Un tribunal de la CNUDCI ne reconnait pas sa compétence au motif que le TBI France-Maurice ne s’applique pas aux investisseurs binationaux

Dawood Rawat c. la République de Maurice, Affaire CPA 2016-20

Dans la procédure lancée par M. Dawood Rawat contre Maurice, un tribunal constitué au titre du Règlement d’arbitrage de 1976 de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI) a estimé ne pas avoir compétence pour se prononcer sur les recours de l’investisseur au titre du Traité bilatéral d’investissement (TBI) France-Maurice de 1973. L’arbitrage s’est tenu sous les auspices de la Cour permanente d’arbitrage, et la décision a été rendue le 6 avril 2018.

Le contexte et les recours

  1. Rawat affirmait contrôler « l’un des conglomérats les plus innovants et dynamiques de Maurice » (Déclaration, para. 29) dans le secteur bancaire. Il arguait que peu de temps après les élections générales mauriciennes de 2014, il commença à faire face à une série d’actions illégales menées par le gouvernement, notamment la révocation de sa licence bancaire (plus tard transférée à une entreprise d’État) et l’arrestation de membres de sa famille. Arguant que Maurice avait violé les articles 2 et 3 du TBI (dispositions relatives à l’expropriation et au traitement juste et équitable), M. Rawat exigeait la restitution de ses actifs ainsi que le versement d’une indemnisation.

Maurice ne contestait pas l’occurrence de certaines des actions avancées par M. Rawat, mais affirmait qu’elles se justifiaient par une enquête légale ouverte pour blanchiment d’argent contre M. Rawat et sa famille. Avant que le tribunal n’examine le fond de ces arguments, Maurice souleva des objections liminaires à la compétence du tribunal, lui demandant de rejeter les recours de M. Rawat.

Bien que M. Rawat soit né à Maurice et ait la nationalité mauricienne, le tribunal remarqua que bon nombre d’éléments attestaient du fait qu’il avait acquis la nationalité française après avoir épousée une Française. Cependant, les parties divergeaient quant au fait que M. Rawat était donc reconnu comme investisseur français autorisé à lancer un arbitrage contre Maurice au titre du TBI. Le tribunal devait donc essentiellement déterminer si le TBI France-Maurice s’appliquait en l’espèce compte tenu de la binationalité franco-mauricienne du demandeur.

Les binationaux ne sont pas expressément exclus de la portée du TBI

Les arbitres estimèrent qu’ils ne pouvaient « ajouter de conditions au TBI, tel qu’élaboré et ratifié par la France et Maurice » (para. 170). Ils remarquèrent que le traité ne contenait pas d’exclusion expresse des binationaux des protections offertes par le TBI, à l’inverse d’autres traités signés par les mêmes États, tels que le TBI France-Chine de 1984 et le TBI Maurice-Égypte de 2014, et considérèrent que vu sous cet angle, M. Rawat était protégé par le TBI France-Maurice.

Interprétation du TBI conformément à la Convention de Vienne sur le droit des traités

Le tribunal s’efforça ensuite d’interpréter le TBI conformément à la Convention de Vienne sur le droit des traités (CVDT). Il remarqua que « l’objet et le but du TBI France-Maurice semblent également indiquer que les binationaux sont inclus, et non exclus » (para. 172), puisque le préambule du TBI précise que l’objet du traité est « la protection et la stimulation de l’investissement », sans faire de distinction entre les sources possibles d’investissement.

S’agissant de l’interprétation à la lumière du contexte (art. 31(2) de la CVDT), le tribunal considéra nécessaire d’examiner les dispositions pertinentes du TBI. Selon lui, l’article 9 du TBI exige que les accords d’investissement conclus sur le territoire des États parties incluent une clause relative à l’arbitrage auprès du CIRDI. L’article 25(2) de la Convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre États et ressortissants d’autres États (la Convention du CIRDI), quant à lui, exclut expressément les binationaux du concept de « ressortissants » dans la version officielle en français.

Le tribunal estima que l’article 9 du TBI « rend obligatoire, plutôt qu’optionnelle, l’inclusion par les États parties, d’une clause d’arbitrage auprès du CIRDI dans les contrats d’investissement » (para. 178). Par conséquent, il existait un alignement strict entre le concept de « ressortissant » au titre du TBI et de la Convention du CIRDI.

En conclusion, le tribunal estima qu’en faisant référence à la Convention du CIRDI, la France et Maurice avaient implicitement exclus les binationaux de la portée du TBI. Aussi, il détermina qu’il n’avait pas compétence sur le différend.

Interprétation du TBI conformément au principe de l’effet utile

Selon le tribunal, le principe de l’effet utile permettrait d’étayer cette conclusion. Les arbitres firent référence à l’affaire Cemex c. le Venezuela (Affaire CIRDI n° ARB/08/15) et affirmèrent que, bien qu’il ne soit pas expressément établi dans la CVDT, « l’on considère généralement que [l’effet utile] découle du principe de l’interprétation de bonne foi des traités, tel qu’envisagé à l’article 31(1) de la CVDT » (para. 182).

Puisque le TBI fait référence à la Convention du CIRDI, selon laquelle les investisseurs binationaux ne peuvent lancer un arbitrage (art. 25(2)), les dispositions relatives à l’arbitrage ne peuvent être invoquées. Aussi, l’application du principe de l’effet utile donnerait lieu à la même conclusion : il serait donc insensé d’interpréter le TBI comme ouvrant l’arbitrage aux ressortissants binationaux franco-mauriciens.

Établir la compétence par le biais de la clause NPF

Les parties étaient d’accord sur le fait que le TBI France-Maurice n’incluait pas de clause relative à l’arbitrage investisseur-État. Cependant, M. Rawat argua que Maurice avait consenti à l’arbitrage avec les investisseurs français en deux temps. D’abord, le pays avait consenti à la disposition NPF du TBI France-Maurice, qui permet à un investisseur de « bénéficier de toutes les dispositions plus favorables que celles du [TBI] pouvant découler d’engagements internationaux déjà pris ou qui seront pris dans le futur » (art. 8 du TBI). Ensuite, Maurice avait conclu un accord d’investissement prévoyant l’arbitrage direct avec la Finlande. Aussi, le demandeur invoqua la clause NPF du TBI France-Maurice pour établir la compétence du tribunal.

Maurice rétorqua qu’il n’y avait pas de consentement à l’arbitrage, arguant que l’on ne peut invoquer la clause NPF que si l’on a réussi à établir la compétence du tribunal au titre du traité. Puisque le TBI ne mentionnait pas l’arbitrage investisseur-État, l’on ne pouvait considérer que la « question » était régie par le TBI.

Le tribunal considéra que M. Rawat n’était pas protégé par le TBI France-Maurice, affirmant que le demandeur ne pouvait bénéficier des protections substantielles offertes par le TBI. Malgré tout, le tribunal proposa des critères pour déterminer si l’on pouvait établir la compétence par le biais de la clause NPF.

D’après les arbitres, « l’essentiel du test de la doctrine ejusdem generis » (para. 187) consiste à définir la portée de l’expression « les questions couvertes par le présent accord » (art. 8 du TBI) et à déterminer si les questions couvertes par le TBI France-Maurice et par le TBI Finlande-Maurice sont similaires. Il faudrait pour cela distinguer les questions des traitements en évaluant le « degré de granularité » avec lequel les questions devraient être examinées. Une telle distinction serait pertinente puisque « les ‘questions’ ne peuvent être améliorées par l’invocation des clauses NPF ; le ‘traitement’ des questions peut l’être » (para. 187).

La décision et les coûts

Le tribunal conclut qu’il n’avait pas compétence sur le différend, et ordonna à M. Rawat de payer un tiers des frais et dépenses juridiques totaux de Maurice relatifs à l’étape des objections à la compétence. Il n’accorda aucun autre remboursement s’agissant des frais de l’arbitrage, puisqu’aucune des parties n’avait EU gain de cause dans ses demandes précédentes d’adoption de mesures provisoires.

Remarques : le tribunal arbitral était composé de Lucy Reed (présidente nommée par les parties, de nationalité étasunienne), de Jean-Christophe Honlet (nommé par le demandeur, de nationalité française) et de Vaughan Lowe (nommé par le défendeur, de nationalité britannique). La décision sur la compétence du 6 avril 2018 est disponible sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw9618.pdf

Pietro Benedetti Teixeira Webber est étudiant en dernière année à l’Université fédérale de Rio Grande do Sul, au Brésil.

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