La première affaire CIRDI contre la Guinée est rejetée pour défaut de compétence

Société civile immobilière de Gaëta c. République de Guinée, Affaire CIRDI n° ARB/12/36

Dans une décision datée du 21 décembre 2015, un tribunal du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) s’estima incompétent pour entendre d’une affaire lancée par la Société civile immobilière de Gaëta (Gaëta) contre la Guinée au titre du Code des Investissements de la Guinée.

Ayant construit la Cité des Chemins de Fer (la Cité) sis à Conakry, Gaëta a allégué une expropriation de son investissement ainsi qu’une violation du traitement juste et équitable (TJE) de la part de la Guinée. Gaëta cherchait à obtenir une compensation d’environ 90 millions USD. Toutefois, le tribunal a conclu que Gaëta n’a pas réussi à démontrer qu’il était un investisseur étranger au sens du Code des Investissements. De surplus, Gaëta n’a pas établi qu’elle a réalisé un investissement protégé au sens dudit Code et de l’article 25 de la Convention CIRDI.

Le contexte

Gaëta est une société inscrite au Registre du Commerce français. Sa gestion est assurée par son principal gérant, M. Guido Santullo. Gaëta a réalisé son investissement en Guinée en 1997 par le biais d’un contrat de bail à construction. Le projet comportait la construction de plusieurs bâtiments à usage commercial, administratif et bancaire sur les terrains de la Cité. Le bail, prévu pour une durée de 60 ans, prévoyait aussi un droit pour Gaëta de louer les constructions. Ce contrat prévoyait également des exonérations importantes en matière de droit de douane, d’impôts et de taxes ainsi que de redevances domaniales.

À la suite de la conclusion du contrat, Gaëta avait fait appel à une autre société, Séricom Guinée pour la réalisation des travaux d’études, d’aménagement et de construction. M. Guido Santullo est l’actionnaire majoritaire de cette société. Après la finalisation des travaux en 1999, les locaux étaient loués à de tierces parties. Une seconde société contrôlée par M. Guido Santullo, la SCI Cité des Chemins de fer, fournissait des services de gardiennage et d’entretien des locaux de la Cité et facturait aux locataires ses prestations.

En décembre 2008, la Guinée est entrée dans une période instable de transition gouvernementale suite au décès du Président Lansana Conté. La nouvelle administration se mettant en place a mandaté une société d’audit afin de clarifier le statut juridique des terrains de la Cité et du régime fiscal applicable à Gaëta. La société d’audit a conclu que, d’une part, Gaëta n’était dotée d’aucune existence légale en Guinée et que, d’autre part, la société avait réalisé des revenus en Guinée depuis 1999 et que ces revenus n’ont pas été assujettis à l’impôt.

Par conséquent, Gaëta a été soumis à un redressement fiscal pour fraude fiscale pour un montant d’environ 7, 8 millions USD. De 2009 jusqu’au début 2012, Gaëta a contesté être auteur de fraude fiscale en se prévalant des exonérations fiscales que l’État guinéen avait octroyé à la société auparavant. Toutefois, en 2012, le nouveau Président Alpha Condé a décidé que les immeubles de la Cité seraient réquisitionnés pour un an.

La Guinée conteste que Gaëta soit un investisseur étranger

Le tribunal a d’abord clarifié que seul un investisseur étranger peut se prévaloir du mécanisme d’arbitrage international en vertu du Code des Investissements et de la Convention CIRDI. Vu que Gaëta affirmait être une société française, le tribunal a examiné sa nationalité selon le droit français.

Contrairement à l’argumentation de la demanderesse, le tribunal a souligné qu’il est habilité à se livrer à un examen approfondi du droit national applicable. Selon le tribunal, un tel examen n’est effectué qu’à titre préliminaire et il n’implique pas le contrôle de la validité d’une décision rendue par les autorités nationales (para 135).

Dans son analyse, le tribunal a considéré que Gaëta, ayant son siège social en France, bénéficiait de la présomption d’être de nationalité française. Toutefois, en droit français cette présomption peut être renversée lorsqu’il est établi que la société a son siège réel dans un État étranger.

Afin de déterminer le siège réel, le tribunal a tenu compte du lieu de la direction et de l’administration de la société ainsi que du lieu de l’activité commerciale. En tenant compte des documents soumis, le tribunal a considéré qu’il était manifeste que la gestion des affaires guinéennes de la demanderesse a EU lieu en Guinée entre 1997 et 2009. Ainsi, toutes les correspondances entre la Guinée et la demanderesse étaient toujours adressées en Guinée à M. Guido Santullo. De même, la gestion des loyers et la comptabilité de Gaëta n’avaient pas été effectuées en France, mais depuis les bureaux que la demanderesse entretenait à Conakry. S’agissant finalement de l’activité commerciale, le tribunal a constaté une différence importante entre le chiffre d’affaires annuel généré en France qui se lève à environ 5000 USD et celui généré en Guinée qui se lève à environ 3 millions USD.

Compte tenu de ces éléments, le tribunal a conclu que la demanderesse n’était pas une société française. Le tribunal en déduisait qu’il n’a pas de compétence ratione personae pour la présente affaire.

L’existence d’un investissement protégé

Malgré sa déclaration d’incompétence sur la présente affaire et contrairement au principe d’économie jurisprudentielle, le tribunal a décidé d’examiner également si les conditions de sa compétence ratione materiae étaient réunies en l’espèce « afin d’éviter toute incertitude et par souci d’exhaustivité » (para 183).

Le tribunal a longuement discuté la définition de l’investissement selon le droit international, notamment selon l’article 25 de la Convention CIRDI. Un examen approfondi des critères de la jurisprudence Salini était au cœur de son analyse. Les critères de cette jurisprudence sont : (i) une certaine durée de l’investissement, (ii) une prise de risque de la part de l’investisseur, (iii) un apport substantiel et (iv) la contribution au développement de l’État d’accueil (Salini Costruttori c. Royaume du Maroc).

Selon le tribunal, ces critères ne devraient pas être appliqués de manière rigide et systématique (para. 208) mais doivent être examinés principalement au vu des circonstances concrètes du cas d’espèce en prenant notamment en compte les différents instruments utilisés par les parties pour exprimer leur consentement à la juridiction du CIRDI (Biwater Gauff c. Tanzanie).

Le Code des Investissements de la Guinée ne contient pas une définition expresse de l’investissement mais se contente d’énoncer en son article 2.1 que « [t]oute personne est libre d’entreprendre sur le territoire de la République de Guinée une activité́ commerciale, industrielle, minière, agricole ou de service, dans le respect des lois et règlements de la République ». Selon le tribunal, le droit guinéen ne fournissait que des indices. Pour cette raison, il a examiné le contrat de bail à construction à l’aune des critères dégagés par la jurisprudence Salini (para. 213).

Cependant, dans son analyse des éléments, le tribunal s’est surtout concentré sur l’examen du critère de l’apport substantiel (critère iii) ci-dessus). Le tribunal a souligné qu’un investisseur doit avoir engagé des dépenses afin de poursuivre un but économique. Ces dépenses doivent être substantielles sans qu’il y ait une exigence minimum en termes de capitaux investis. Ensuite, le tribunal a considéré que même si l’origine des fonds est sans importance, il est nécessaire que la demanderesse soit bel et bien l’auteur des dépenses effectuées en lien avec l’investissement (para. 231).

En l’espèce, le tribunal a conclu que le contrat de bail à construction constitue un investissement. En revanche, le tribunal a constaté que Gaëta n’a pas été réellement l’auteur de cet investissement. Après avoir examiné les divers bilans de la demanderesse ainsi que ceux des autres sociétés contrôlées par M. Guido Santullo, Séricom Guinée et SCI Cité des Chemins de fer, le tribunal a estimé qu’il était impossible de déterminer laquelle des sociétés avait réellement financé les travaux de construction de la Cité sur la base des informations lacunaires et contradictoires. Faute de preuve, le tribunal a conclu que Gaëta n’était pas l’auteur de l’investissement et ne pouvait pas bénéficier de la protection offerte par le droit international.

Les coûts

Le tribunal a considéré que, du fait de l’absence de compétence et du fait que la demanderesse a succombé intégralement, elle devrait en principe supporter tous les frais de procédure. Cependant, étant donné que la Guinée avait alourdi la procédure et violé certaines de ces obligations, le tribunal a décidé qu’il était équitable de ne faire supporter que 80 pour cent des frais de procédure à Gaëta. Selon le tribunal, la violation la plus flagrante de la Guinée était son refus de payer la part d’avance au CIRDI conformément aux règles de la procédure. Le tribunal a constaté que cette obligation est systématique et indépendante des chances de succès (para 307). De plus, la Guinée a également alourdi la procédure par la lenteur avec laquelle elle a fournit des documents pertinents pour l’analyse du tribunal. Pour ces mêmes raisons, le tribunal a ordonné à la Guinée de supporter 20 pour cent de ses propres frais et dépenses juridiques.

Remarque : Le tribunal du CIRDI était composé de Pierre Tercier (président, nommé par les parties, de nationalité suisse), de Laurent Lévy (nommé par la demanderesse, de nationalité suisse) et de Horacio A. Grigera Naon (nommé par le défendeur, de nationalité argentine). La décision du 21 décembre 2015 est disponible sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7038.pdf.

Stefanie Schacherer est doctorante et assistante d’enseignement et de recherche à la Faculté de droit de l’Université de Genève.

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