Pac Rim c. El Salvador : tous les recours sont rejetés ; OceanaGold condamnée à payer 8 millions USD de frais

Pac Rim Cayman LLC c. la République d’El Salvador, Affaire CIRDI n° ARB/09/12

Le 14 octobre 2016, un tribunal du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a rejeté sur le fond tous les recours de Pac Rim Cayman LLC (Pac Rim) contre El Salvador. Le tribunal a condamné l’entreprise minière – actuellement détenue par l’entreprise australo-canadienne OceanaGold – à payer 8 millions USD pour couvrir les frais juridiques d’El Salvador.

Le contexte factuel

Entre 2002 et 2008, deux filiales salvadoriennes de Pac Rim ont acquis plusieurs licences d’exploration minière au Salvador. Le plus grand projet concernait le site d’El Dorado, à Cabañas, l’une des régions les plus pauvres du pays. Après avoir vérifié que la zone contenait d’importantes réserves aurifères à forte teneur, la filiale Pac Rim El Salvador (PRES) de Pac Rim a déposé une demande en décembre 2004 afin de convertir sa licence d’exploration – qui expirait en janvier 2005 – en une concession d’exploitation.

La demande ne contenait pas certains documents requis au titre du droit minier salvadorien, tels que le permis environnemental et le consentement des propriétaires de biens situés en surface de la zone concernée par la concession demandée.

Fin 2005, les autorités salvadoriennes ont proposé d’amender le code minier pour limiter expressément la documentation requise à la zone concernée par les infrastructures minières ; s’il était approuvé, l’amendement entrainerait la réduction des documents que PRES devait obtenir et présenter. Bien qu’elles soutinssent PRES dans l’espoir que l’amendement soit approuvé, les autorités lui ont également formellement demandé de présenter les documents manquants et requis au titre du droit.

PRES ne les présenta toutefois pas, et le pouvoir législatif salvadorien rejeta l’amendement en février 2008. Le 10 mars 2008, le Président salvadorien Antonio Saca déclara qu’en principe il était contre l’octroi de nouveaux permis miniers ; un an plus tard, il déclara que Pac Rim ne recevrait pas de concession.

Les recours et la décision sur la compétence

Le 30 avril 2009, Pac Rim lança un arbitrage contre El Salvador – en son nom propre et au nom de ses filiales – au titre du code national de l’investissement et de l’Accord de libre-échange République Dominicaine-Amérique centrale-États-Unis (ALÉAC).

Réclamant des dommages supérieurs à 314 millions USD, l’entreprise arguait que le refus d’octroyer une concession pour le projet El Dorado résultait de la soi-disant interdiction de factode l’extraction de minéraux métalliques imposée par El Salvador en violation des obligations du pays au titre des droits national et international. El Salvador contestait que Pac Rim n’avait pas le droit d’obtenir une concession d’exploitation, et que le pays n’avait pas violé ses obligations et ne devait donc verser aucune indemnisation.

Dans sa décision sur la compétence du 1erjuin 2012, le tribunal rejeta les recours au titre de l’ALÉAC, mais accepta sa compétence au titre du code de l’investissement salvadorien.

Le tribunal ignore une communication amicus curiae du CIEL

Dans sa soumission comme partie non contestante, le Centre pour le droit environnemental international (CIEL) arguait que les mesures prises par El Salvador concernant El Dorado étaient soutenues par ses obligations internationales en matière de droits humains et d’environnement. Le tribunal considéra toutefois qu’il n’était pas nécessaire d’examiner la soumission puisque les parties au différend n’avaient pas consenti à la divulgation des preuves factuelles au CIEL, et puisque les décisions du tribunal « n’exigent pas du tribunal qu’il examine les arguments juridiques avancés par le CIEL : et, en l’espèce, il serait inapproprié pour le tribunal de le faire » (para. 3.30).

Le tribunal rejette les objections supplémentaires du Salvador à la compétence

El Salvador arguait que les recours fondés sur le droit international et la constitution salvadorienne ne relevaient pas du consentement à l’arbitrage établi à l’article 15 du code de l’investissement. Le tribunal rejeta cette objection. Remarquant que le droit applicable n’était pas précisé dans le code de l’investissement ou dans tout autre accord conclu entre les parties, le tribunal invoqua l’article 42 de la Convention du CIRDI pour déterminer que le droit salvadorien (y compris la constitution) et les règles pertinentes du droit international s’appliquaient à l’affaire.

D’après El Salvador, le consentement à l’arbitrage international établi à l’article 15 était éclipsé par d’autres dispositions du droit salvadorien, car le code de l’investissement assujettit spécifiquement tous les investissements en sous-sol à la constitution et aux lois secondaires, et le code minier renvoi les différends relatifs aux licences d’exploration ou d’exploitation minières à la compétence exclusive des tribunaux salvadoriens. Cependant, le tribunal considéra que l’interprétation d’El Salvador n’était pas contraignante, et refusa « d’appliquer d’autres dispositions législatives outrepassant une expression de consentement à la compétence valable, claire et sans ambigüité au titre du droit international » (para. 5.68).

El Salvador invoqua également le code civil salvadorien pour faire valoir que certains recours étaient proscrits. Le tribunal rejeta cette objection en rappelant : « le fait qu’une disposition du droit salvadorien prévoit le consentement à l’arbitrage ne signifie pas que les décisions du tribunal sur la compétence soient régies par le droit salvadorien » (para. 5.71). Il détermina également que les tribunaux d’investissement ne doivent pas nécessairement appliquer les délais de prescription prévus par le droit national.

La décision porte sur le projet El Dorado

Pour déterminer si Pac Rim avait le droit d’obtenir la concession pour le site El Dorado, le tribunal se centra sur deux aspects : l’interprétation légale de l’article 37(2) du code minier, et le recours pour estoppel ou actos propios. Tous deux sont résumés comme suit.

Pac Rim avait également présenté des recours auxiliaires portant sur cinq autres zones minières, mais le tribunal les rejeta tous, déterminant que l’investisseur n’avait pas démontré la responsabilité, la causalité et le préjudice.

L’article 37(2)(b) est interprété de manière négative en l’espèce

L’article 37(2)(b) exige du requérant d’une concession d’exploitation qu’il présente « le titre de propriété des biens ou l’autorisation légale accordée par le propriétaire ». Pour Pac Rim, cela concernait simplement des documents pour la zone (probablement) directement affectée, tandis que El Salvador considérait que les documents étaient requis pour toutela zone en surface de la concession demandée. Le tribunal rejeta l’argument de Pac Rim pour trois raisons.

La première était la complaisance de Pac Rim et de PRES : bien qu’elles sussent que l’interprétation de l’article 37(2)(b) par l’État n’était pas en leur faveur, elles se sont appuyées sur la possibilité d’un amendement, et n’ont pas exploré d’autres voies : « Elles étaient sûres que l’amendement de la législation leur serait favorable. Sur ce point elles se sont trompées » (para. 8.30).

Deuxièmement, le tribunal s’en remit à l’interprétation de la disposition par El Salvador, considérant que : « En général, un tribunal international doit s’en remettre à l’interprétation unanime de bonne foi de ses propres lois par les autorités responsables d’un État avant l’émergence du différend entre les parties » (para. 8.31).

Finalement, le tribunal examina une troisième raison, téléologique. Appliquant le principe de proportionnalité au titre de la constitution salvadorienne, il conclut que l’article 37(2)(b) exigeait le consentement des propriétaires ou occupants en surface faisant face à des risques potentiels ou réels – en plus de ceux directement affectés par les activités – et conclut que Pac Rim n’avait pas respecté cette obligation.

Le tribunal rejette le recours fondé sur la doctrine d’estoppel ou actos propios

Pac Rim arguait également que El Salvador avait fait des « représentations claires et sans équivoques » selon lesquelles la question de l’article 37(2)(b) n’entrainerait pas un refus de la concession, et que Pac Rim s’était appuyé de bonne foi sur ces représentations ; aussi, au titre du droit international ou salvadorien, le pays ne serait pas en droit ou dans l’impossibilité d’affirmer le contraire. Toutefois, le tribunal considéra que El Salvador n’avait pas fait de telles représentations selon lesquelles, en l’absence d’un amendement de la disposition, PRES aurait été jugé comme étant en conformité avec l’exigence, ou que la concession aurait été octroyée même sans cette conformité.

Remarques :le tribunal du CIRDI était composée de V. V. Veeder (président nommé par les parties, de nationalité britannique), de Guido Santiago Tawil (nommé par le demandeur, de nationalité argentine) et de Brigitte Stern (nommée par le défendeur, de nationalité française). La décision est disponible en anglais surhttp://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7640_0.pdfet en espagnol sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7641_0.pdf.

Martin Dietrich Brauch est conseiller en droit international et travaille au Brésil pour le programme Investissement étranger et développement durable à l’IISD.

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