La Haute Cour anglaise donne son feu vert à l’exécution d’une sentence arbitrale rendue par le CIRDI dans une procédure au titre d’un traité d’investissement intra-UE

La saga de l’arbitrage des traités d’investissement intra-UE a récemment connu un développement majeur devant les tribunaux anglais. Dans l’affaire Infrastructure Services Luxembourg et Energia Termosolar c. Espagne (Antin c. Espagne), la Haute Cour a pris position en faveur de la reconnaissance et de l’exécution des sentences intra-UE rendues en vertu de la Convention du CIRDI. Antin c. Espagne suit le précédent établi par la Cour suprême britannique dans l’affaire Micula c. Roumanie, qui a déterminé que les traités de l’UE ne prévalaient pas sur les obligations du Royaume-Uni en vertu de la Convention du CIRDI.

Le contexte

La décision de la Haute Cour dans l’affaire Antin c. Espagne concerne une sentence arbitrale du CIRDI rendue dans le cadre d’une procédure en vertu du TCE engagée par des investisseurs luxembourgeois à l’encontre de l’Espagne. La sentence a été rendue en juin 2018, peu après la détermination de la CJUE, dans l’affaire République slovaque c. Achmea BV, qu’une clause prévoyant un arbitrage investisseur-État contenue dans un traité bilatéral d’investissement conclu entre deux États membres de l’UE était incompatible avec le droit de l’UE. En 2021, dans l’affaire République de Moldavie c. Komstroy LLC, la CJUE a étendu l’effet de l’arrêt Achmea en excluant l’arbitrage dans le cadre d’un traité d’investissement intra-UE en vertu du TCE.

Malgré l’arrêt Achmea et l’objection juridictionnelle intra-UE de l’Espagne, le tribunal arbitral a confirmé sa compétence à l’égard des recours d’Antin. Le tribunal a également conclu que l’Espagne avait violé la norme TJE du TCE et a accordé des dommages-intérêts aux investisseurs.

En juin 2021, les bénéficiaires de la sentence ont obtenu une ordonnance ex parte enregistrant la sentence en Angleterre (l’« ordonnance d’enregistrement ») conformément à l’article 1 de la Loi de 1966 sur l’arbitrage (différends internationaux en matière d’investissement) (la « loi de 1966 »), qui met en œuvre l’obligation du Royaume-Uni de reconnaître et d’exécuter les sentences du CIRDI en vertu de l’article 54 de la Convention du CIRDI. L’enregistrement est une condition préalable à l’exécution car, aux fins de l’exécution, les obligations pécuniaires imposées en vertu d’une sentence enregistrée ont, conformément à l’article 2 de la loi de 1966, la même force et le même effet qu’un jugement de la Haute Cour nationale.

L’Espagne a demandé l’annulation de l’ordonnance d’enregistrement, en soulevant, entre autres, une objection d’immunité souveraine. Cette objection était fondée sur la jurisprudence Achmea de la CJUE et concernait la prétendue absence de compétence (i) du tribunal du CIRDI dans la procédure d’arbitrage et (ii) de la Haute Cour dans la procédure d’enregistrement anglaise. Cet article examine successivement ces deux volets.

La jurisprudence Achmea et la compétence du tribunal

Dans le premier volet de son objection juridictionnelle, l’Espagne a fait valoir que le tribunal du CIRDI n’était pas compétent à la lumière des décisions de la CJUE dans les affaires Achmea et Komstroy. Le juge Fraser devait donc déterminer si les traités de l’UE, tels qu’interprétés par la CJUE, prévalaient sur l’obligation du Royaume-Uni de reconnaître et d’exécuter les sentences du CIRDI en vertu de la Convention du CIRDI, telle que mise en œuvre par la loi de 1966.

Ce n’était pas la première fois que les tribunaux britanniques devaient mettre en balance le droit de l’UE et les obligations du Royaume-Uni au titre de la Convention du CIRDI. En 2020, cette question a été examinée en détail par la Cour suprême dans l’affaire Micula c. Roumanie, déjà mentionnée. À cette occasion, la Cour a dû déterminer si l’obligation de coopération loyale prévue par le droit de l’UE exigeait un sursis à l’exécution d’une sentence du CIRDI alors que cette sentence faisait l’objet d’une enquête pour violation des règles en matière d’aides d’État par la Commission européenne et d’une procédure devant la CJUE.

La Cour suprême a levé le sursis, estimant qu’en vertu de l’article 351 du TFUE, le droit de l’UE ne pouvait l’emporter sur les obligations du Royaume-Uni au titre de la Convention du CIRDI, qui étaient nées avant l’adhésion du Royaume-Uni à l’UE (para. 111). S’agissant des obligations du Royaume-Uni en vertu de la Convention du CIRDI, la Cour a souligné que la Convention du CIRDI est « autonome et ne permet aucun contrôle externe » des sentences CIRDI, y compris au « stade de la reconnaissance et de l’exécution ». La Cour a poursuivi en précisant, de manière pertinente, qu’un tribunal national examinant une demande de reconnaissance et d’exécution d’une sentence CIRDI « ne peut pas réexaminer la compétence du tribunal du CIRDI ». Au contraire, les tribunaux nationaux sont « limités à la vérification de l’authenticité de la sentence » (para. 68). Enfin, la Cour a souligné que l’interprétation de la Convention du CIRDI est régie par les principes du droit international et ne peut être affectée par le droit de l’UE (para. 87).

La Haute Cour a considéré que le raisonnement dans Micula était directement applicable à Antin. L’objection juridictionnelle de l’Espagne fondée sur Achmea ayant été « soulevée devant le tribunal arbitral du CIRDI et le Comité du CIRDI, qui l’ont examinée (et rejetée) », ne pouvait pas être réexaminée au stade de l’exécution en Angleterre (Antin c. Espagne, para. 90). De manière cruciale, la Cour a noté que la question de la compétence du tribunal est « exclusivement attribuée en vertu de la Convention du CIRDI au CIRDI lui-même » (para. 79). Par conséquent, le Royaume-Uni avait l’obligation internationale d’exécuter la sentence contre l’Espagne en vertu de la Convention du CIRDI (telle que mise en œuvre dans la législation nationale par le biais de la loi de 1966).

Le juge Fraser a également noté que les obligations du Royaume-Uni en vertu des traités internationaux multilatéraux, dues à tous les signataires de la Convention du CIRDI, n’étaient pas affectées par les arrêts de la CJUE dans les affaires Achmea et Komstroy, étant donné que la CJUE ne pouvait pas être considérée comme « l’arbitre ultime en vertu de la Convention du CIRDI ou du TCE » (para. 80).

À titre subsidiaire, le juge Fraser a estimé que même si l’obligation internationale du Royaume-Uni d’exécuter la sentence avait été affectée par le TFUE, tel qu’interprété par les arrêts de la CJUE dans les affaires Achmea et Komstroy, son obligation d’exécuter la sentence en vertu de la Convention du CIRDI devrait toujours avoir la priorité en vertu des règles de la CVDT applicables aux « traités successifs portant sur la même matière » (art. 30(1)). La CVDT prévoit que « Lorsque les parties au traité antérieur ne sont pas toutes parties au traité postérieur : […] Dans les relations entre un État partie aux deux traités et un État partie à l’un de ces traités seulement, le traité auquel les deux États sont parties régit leurs droits et obligations réciproques » (article 30(4)(b)).

Le juge Fraser a conclu que, compte tenu des faits, étant donné que (i) de nombreux États parties à la Convention du CIRDI ne sont pas parties au TFUE ; (ii) la Convention du CIRDI est antérieure au TFUE ; (iii) l’Espagne et le Royaume-Uni sont tous deux parties à la Convention du CIRDI, et (iv) le Royaume-Uni n’est plus partie au TFUE, la Convention du CIRDI régissait les droits et obligations réciproques du Royaume-Uni et de l’Espagne. En conséquence, le juge Fraser a estimé que l’exécution des sentences CIRDI intra-UE au Royaume-Uni était donc régie par la Convention du CIRDI plutôt que par les dispositions contradictoires du TFUE.

L’immunité de l’État

Dans l’affaire Micula, la Cour suprême a laissé ouverte la possibilité d’invoquer des exceptions à l’exécution en vertu du droit national, mais uniquement dans « certaines circonstances exceptionnelles ou extraordinaires » (Micula c. Roumanie, para. 78), sans préciser ce que ces circonstances devaient impliquer. C’est dans le cadre de cette exception potentielle que le juge Fraser a examiné le deuxième volet de l’objection juridictionnelle de l’Espagne, fondée sur l’immunité de l’État. L’Espagne a fait valoir qu’en vertu de l’article 1(1) de la Loi sur l’immunité des États de 1978 (« la SIA de 1978 »), elle jouissait de l’immunité contre la compétence des tribunaux britanniques dans le cadre de la procédure d’enregistrement. En conséquence, l’Espagne a affirmé que la Haute Cour britannique n’était pas compétente pour émettre l’ordonnance d’enregistrement en premier lieu.

Les demandeurs ont répliqué que l’Espagne avait renoncé à son immunité pour deux raisons distinctes. Premièrement, en vertu de l’article 2(2) de la SIA de 1978, l’Espagne avait conclu un « accord écrit préalable » pour se soumettre à la compétence des tribunaux anglais. La Haute Cour a reconnu que l’Espagne avait conclu des accords écrits préalables pour se soumettre à la compétence des tribunaux anglais en acceptant (i) l’article 54 de la Convention du CIRDI, en vertu duquel les États parties se sont engagés à reconnaître et à exécuter les sentences du CIRDI ; et (ii) l’article 26 du TCE, qui constituait la base juridictionnelle de la sentence arbitrale des demandeurs contre l’Espagne. Deuxièmement, les demandeurs ont soutenu qu’en vertu de l’article 9(1) de la SIA de 1978, l’Espagne avait « accepté par écrit de soumettre un différend […] à l’arbitrage ». Là encore, la Haute Cour a considéré que la Convention du CIRDI et l’article 26 du TCE constituaient des accords écrits de l’Espagne pour soumettre à l’arbitrage international les différends avec les investisseurs d’autres États » (Antin c. Espagne, para. 95 et 102).

Commentaire

L’arrêt du juge Fraser a donné la primauté à la Convention du CIRDI par rapport au droit de l’UE, attirant ainsi potentiellement une vague de procédures d’exécution concernant des sentences intra-UE rendues par le CIRDI. En effet, le 27 mars 2023, la Haute Cour a accordé à des investisseurs deux ordonnances provisoires de mise en recouvrement et une ordonnance provisoire de tierce partie dans le cadre de l’exécution d’une autre sentence intra-UE rendue par le CIRDI, dans l’affaire Blasket Renewable Investments c. Espagne. Le tribunal a fixé une nouvelle date d’audience pour le 2 mai 2023 afin de décider si les ordonnances devaient être maintenues ou annulées. L’arrêt qui en résultera sera sans doute rendu en 2023 et contiendra probablement des observations sur les interactions entre le droit de l’UE et la Convention du CIRDI.

Toutefois, le raisonnement du juge Fraser ne s’appliquait expressément qu’à la Convention du CIRDI et non aux sentences rendues en vertu de la Convention de New York. En effet, il a noté que « l’effet des [articles 53 et 54 de la Convention du CIRDI] est de faire sortir les sentences du CIRDI du régime normal d’exécution des sentences arbitrales, y compris le régime de la Convention de New York, qui permet aux juridictions nationales de refuser la reconnaissance pour des motifs précis » (Antin c. Espagne, para. 78). L’un de ces motifs, énoncé à l’article V(1)(a), est fondé sur l’invalidité de l’arbitrage « en vertu de la loi à laquelle les parties l’ont subordonnée ou, à défaut d’une indication à cet égard, en vertu de la loi du pays où la sentence a été rendue » (Convention de New York, art. V(1)(a)).

Il est intéressant de noter que nous connaîtrons peut-être dans un avenir assez proche la position des tribunaux britanniques sur la question de l’exécution des sentences intra-UE en vertu de la Convention de New York. Récemment, la Pologne a tenté d’obtenir du tribunal d’Amsterdam une ordonnance enjoignant à un investisseur néerlandais de mettre fin à une procédure d’arbitrage en vertu d’un traité d’investissement intra-UE, dont le siège se trouvait à Londres. Le tribunal d’Amsterdam a toutefois refusé d’émettre l’ordonnance, notant qu’il appartenait au tribunal de décider de sa propre compétence en vertu de l’article 30 de la Loi anglaise sur l’arbitrage de 1996 et que les tribunaux anglais n’étaient pas liés par le droit de l’Union européenne. Si le tribunal se prononce en faveur des investisseurs, l’Espagne demandera probablement aux tribunaux britanniques d’annuler toute sentence qui en résulterait, comme elle est tenue de le faire en vertu de l’article 7(b) de l’Accord portant extinction des traités bilatéraux d’investissement entre États membres de l’Union européenne de 2020.

Il convient de noter que les conclusions de la Haute Cour sur l’immunité de l’État sont conformes à la position adoptée par les tribunaux australiens dans les procédures parallèles de reconnaissance et d’exécution dans l’affaire Antin c. Espagne. Dans cet arrêt, la Haute Cour d’Australie a estimé que l’acceptation par l’Espagne de l’article 54 de la Convention du CIRDI constituait une renonciation à l’immunité de l’État contre la compétence des tribunaux australiens, en vertu de l’équivalent australien de la SIA de 1978, aux fins de la reconnaissance et de l’exécution de la sentence.

Cependant, aux États-Unis, les procédures d’exécution des sentences rendues par le CIRDI contre l’Espagne ont donné lieu à des jugements contradictoires. Le 15 février 2023, la Cour de district du district de Columbia a rejeté les objections juridictionnelles de l’Espagne fondées sur les arrêts de la CJUE dans le cadre d’une procédure engagée par des investisseurs pour interdire à l’Espagne de demander des injonctions anti-poursuites devant les tribunaux néerlandais et luxembourgeois. Toutefois, le 29 mars 2023, la même Cour a accepté que, à la lumière d’Achmea et de Komstroy, l’Espagne n’avait pas la capacité juridique pour accepter de soumettre à l’arbitrage les différends avec des investisseurs dans le cadre du TCE. Ces jugements contradictoires doivent être résolus dans le cadre d’un appel devant la Cour d’appel des États-Unis pour le district de Columbia.

Enfin, les objections juridictionnelles fondées sur Achmea et Komstroy ont été confirmées dans les procédures d’exécution et d’annulation engagées devant les tribunaux de l’UE. Achmea a été la première sentence non rendue par le CIRDI à être annulée. La Cour fédérale de justice d’Allemagne l’a annulée en raison de l’absence d’une convention d’arbitrage valable dans le TBI République slovaque-Pays-Bas. Une approche similaire a été adoptée par la Cour d’appel de Paris, qui a annulé une sentence rendue en vertu du TBI Autriche-Pologne. Dans le sillage de Komstroy, la Cour d’appel suédoise a annulé une sentence intra-UE dans l’affaire Novenergia II c. Espagne, rendue dans le cadre du TCE. De même, à la suite d’une nouvelle extension de la doctrine Achmea par la CJUE dans l’affaire PL Holdings c. Pologne, la Cour suprême suédoise a annulé une sentence intra-UE même si la compétence était fondée sur un accord d’arbitrage ad hoc pour l’arbitrage investisseur-État intra-UE. En outre, il semble que l’exécution des sentences intra-UE rendues par le CIRDI se heurtera à une forte résistance au sein de l’UE. En effet, en juillet 2022, la Cour suprême du Luxembourg a refusé l’exécution de la sentence rendue par le CIRDI dans l’affaire Micula, estimant que l’accord d’arbitrage fondé sur le TBI Suède-Roumanie était devenu incompatible avec le droit communautaire lorsque la Roumanie a adhéré à l’UE en 2007, même si le recours devant le CIRDI avait été introduit plus d’un an avant l’adhésion de la Roumanie.

Alors que de plus en plus d’arbitrages intra-UE atteignent le stade de l’exécution et des procédures en annulation, nous verrons probablement une multitude de nouvelles décisions des tribunaux nationaux concernant l’effet d’Achmea et de Komstroy sur la validité et la force exécutoire des sentences.

 

Pour éviter toute ambiguïté, les déclarations contenues dans cet article sont uniquement de nature descriptive et n’expriment aucune opinion sur la nature correcte ou incorrecte des décisions ou des arguments décrits ici. Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement les opinions ou les positions des entités qu’ils représentent.


Auteurs

Karolina Latasz est associée principale au sein du département de résolution des litiges internationaux de Squire Patton Boggs. Elle est également cofondatrice du Young Investment Treaty Forum, créé sous les auspices du British Institute of International and Comparative Law.

Ruggero Chicco est associé au département contentieux de Squire Patton Boggs.

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