Le Venezuela est condamné à payer pour l’expropriation abusive de l’investissement d’Owens-Illinois

OI European Group B.V. c. la République bolivarienne du Venezuela, Affaire CIRDI n° ARB/11/25

Le Venezuela a été condamné à verser 372 461 982 USD plus intérêts à une entreprise du groupe Owens-Illinois, l’un des plus grands producteurs mondiaux de contenants de verre, pour l’expropriation de ses investissements au Venezuela. Un tribunal du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a rendu sa décision le 10 mars 2015.

Le contexte et les recours

Le demandeur, OI European Group B.V. (O-I), est une entreprise de droit néerlandais. Par le biais de deux entreprises sous son contrôle, Owens-Illinois de Venezuela C.A. (OIdV) et Fábrica de Vidrios los Andes C.A. (Favianca), O-I détenait les plus grands sites de production, de traitement et de distribution de contenants de verre du Venezuela.

L’intention du Venezuela d’exproprier OIdV et Favianca fut rendue publique le 25 octobre 2010, lorsque le Président Hugo Chávez ordonna, au cours d’un programme télévisuel, à son Vice-président de saisir les entreprises. Le décret d’expropriation fut émis le lendemain, chargeant le Bureau du procureur général d’entamer la procédure requise au titre de la Loi vénézuélienne sur l’expropriation de 2002. Des agents armés de la Garde nationale furent envoyés sur place pour contrôler l’accès aux sites et protéger les actifs.

Sur l’exhortation des employés, le Venezuela a pris la direction des sites quelques jours après l’émission du décret d’expropriation, et la production n’a jamais été interrompue. Venvidrio, l’entreprise d’État nouvellement créée, exploite les entreprises depuis le 31 avril 2011. Lorsque la décision arbitrale a été rendue, la procédure d’expropriation suivait son cours, et aucune indemnisation n’avait encore été versée.

O-I a entamé un arbitrage contre le Venezuela au titre du Traité bilatéral d’investissement Venezuela-Pays-Bas (TBI) en septembre 2011, alléguant que le Venezuela avait violé les dispositions et normes du TBI sur l’expropriation, le traitement juste et équitable (TJE), la protection et sécurité intégrales, la liberté des transferts, et la clause parapluie (en violant la loi vénézuélienne sur l’investissement). O-I réclamait également des dommages moraux indirects, au total pas moins de 929 544 714 USD, plus intérêts.

Le tribunal rejette les deux objections juridictionnelles du Venezuela

Le Venezuela argua que O-I ne jouissait pas d’un investissement couvert par le TBI, mais le tribunal considéra que les actifs commerciaux d’O-I, de par leur nature-même, remplissaient la définition de l’« investissement » au titre du TBI et de la Convention du CIRDI, ainsi que les objectifs du traité de promouvoir le développement économique. Citant l’affaire KT Asia c. Kazakhstan, le Venezuela contra que, en acquérant les entreprises par le biais d’une réorganisation, sans effectuer de contribution économique réelle, O-I ne réalisait pas un investissement. Le tribunal rejeta aussi cet argument, indiquant qu’O-I et le groupe Owens-Illinois avaient légitimement acquis les entreprises, réalisé des contributions importantes en capital, et réinvesti les dividendes.

O-I réclamait aussi des dommages d’un montant de 50 millions USD pour les pertes subies par la concurrence de Venvidrio sur le marché brésilien. Dans sa seconde objection, le Venezuela affirmait que les pertes subies par O-I en dehors du Venezuela ne relevaient pas de la compétence du tribunal. Considérant que la question des dommages était intrinsèquement liée à la détermination de la violation, le tribunal décida d’examiner l’objection du Venezuela lors de l’examen quant au fond.

Le tribunal considère que l’expropriation était abusive

Le premier argument d’O-I était que le Venezuela l’avait abusivement exproprié de son investissement. Le tribunal détermina que l’expropriation avait été menée dans l’intérêt public (pour favoriser le développement national) et n’était pas discriminatoire, mais qu’elle était une décision stratégique, puisque les entreprises d’O-I dominaient 60 % du marché des contenants de verre. Cependant, il estima également que l’expropriation n’avait pas été menée conformément au droit, puisque les actifs devant être expropriés n’avaient pas été précisément identifiés, et que le Venezuela avait retardé sans raisons le versement d’une indemnisation.

Le tribunal considère que l’expropriation abusive constitue également une violation du TJE

Après examen de la disposition TJE contenue dans le TBI, le tribunal conclut que la norme oblige le Venezuela à traiter les investisseurs étrangers conformément au droit international, et notamment, de manière non arbitraire et non discriminatoire. Selon lui, puisque l’expropriation était abusive du fait que le Venezuela n’avait pas respecté le droit et indemnisé O-I, le Venezuela avait également violé le TJE, « car il est difficile d’imaginer qu’une expropriation directe illégale ne donne pas lieu à une violation de cette norme » (para. 501). Le tribunal considéra également que le Venezuela avait agi de manière arbitraire en prenant le contrôle des sites de production d’O-I par le biais d’actes administratifs infondés, dont l’objectif réel était d’éviter de devoir obtenir une ordonnance juridique comme l’exige la loi sur l’expropriation.

Les recours fondés sur la protection et sécurité intégrales, la liberté des transferts et la clause parapluie

Le tribunal soutint la défense du Venezuela selon laquelle, en envoyant la Garde nationale sur les sites dans les premières semaines suivant l’expropriation, le pays ne violait pas la norme de protection et sécurité intégrales, mais au contraire la respectait. Il se rangea également du côté du Venezuela et détermina qu’O-I avait renoncé à son droit aux libres transferts au titre du traité lorsqu’elle avait choisi de transférer ses fonds via le marché parallèle des changes. Il accepta cependant le recours de l’investisseur fondé sur la clause parapluie, considérant que les violations par le Venezuela de son propre droit sur l’investissement constituaient des violations du traité.

Le recours fondé sur les dommages moraux n’est pas suffisamment motivé

O-I réclamait 10 millions USD pour dommages moraux soi-disant subis pendant les six mois suivant l’expropriation. Arguant que la conduite du Venezuela était « atroce » (para. 904) pendant cette période, O-I mentionna certains des faits déjà retenus comme violations des normes TJE et de la protection et sécurité intégrales. Le tribunal considéra toutefois qu’O-I n’avait pas correctement décrit les faits et leurs conséquences. Il conclut que le demandeur n’avait pas démontré que les fonctionnaires du Venezuela avaient harcelé ou menacé les employés pour continuer d’exploiter les sites, ou avaient été physiquement agressifs ou menaçants dans leur traitement des entreprises, ou causé des dommages physiques, ou porté atteinte à la réputation d’O-I et de ses représentants.

Les dommages, les coûts et les frais juridiques

Le tribunal analysa dans le détail la question des dommages-intérêts dus à O-I pour l’expropriation. Adoptant au final la méthode d’actualisation fondée sur les flux de trésorerie, il conclut que la valeur marchande des entreprises expropriées telle que calculée par les experts était raisonnable et confirmée par d’autres méthodes. La valeur des deux entreprises était estimée à 510 340 740 USD. Tenant compte des parts d’O-I dans les entreprises, qui s’élevaient à 72,983 %, le tribunal accorda à O-I des dommages d’un montant de 372 461 982 USD. Il fixa les intérêts au taux LIBOR sur un an majoré de 4 points, composés sur une année, et calculés entre la date du décret d’expropriation et la date du paiement de l’indemnisation.

S’agissant des coûts, le tribunal considéra qu’O-I avait EU gain de cause dans la plupart de ses recours. Il ordonna donc au Venezuela de rembourser à O-I sa contribution de 500 000 USD aux frais de procédure, et de lui verser 5 750 000 USD, estimation raisonnable de ses frais de défense, plus intérêts depuis la décision jusqu’au paiement.

Remarques : le tribunal du CIRDI était composé de Juan Fernández-Armesto (président, nommé par le président du conseil administratif, de nationalité espagnole), d’Alexis Mourre (nommé par les demandeurs, de nationalité française) et de Francisco Orrego Vicuña (nommé par le défendeur, de nationalité chilienne). La décision est disponible en espagnol sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw4109.pdf.

Martin Dietrich Brauch est conseiller en droit international et travaille au Brésil pour le programme Investissement étranger et développement durable à l’IISD.

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