Un tribunal du CIRDI rejette une affaire en expropriation contre le Venezuela pour des motifs de compétence
Fábrica de Vidrios Los Andes, C.A. et Owens-Illinois de Venezuela, C.A. c. la République bolivarienne du Venezuela, Affaire CIRDI n° ARB/12/21
Le 13 novembre 2017, un tribunal du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a décliné sa compétence sur une affaire lancée en 2012 par deux entreprises verrières vénézuéliennes détenues aux États-Unis, Fábrica de Vidrios Los Andes, C.A. (Favianca) et Owens-Illinois de Venezuela, C.A. (OIdV), expropriées en 2010 par l’ancien président vénézuélien Hugo Chávez Frías, et réclamant 1,4 milliards USD.
Le contexte et les recours
Le 26 octobre 2010, alléguant des dommages environnementaux et des années d’exploitation des travailleurs vénézuéliens, l’ancien président vénézuélien Hugo Chávez Frías expropria les deux plus grandes entreprises de production et de vente de récipients en verre du Venezuela, Favianca et OIdV, toutes deux détenues par la multinationale Owens-Illinois, basée aux États-Unis. Aux termes du décret présidentiel, l’expropriation était nécessaire pour « renforcer la capacité industrielle du secteur public dans la fabrication de récipients en verre pour le peuple vénézuélien » (para. 139). En 2011, Favianca et OIdV furent intégrées à l’entreprise d’État Venezolana del Vidrio, C.A. (Venvidrio).
En 2012, après avoir échoué à convenir du montant que le Venezuela devait verser à titre d’indemnisation pour les deux usines, deux affaires parallèles furent lancées contre le pays. L’une en mars par OI European Group B.V. (OIEG) (affaire CIRDI n° ARB/11/25) et la seconde en juillet par Favianca et OIdV (affaire CIRDI n° ARB/12/21). Dans les deux cas, les demandeurs mettaient en avant une expropriation illicite et d’autres violations du traité d’investissement. Puisque l’actionnaire majoritaire des deux usines était l’entreprise néerlandaise OIEG, les demandeurs invoquaient le traité bilatéral d’investissement (TBI) Venezuela – Pays-Bas.
La première affaire trouva conclusion en 2015 lorsque le tribunal conclut unanimement en faveur de l’investisseur et ordonna au Venezuela de payer 372,4 millions USD plus intérêts, sur les 929,5 millions réclamés à l’origine par OIEG. Un résumé de cette décision a été publié par ITN en mai 2015. La procédure en annulation lancée par la suite par le Venezuela est toujours en cours. Dans la deuxième affaire, résumée ici, le tribunal du CIRDI a rejeté les recours de Favianca et d’OIdV pour des motifs de compétence.
Avant d’entrer dans les détails de la décision du tribunal, il est important de noter que le Venezuela a formellement dénoncé la Convention du CIRDI le 24 janvier 2012. Selon l’article 71 de la Convention du CIRDI, la dénonciation prend effet six mois après la réception de la dénonciation officielle. Favianca et OIdV ont déposé leur recours le 20 juillet 2012, et arguaient qu’il relevait encore de la compétence du CIRDI, interprétation contestée par le Venezuela. Celui-ci avait également unilatéralement mis un terme au TBI avec les Pays-Bas en 2008, mais la clause de survie du traité prévoit que celui-ci continue de s’appliquer pendant 15 ans aux investissements réalisés avant la date de dénonciation.
La compétence du CIRDI dépend du consentement parfait
Compte tenu de la décision du Venezuela de quitter le CIRDI, le point clé de l’affaire consistait à déterminer si le Centre avait encore compétence sur l’affaire. Le tribunal jugea pertinent d’interpréter l’article 9 du TBI en question, qui mentionne le CIRDI pour le règlement des différends investisseur-État découlant du traité, ainsi que les articles 71 et 72 de la Convention du CRDI. L’article 71 offre la possibilité de dénoncer la Convention, et l’article 72 affirme que la dénonciation « ne peut porter atteinte aux droits et obligations dudit État […] qui découlent d’un consentement à la compétence du Centre donné par l’un d’eux antérieurement à la réception de ladite notification par le dépositaire ».
S’agissant de l’article 9 du TBI, Favianca et OIdV considéraient que la dénonciation de la Convention par le Venezuela n’était pas pertinente puisque le pays donnait son consentement « inconditionnel » à la compétence du CIRDI dans l’article 9(1) et (4), qui, du fait de la clause de survie du TBI, s’appliquerait jusqu’en 2023 à tous les investissements réalisés avant la date de résiliation du TBI.
Les arbitres rejetèrent cet argument, considérant que l’arbitrage auprès du CIRDI n’était disponible que si les conditions d’accès à l’arbitrage auprès du CIRDI contenues à la fois dans le traité d’investissement et dans la Convention du CIRDI étaient satisfaites (para. 261). Le tribunal conclut que « ce n’est que lorsque le consentement à l’arbitrage auprès de la compétence du Centre est parfait, de manière à générer des droits et obligations au titre de la Convention du CIRDI, que ces droits et obligations subsistent après la réception de la dénonciation d’un État contractant conformément à l’article 71 » (para. 282). Il précisa que la dénonciation de la Convention du CIRDI n’affectait pas les procédures déjà en cours ou les accords d’arbitrage auprès du CIRDI existants.
Par ailleurs, le tribunal considéra qu’à l’analyse des articles 71 et 72 de la Convention du CIRDI, il fallait réconcilier deux objectifs distincts : « Le premier consiste à faciliter la sortie en bon ordre d’un État contractant de la Convention du CIRDI en cas de dénonciation. Le second vise à protéger les attentes légitimes de ceux qui se sont appuyés sur le consentement de l’État contractant à l’arbitrage auprès du CIRDI » (para. 289). En l’espèce, il se rangea du côté du Venezuela. Expliquant sa décision, le tribunal affirma que l’article 72 ne pouvait être étendu aux accords d’arbitrage potentiels en plus des accords existants. Dans le cas contraire, un État ayant dénoncé la Convention pourrait se retrouver en position de défendeur dans un cycle imprévisible et sans fin d’arbitrages futurs auprès du CIRDI tant que son consentement unilatéral reste contraignant au titre des traités d’investissement. Cela annulerait les effets de l’article 71.
Le tribunal conclut donc qu’il n’aurait pu avoir compétence sur l’affaire que si le Venezuela avait convenu, avec les investisseurs, d’un accord pour soumettre les différends à l’arbitrage auprès du CIRDI avant de présenter sa requête en dénonciation. Puisque ce n’était pas le cas, et que le Venezuela avait dénoncé la Convention du CIRDI avant que Favianca et OIdV ne lancent leur affaire, le consentement n’était pas parfait, et le tribunal n’avait donc pas compétence sur l’affaire.
Les coûts
Le tribunal ordonna à chacune des parties de payer ses propres frais et dépenses juridiques, et détermina que Favianca et OIdV devaient payer l’intégralité des coûts de l’arbitrage, s’élevant à 915 000 USD.
La procédure en annulation en cours
Le 9 mars 2018, Favianca et OIdV ont lancé une procédure en annulation, contestant la décision du tribunal aux motif qu’il « a outrepassé ses pouvoirs… et interprété et appliqué le TBI et la Convention du CIRDI de manière erronée » (para. 37 de la demande en annulation). Par ailleurs, selon les demandeurs, la décision de l’affaire Favianca « encouragera les pays voyous à violer leurs obligations au titre des traités, en sachant qu’ils peuvent empêcher les investisseurs de leurs demander des comptes… simplement en dénonçant la Convention du CIRDI » (para. 88).
Remarques : le tribunal était composé de Hi-Taek Shin (arbitre président, nommé par le Conseil administratif du CIRDI après examens des observations des parties), de L. Yves Fortier (nommé par les demandeurs, de nationalité canadienne) et de Zachary Douglas (nommé par le défendeur, de nationalité australienne). La décision est disponible sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw9383.pdf. La demande en annulation est disponible sur https://pacer-documents.s3.amazonaws.com/36/180659/04516475124.pdf.
Bettina Müller est membre de l’unité Commerce et investissement du Transnational Institute.