Un tribunal du CIRDI conclut que la Bulgarie a violé le TCE en frustrant les attentes légitimes et accorde des dommages-intérêts. Cette décision incitera-t-elle la Bulgarie à se retirer du TCE ?
ACF Renewable Energy Limited c. la République de Bulgarie, Affaire CIRDI n° ARB/18/1
Les investisseurs
ACF, une société de droit maltais, a été fondée peu avant d’acquérir un investissement en Bulgarie. Son principal actionnaire bénéficiaire est ACWA Power International, une compagnie d’électricité saoudienne. En juin 2012, ACF a acquis la centrale photovoltaïque (PV) bulgare Karad Plant en rachetant une société locale. ACF a investi en Bulgarie en partant du principe que la centrale de Karad bénéficierait pendant 20 ans du nouveau régime d’investissement établi par la loi bulgare sur l’énergie produite à partir de sources renouvelables (LESR).
Les réformes du secteur de l’énergie et la recherche d’investissements dans les énergies renouvelables
En raison des coûts élevés de la production d’énergie photovoltaïque avant le milieu des années 2010, la Bulgarie a introduit un nouveau régime d’incitation en mai 2011 en vue d’attirer les investisseurs étrangers dans le secteur photovoltaïque. La LESR a mis en place un régime ex ante comportant trois éléments clés : (i) des achats garantis par la Bulgarie (de la totalité de la production), (ii) le paiement d’un tarif de rachat préférentiel (TRP), et (iii) des conventions d’achat d’électricité (CAE) d’une durée de 20 ans.
Bien que les programmes d’énergie renouvelable ne soient pas rares dans l’UE, le régime de la LESR de la Bulgarie était plus protecteur, protégeant considérablement les investisseurs contre les risques du marché. ACF a décrit ce régime comme étant « sans faille » et capable d’éliminer « pratiquement tout doute matériel quant à ce que la Bulgarie pouvait ou ne pouvait pas faire pour modifier le contexte économique des investissements photovoltaïques une fois qu’ils avaient été réalisés ».
Afin de garantir des rendements raisonnables et de s’aligner sur la législation de l’UE, la Bulgarie a commencé à ajuster le régime de la LESR dès septembre 2012. Elle a introduit des frais temporaires d’accès au réseau, ce qui a EU un impact sur la centrale du demandeur. Cette première modification a été invalidée par la Cour administrative suprême bulgare le 25 mars 2013, et les parties ont réglé le différend relatif aux frais en décembre 2015.
Un an après l’invalidation des frais temporaires d’accès au réseau, la Bulgarie a introduit des frais permanents d’accès au réseau afin de corriger les déséquilibres du système dus à l’augmentation de la production d’énergie, et de réduire les coûts pour les consommateurs. En 2014, la Bulgarie a apporté d’autres modifications au régime de la LESR : elle a supprimé l’élément du rachat total, a plafonné l’électricité achetée aux producteurs bénéficiant de tarifs de rachat, a introduit des « coûts d’équilibrage » pour compenser les déséquilibres intermittents de la production, et a réduit le TRP de 20 % par le biais d’une taxe, déclarée par la suite inconstitutionnelle.
D’autres modifications apportées en 2015 incluaient une contribution obligatoire de 5 % des recettes au Fonds de sécurité du système d’énergie électrique pour compenser les coûts des fournisseurs publics d’électricité. En 2018, la Bulgarie a remplacé le système de TRP par un modèle de prime de rachat (PR), exigeant des producteurs photovoltaïques qu’ils vendent l’énergie au marché de gros sans garantie d’achat totale en échange d’une prime basée sur les prix de gros précoces.
Le tribunal rejette les objections de la Bulgarie à sa compétence
La Bulgarie a soulevé trois objections à la compétence du tribunal : (i) le refus d’accorder des avantages (article 17(1) du TCE), (ii) l’exemption fiscale (article 21 du TCE), et (iii) la compétence exclusive de la CJUE pour interpréter le droit de l’UE.
L’article 17(1) du TCE permet aux parties au traité de refuser la protection des investissements aux entités juridiques détenues par des ressortissants d’États tiers si l’entité n’a pas d’activités commerciales substantielles sur le territoire de la partie au traité dans laquelle elle est constituée. La Bulgarie a fait valoir qu’ACF n’avait pas d’activités commerciales substantielles à Malte. Le tribunal a rejeté cette objection, notant que la Bulgarie était au courant de la structure de l’entreprise ACF depuis le début et qu’elle aurait dû soulever cette question au début de la procédure d’arbitrage.
La Bulgarie a fait valoir que la taxe de 20 % et la contribution de 5 % étaient des mesures fiscales et qu’elles ne relevaient donc pas de la compétence du tribunal en vertu de l’article 21 du TCE. Le tribunal a utilisé un test de « la reconnaissance », concluant que le prélèvement de 20 % n’était pas une taxe – les organes internes de la Bulgarie ne l’avaient pas traité comme tel – mais que la contribution de 5 % en était une et qu’elle était donc exemptée en vertu de l’article 21 du TCE. Malgré certains éléments de mauvaise foi dans la contribution de 5 %, puisqu’elle a affecté les producteurs bénéficiant des TRP de manière disproportionnée, effectivement réduisant leurs subventions, ceux-ci n’étaient pas au cœur de la contribution, et il n’a pas été prouvé que la Bulgarie l’avait conçue pour contourner le TCE.
Enfin, le tribunal a rejeté l’objection intra-UE de la Bulgarie, déclarant que la référence de la Bulgarie à Komstroy ne modifiait pas sa décision provisoire de 2019, non publiée, fondée sur l’arrêt Achmea de la CJUE.
La Bulgarie a violé les attentes légitimes du demandeur
Le tribunal a évalué si la Bulgarie avait créé des attentes légitimes quant au fait que les trois piliers clés du régime de la LESR resteraient inchangés pendant toute la durée de la CAE. Selon le tribunal, une attente ne peut être légitime au titre de l’article 10(1) que si elle est objective, raisonnable et susceptible d’être induite chez tout autre investisseur normal dans les mêmes circonstances.
Le tribunal a estimé que les investisseurs pouvaient légitimement s’attendre à ce que la Bulgarie ne modifie pas substantiellement les trois piliers du régime de la LESR. La promotion de ces caractéristiques par la Bulgarie au moyen de documents politiques, d’une législation spécifique et de discussions avec les représentants des demandeurs avant l’investissement ont induit des attentes légitimes de stabilité réglementaire. Trois mesures ont violé ces attentes : (i) la taxe de 20 % sur les TRP, (ii) le plafond de rachat de la production, et (iii) l’adoption forcée des primes d’achat.
La taxe de 20 %, bien que déclarée inconstitutionnelle par la suite, a temporairement réduit la valeur des TRP, ce qui a eu un impact sur l’investissement du demandeur. Le plafond de rachat de la production était en contradiction avec l’élément d’achat total prévu par le régime de la LESR. Bien que la Bulgarie ait fait valoir que ce plafond était nécessaire pour compenser la surproduction non permise, le défendeur n’a pas réussi à démontrer l’absence de permission. Par conséquent, le tribunal a considéré que le plafond avait pour but de réduire délibérément les profits des centrales photovoltaïques. Enfin, la conversion forcée des TRP en primes d’achat, mettant fin à la CAE avant l’expiration des 20 ans, a annulé les éléments du régime de la LESR relatifs au prix fixe et à la durée.
Le tribunal n’a pas considéré que les frais temporaires d’accès au réseau et les coûts d’équilibrage constituaient des violations. Le premier recours a été réglé entre les parties en 2015, et le second n’a pas modifié de manière substantielle les piliers fondamentaux du régime de la LESR.
La Bulgarie a violé l’article 10(1) du TCE en introduisant des frais permanents d’accès au réseau
Le tribunal a décidé d’examiner cet argument séparément. Il n’a pas considéré que les frais permanents d’accès au réseau étaient en mesure, à eux seuls, de modifier substantiellement l’un des piliers du régime de la LESR. En outre, le tribunal a conclu que les demandeurs n’étaient pas en droit de s’attendre à ce que la Bulgarie n’introduise jamais de frais d’accès.
La violation de l’article 10(1) résulte plutôt d’une conjonction de facteurs. Premièrement, l’introduction des frais d’accès a éliminé les décharges garanties, modifiant ainsi le caractère du régime de la LESR. Deuxièmement, les frais d’accès ont rendu le régime moins attrayant. Troisièmement, les frais d’accès ciblaient les centrales photovoltaïques. Quatrièmement, les frais d’accès n’étaient pas transparents puisque les taux fixés pour les années 2015, 2016 et 2017 visaient à récupérer les coûts encourus au cours des années précédentes malgré la nature « à terme » des frais. Cinquièmement, ils constituaient une double imposition sur l’investissement du demandeur.
Les dommages et les coûts
Le tribunal a rejeté l’argument de la Bulgarie en faveur de dommages-intérêts fondés sur un taux de rendement raisonnable, adoptant à la place la proposition du demandeur. L’indemnisation a été calculée comme la différence entre le prix de vente de l’investissement à une tierce partie et sa valeur prévue si la Bulgarie n’avait pas violé le TCE. Le tribunal a accordé au demandeur 61,04 millions d’euros de dommages et intérêts, au taux EURIBOR majoré de 2 % composé annuellement. En outre, la Bulgarie a été condamnée à payer ses frais de justice ainsi que 80 % des frais de justice du demandeur.
Conclusion
L’arbitrage ACF c. Bulgarie est conforme à de nombreux autres arbitrages au titre du TCE portant sur des modifications apportées aux régimes d’énergie renouvelable. Il illustre la critique selon laquelle le TCE limite la capacité des États à peaufiner des réglementations complexes et maintient la pratique établie concernant l’élaboration de la norme TJE. Notamment, il ne clarifie pas le débat en cours sur la question de savoir si, et dans quelles circonstances, le cadre réglementaire général peut créer des attentes légitimes.
Par conséquent, l’importance de l’arbitrage ACF c. Bulgarie ne réside pas dans le fond de l’affaire, mais dans son calendrier. Le tribunal a rendu sa sentence en janvier 2024, au moment même où le débat sur le retrait du TCE prend de l’ampleur. Étant donné que la Bulgarie n’a pas encore clairement exprimé sa position quant au retrait du TCE, cet arbitrage pourrait potentiellement enflammer ce débat au sein du pays.
Remarque
Le tribunal était composé d’Oscar M. Garibaldi (nommé par le demandeur), du Professeur Pierre Mayer (nommé par le défendeur), et du juge Bruno Simma (président).
Auteur
Leonardo Flach Aurvalle, est associé chez Knijnik Advocacia (BR) S/S. Il est titulaire d’un master en droit international de l’Institut universitaire de hautes études de Genève et est un ancien collaborateur du programme d’investissement durable de l’IISD.
Les déclarations contenues dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement les opinions ou les positions des entités qu’il représente.