Le Venezuela est reconnu coupable de l’expropriation illicite d’usines d’engrais

Koch Minerals Sárl et Koch Nitrogen International Sárl c. la République bolivarienne du Venezuela, Affaire CIRDI n° ARB/11/19

Un tribunal du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a reconnu le Venezuela coupable d’expropriation illicite dans une affaire portant sur des usines d’engrais, et a accordé plus de 324 millions USD en dommages, plus intérêts.

Le contexte et les recours

En 1997, l’entreprise suisse Koch Minerals Sárl (KOMSA), l’entreprise d’État vénézuélienne Petroquimica de Venezuela S.A. (Pequiven) et deux autres entreprises conclurent une série d’accords pour le développement, la construction et l’exploitation de deux usines d’ammoniac et deux usines de production d’urée à José, au Venezuela.

Le 8 avril 1998, un accord conjoint d’investissement prévoyant la création d’une série d’entreprises vénézuéliennes (FertiNitro) pour la mise en œuvre du projet fut exécuté. Le même jour, un Accord d’écoulement (AE) de 20 ans fut conclu. Au titre de l’AE, KOMSA et Pequiven convinrent d’acquérir une quantité garantie d’ammoniac et d’urée produits par FertiNitro à un prix réduit fixe pour leur propre consommation ou pour la revente sur les marchés locaux et d’exportation. KOMSA assigna par la suite ses droits et obligations au titre de l’AE à Koch Oil Marketing S.A., qui les assigna à son tour à Koch Nitrogen International Sárl (KNI). KOMSA et KNI sont des entreprises associées au sein du groupe d’entreprises Koch.

Dès 2005, le Venezuela imposa à FertiNitro une série de nouvelles taxes et d’augmentations fiscales. En 2007, le président vénézuélien Hugo Chávez émit un décret au titre duquel les producteurs, fournisseurs et exportateurs d’engrais azoté étaient tenus d’approvisionner en urée et ammoniac en priorité le marché national, à un prix maximal fixé par règlement.

Le 10 octobre 2010, le président Chávez annonça l’expropriation de FertiNitro à la télévision, et un décret d’expropriation fut publié le lendemain. Un jour plus tard, le ministre vénézuélien pour l’Énergie et le Pétrole visita les usines et annonça que le Venezuela en avait déjà pris le contrôle.

KOMSA et KIN lancèrent un arbitrage contre le Venezuela en juin 2011 au titre du Traité bilatéral d’investissement (TBI) Venezuela-Suisse et de la Convention du CIRDI. Elles arguaient que le Venezuela avait violé les articles 4 (Traitement juste et équitable [TJE], traitement national, Protection et sécurité intégrales [PSI], traitement discriminatoire), 6 (expropriation) et 11 (clause parapluie) du TBI.

Le 28 février 2012, faisant explicitement référence au décret d’expropriation, le Venezuela décida de ne plus autoriser la vente d’urée et d’ammoniac à KNI, et FertiNitro annula unilatéralement l’AE.

Le tribunal affirme sa compétence sur les recours de KNI

Le Venezuela contesta la compétence du tribunal sur les recours de KNI portant sur l’AE, arguant que les intérêts de KNI dans l’AE ne constituaient pas un investissement au titre du TBI et de la Convention du CIRDI. Pour déterminer ce point, le tribunal procéda donc à un double test, au titre des deux instruments.

Le tribunal conclut que le TBI définit un investissement comme incluant tout type d’actif, et précise qu’au titre du TBI, les parts et participations dans une entreprise, ainsi que l’exécution d’un contrat sont décrites comme des actifs.

En analysant la définition de l’investissement dans la Convention du CIRDI, le tribunal fit référence à l’affaire CSOB c. la Slovaquie pour attester qu’un investissement ne pouvait être découpé en rondelles pour affirmer qu’une partie, prise isolément, ne pouvait être considérée comme un investissement. En outre, le tribunal affirma que l’AE ne devait pas être considéré comme une transaction distincte, sans lien avec le projet ; il devait au contraire être considéré comme faisant intégralement partie de l’essence de l’investissement global. Aussi, le tribunal conclut que la totalité de la transaction faisait partie d’un unique investissement global au sens de l’article 25(1) de la Convention du CIRDI.

Sur cette base, le tribunal conclut que les intérêts de KNI dans l’AE constituaient un investissement à la fois au titre du TBI et de la Convention du CIRDI.

Le Venezuela a procédé à une expropriation abusive des investissements de KOMSA et de KNI

KOMSA et KNI arguaient que le décret d’expropriation et les déclarations du ministre constituaient une expropriation indirecte illicite. Le Venezuela alléguait, quant à lui, que le décret d’expropriation ordonnait l’acquisition obligatoire des actifs de FertiNitro conformément aux lois locales vénézuéliennes et en conformité avec l’article 6 du TBI (relatif à l’expropriation), et que l’annulation de l’AE était une décision commerciale, qui ne pouvait être qualifiée d’expropriation au titre du TBI.

Afin d’analyser le recours en expropriation, le tribunal fit référence au test composé de quatre éléments tel que prévu à l’article 6 du TBI. Selon ce test, l’expropriation est interdite sauf si les conditions suivantes sont satisfaites : (i) la mesure doit être prise dans l’intérêt public, (ii) sur une base  non-discriminatoire, (iii) dans le respect des procédures légales et (iv) assortie d’une indemnisation effective et adéquate.

Selon le tribunal, KOMSA et KNI ne démontraient pas que (i) les mesures n’avaient pas été prises dans l’intérêt public, et (ii) qu’elles étaient discriminatoires. Le tribunal ne fut pas convaincu par les demandeurs selon lesquels le Venezuela était tenu de les informer à l’avance du décret d’expropriation, et conclut que (iii) l’expropriation avait été réalisée dans le respect des procédures légales.

S’agissant de (iv) l’indemnisation, le tribunal remarqua que KOMSA n’avait reçu aucune indemnisation du Venezuela, même plus de sept ans après l’adoption du décret d’expropriation. Aussi, le tribunal considéra que le Venezuela avait procédé à l’expropriation illicite des intérêts de KOMSA dans FertiNitro le 11 octobre 2010. Il considéra que l’expropriation était indirecte car le transfert formel de propriété des actifs de FertiNitro au titre de la loi locale n’est intervenu qu’en juillet 2011, mais qu’elle avait EU les effets d’une expropriation directe le 11 octobre 2010.

Le tribunal mena une analyse distincte des intérêts de KNI en tant que successeur de KOMSA dans le cadre de l’AE. La majorité du tribunal considéra que l’investissement de KOMSA et l’AE faisait partie d’un tout, que l’investissement de KOMSA n’aurait pas eu lieu sans l’AE et que l’investissement de KNI ne pouvait être découpé et isolé. Aussi, la majorité du tribunal détermina que le Venezuela avait également procédé à l’expropriation indirecte et abusive des intérêts de KNI dans l’AE le 11 octobre 2010, en violation de l’article 6 du TBI.

Les autres recours sont rejetés

KOMSA avait également introduit des recours pour les pertes découlant des nouvelles taxes et augmentations fiscales, du non-paiement ou du paiement tardif de certains crédits d’impôts, des effets des mesures adoptées en 2007 portant sur l’approvisionnement prioritaire des marchés nationaux et de l’ingérence dans les affaires de FertiNitro. Cependant, le tribunal rejeta tous les recours ne portant pas sur l’expropriation, considérant qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves que KOMSA, en tant qu’actionnaire minoritaire de FertiNitro (25 pour cents), avait connu des pertes monétaires suffisamment quantifiables et découlant des allégations précédentes, et que les éventuelles pertes de FertiNitro avaient été transmises à KOMSA.

L’indemnisation et les intérêts

Le tribunal ordonna au Venezuela de verser 140,25 millions USD à KOMSA au titre des dommages. À la majorité, il ordonna également au pays de verser 184,8 millions USD à KNI. Ces deux montants furent calculés au 11 octobre 2010. En outre, le tribunal ordonna au Venezuela de payer des intérêts pré-décision (du 11 octobre 2010 jusqu’à la date de publication de la décision) ainsi que des intérêts post-décision (de la date de publication de la décision jusqu’à la date de paiement), calculés dans les deux cas au taux LIBOR dollar américain à 6 mois plus 2 points, composés 6 fois par an.

L’opinion divergente

L’arbitre Zachary Douglas n’était pas d’accord avec la conclusion du tribunal selon laquelle le Venezuela avait exproprié les intérêts de KNI dans l’AE. Selon lui, le décret d’expropriation ne pouvait produire des effets que dans le système juridique vénézuélien et ne pouvait priver KNI de ses droits de propriété immatériels au titre de la loi new-yorkaise, la loi applicable à l’AE. Il affirma que les droits de KNI au titre de l’AE restaient valables et contraignants, même après la publication du décret d’expropriation, et que KNI pouvait les faire exécuter en invoquant la clause d’arbitrage de l’AE.

Remarques : le tribunal était composé de V.V. Veeder (président, nommé par les parties, de nationalité britannique), de Marc Lalonde (nommé par les demandeurs, de nationalité canadienne) et de Zachary Douglas (nommé par le défendeur, de nationalité australienne, en remplacement de Florentino Feliciano, de nationalité philippine). La décision du 19 octobre 2017 est disponible en anglais sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw9397.pdf.

Claudia Arietti est une juriste du Paraguay et est titulaire  d’une maitrise en droit (LL.M) de la Faculté de droit de l’Université de New York.

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