécanismes essentiels à la coopération réglementaire, comme par exemple le terme de « transparence ». Dans ce débat, les parties-prenantes de l’investissement étranger, qu’il s’agisse d’entités privées ou d’États, auraient la possibilité de participer au processus d’élaboration de nouvelles réglementations relatives à l’investissement étranger. Cela comporte un risque relativement élevé de réduction des normes sociales, environnementales et relatives aux droits humains, compte tenu de la pression du secteur privé[5] qui cherche à réduire ses coûts de fonctionnement et à élargir sa marge de manœuvre dans les territoires nationaux.

La coopération réglementaire au cœur du débat sur la facilitation des investissements

La FI ne représente pas un système de protection des investissements, mais répertorie plutôt une série de changements que les États doivent apporter à leurs procédures administratives ainsi qu’à leurs réglementations relatives aux investissements étrangers. Elle représente donc un nouveau mode de coopération réglementaire impliquant une tendance à l’harmonisation et à la redevabilité des systèmes et procédures réglementaires. Ainsi, l’accent est mis, non pas sur les règles en elles-mêmes, mais sur les procédures administratives d’élaboration de ces règles. Il s’agit au final de minimiser les obstacles réglementaires futurs par la mise en place de procédures communes[6].

L’instrument de la coopération réglementaire a déjà été inclus dans les nouveaux accords méga-régionaux tels que le Traité transpacifique (CPTPP) et le Traité transatlantique (TTIP), ainsi que dans l’ALE entre l’Union européenne et le Canada (AECG). Il apparait aussi dans le processus de convergence entre l’Alliance du Pacifique et le MERCOSUR, tel que l’ALE conclu entre l’Argentine et le Chili, sous le titre « Obstacles techniques au commerce »[7]. Il est également mis en avant depuis 2013 par la Commission Juncker de l’Union européenne sous le titre « Mieux légiférer ». Il existe un lien direct avec ce que l’OCDE considère être les « Bonnes pratiques de la réglementation », dont les principes sont la transparence, la consultation, les études d’impact et la maximisation des bénéfices.

Plusieurs de ces principes apparaissent également dans les propositions relatives à la FI présentées à l’OMC en 2017, qui indiquent que la coopération réglementaire est l’instrument le plus important dans le cadre de ce débat. Il pourrait s’agir d’un ensemble de principes communs permettant aux investisseurs de bénéficier d’un cadre « stable, prévisible et efficace »[8], conformément à la proposition du Brésil et de l’Argentine. De leur côté, la Chine et la Russie avancent que ces mécanismes permettent d’« encourager l’établissement de critères clairs et cohérents, ainsi que de procédures portant sur la sélection, l’évaluation et l’approbation des investissements »[9].

La transparence exige des États qu’ils mettent à disposition de tous leurs lois, réglementations, décisions juridiques et codes et règlements relatifs aux investissements étrangers. Ils doivent également établir un répertoire des lois et réglementations qui concernent l’investissement. L’objectif est de faire en sorte de faciliter les investissements, en réduisant les démarches administratives et en facilitant l’accès aux permis par la mise en place d’un guichet unique pour toutes les procédures, ainsi que l’accès à toutes les informations nécessaires à la réalisation d’un investissement sur une plateforme en ligne. Il a même été proposé de mettre en place un ensemble de principes communs pour le traitement des demandes d’investissement et l’octroi de permis.

Les parties intéressées jouent un rôle dans le sens où il a été suggéré qu’elles devraient avoir la possibilité de formuler des observations sur les nouvelles lois, réglementations et politiques proposées par un État, ainsi que sur les changements apportés dans le futur aux réglementations existantes. Le secteur privé aurait une voix décisive dans la législation d’un pays, intervenant directement dans la création des cadres juridiques. Par exemple, dans le TTIP ce mécanisme apparait sous la forme d’un principe de notification et de commentaire, qui exige que les parties intéressées puissent faire des propositions et soient invitées à formuler des commentaires sur les réglementations par le biais des points de contact. Leurs commentaires devront être « pris en compte »[10].

En définitive, il ne s’agit pas seulement de faciliter les investissements par des mécanismes administratifs simplifiés, mais aussi pour les États et les investisseurs eux-mêmes de pouvoir influencer le rôle réglementaire des États. Cependant, s’agissant de la FI, aucune des propositions avancées n’explique dans le détail comment un tel processus pourrait fonctionner, et l’absence de définition de cette question clé pour la réglementation de l’investissement étranger pourrait s’avérer dangereuse.

Conclusions

Le débat sur la FI ne s’éteindra pas de sitôt. Même si elle stagne un peu à court terme, cette question devra faire l’objet d’analyses plus poussées de la part des experts du système de la protection des investissements. En effet, la FI couvre une question commune à tous les ALE et aux débats en cours dans les enceintes internationales : la coopération réglementaire. L’on en parle actuellement au sein de l’OMC, du G20[11], ainsi que dans des organisations telles que l’OCDE et la CNUCED, et dans certains groupes de pays, comme par exemple l’Union européenne et l’Alliance du Pacifique. En outre, comme nous l’avons dit plus haut, la question est abordée dans la plupart des ALE de nouvelle génération, tels que l’ALE entre l’Argentine et le Chili.

À l’OMC, l’intégration de la FI impliquerait la « multilatéralisation » de la discussion portant sur les investissements, ce qui représenterait un changement substantiel dans les processus réglementaires des États membres. Jusqu’à présent l’OMC a réussi à réduire les obstacles au commerce au niveau des frontières. Mais si la FI faisait l’objet d’un Accord international, cela impliquerait la mise en place de règles réduisant la charge administrative des investisseurs étrangers « au-delà des frontières », et donc une tendance à l’harmonisation des procédures relatives à l’adoption de réglementations internes de tous les pays membres. Cela aurait des effets directs sur l’adoption des normes internes des pays.

Dans ce sens, les pays les plus affectés seraient ceux dont les normes sont les plus élevées. Par exemple, les pays dotés des législations les plus strictes pour l’acceptation d’un investisseur dans les secteurs considérés comme stratégiques ou incluant certaines prescriptions de résultats pour les investisseurs étrangers, seraient contraints d’aligner leurs réglementations internes sur celles de pays aux règles plus souples. Cela donnerait lieu à une « spirale destructrice » généralisée, puisque la pression mise par le secteur privé pourrait entrainer la réduction des réglementations en matière d’investissement à l’échelle mondiale.


Auteure

Luciana Ghiotto est chercheuse auprès de CONICET-Argentina dont le siège se trouve à l’École de politique et de gouvernance de l’Université nationale de San Martín (UNSAM), et professeure d’économie politique internationale dans le cursus des Relations internationales (UNSAM). Elle collabore également avec le Transnational Institute (TNI) et est membre de ATTAC Argentina ainsi que de la Asamblea Argentina mejor sin TLC.


Notes

[1] Les propositions adressées au Conseil général de l’OMC sont : la Russie, JOB/GC/120 (31 mars 2017) ; le Mexique, l’Indonésie, la Corée, la Turquie et l’Australie (MIKTA), JOB/GC/121 (6 avril 2017) ; les Amis de la facilitation de l’investissement pour le développement (AFID): JOB/GC/122 (26 avril 2017) ; la Chine, JOB/GC/123 (26 avril 2017) ; l’Argentine et le Brésil, JOB/GC/124 (26 avril 2017) ; le Brésil, JOB/GC/169 (1er février 2018). Voir Zhang, J. (2018). Investment Facilitation: Making sense of concepts, discussions and processes. Genève : IISD. Tiré de https://www.iisd.org/library/investment-facilitation-making-sense-concepts-discussions-and-processes

[2] Voir Ghiotto, L. (2017) La negociación sobre reglas de facilitación multilateral de las inversiones. Document de travail, Transnational Institute (TNI). Tiré de https://www.tni.org/es/publicacion/la-negociacion-sobre-reglas-para-la-facilitacion-multilateral-de-las-inversiones

[3] Third World Network. (2018, 30 juillet). WTO investment facilitation & technical assistance activities deferred, Service d’information de TWN sur l’OMC et les questions commerciales (Juillet 18/24). Tiré de https://www.twn.my/title2/wto.info/2018/ti180724.htm

[4] OCDE. (2015). Principes directeurs de l’OCDE pour la qualité et la performance de la réglementation. Tiré de https://www.OECD.org/regreform/34978350.pdf

[5] European Environmental Citizens Organization for Standardisation (ECOS). (2016). Mutual recognition of standards in TTIP: Another threat to citizens´ welfare and the environment. Tiré de http://ecostandard.org/wp-content/uploads/ECOS-2016-POS-002-TTIP.pdf

[6] Meuwese, A. (2015). Constitutional aspects of regulatory coherence in TTIP: An EU perspective. Law and Contemporary Problems, 78. Tiré de https://scholarship.law.duke.edu/lcp/vol78/iss4/7

[7] Ghiotto, L. et López, P. (2018). El tratado de libre comercio Argentina-Chile: El camino a un retorno encubierto del ALCA. ALAI Net. Tiré de https://www.alainet.org/es/articulo/194817

[8] Proposition à l’OMC de l’Argentine et du Brésil, JOB/GC/124, déjà citée.

[9] Propositions de la Chine, JOB/GC/123 et de la Russie, JOB/GC/120, déjà citées.

[10] Haar, K. (2015). Cooperating to deregulate. International Trade, CEO. Tiré de  https://corporateeurope.org/international-trade/2015/11/cooperating-deregulate

[11] En plus des propositions présentées à l’OMC, la FI est abordée dans d’autres forums : CNUCED. (2016). Menu d’action globale pour la facilitation des investissements. Tiré de http://investmentpolicyhub.UNCTAD.org/Upload/Action%20Menu%2023-05-2017_7pm_print.pdf ; G20. (2016). Principes directeurs sur les politiques globales d’investissement. Tiré de  http://www.oecd.org/daf/inv/investment-policy/G20-GuidingPrinciples-for-Global-Investment-Policymaking.pdf ; Alliance du Pacifique. (2012). Ruta crítica en materia de cooperación reguladora, sur https://alianzapacifico.net/cloudcomputing/iadb-org/serverhosted/alianzapacifico/multimedia/archivos/Anexo-3-Ruta-cr%C3%ADtica.pdf

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