Un tribunal arbitral conclut que la Pologne n’a pas violé le TJE dans la réalisation de ses services administratifs à Festorino Invest Limited et autres
Festorino Invest Limited et autres c. la République de Pologne, avec la participation de l’Union européenne (partie non contestante), affaire CCS n° V2018/098
Cet arbitrage fondé sur un traité a été lancé au titre du TCE et du règlement d’arbitrage de l’Institut d’arbitrage de la Chambre de commerce de Stockholm (« le règlement »).
Le tribunal de l’affaire Festorino Invest Limited et autres c. la République de Pologne a rejeté la totalité des allégations du demandeur, concluant que les agences du défendeur n’avaient pas fait preuve d’un retard excessif dans le cadre des procédures administratives relatives à Blue Gas Uników. Le tribunal considéra qu’il n’était pas non plus possible de prouver que le défendeur avait été mal intentionné ou qu’il avait été discriminatoire à l’égard des demandeurs, et donc que le défendeur n’avait pas violé l’article 10(1) du règlement ni les articles 26(2)(c) et 26(4)(c) du TCE. Par conséquent, le demandeur a été condamné à payer tous les coûts de l’arbitrage et à rembourser ses frais juridiques au défendeur d’un total de 1,296,584.50 PLN, assorti d’un intérêt de 5 % par an à compter de la date de la sentence.
Le contexte de l’affaire
En 2012, les demandeurs lancèrent un réseau de centrales de cogénération modernes et très efficaces devant être développé et opéré grâce à des gisements avérés mais inexploités de gaz naturel en Pologne (« l’investissement »). L’investissement a été réalisé par le biais de Blue Gas Holding, une entreprise à responsabilité limitée organisée et enregistrée conformément aux lois polonaises, et dans laquelle le demandeur détenait 100 % des parts.
Au titre de la loi polonaise, les gisements d’hydrocarbures, y compris le gaz naturel, sont assujettis aux règles de la propriété minière, dont les droits exclusifs appartiennent à l’État, c.-à-d. le défendeur. Le trésor public est le propriétaire de tous les dépôts de minerais métalliques (à l’exclusion du minerai de fer des marais), des métaux à l’état natif, du sulfure à l’état natif, du sel gemme, du sel de potassium, du sel potassique et magnésique, du gypse, de l’anhydrite, ainsi que des pierres précieuses. Les gisements d’autres minerais (comme par ex. le sable et le gravier, le calcaire et la dolomite) appartiennent au propriétaire terrien (art. 10 du Code minier). La loi géologique polonaise exige que le ministère concerné octroie une licence avant le commencement de toute activité en lien avec l’exploration, la reconnaissance, et l’extraction minière des hydrocarbures.
Un élément central de la stratégie de Blue Gas Group, mais aussi une condition nécessaire à l’investissement, consistait à obtenir les licences pour l’exploration et la reconnaissance des gisements de gaz naturel sélectionnés et, par la suite, de les convertir en licences pour l’extraction de gaz de ces gisements.
Le problème de la compétence
L’UE souleva des objections à la compétence du tribunal devant connaître de l’affaire. Elle arguait que les demandeurs étaient tous des « investisseurs » de l’UE, de laquelle la Pologne est un État membre, et n’étaient donc pas des investisseurs d’une autre partie contractante du TCE. Selon cet argument « intra-UE », le TCE n’opère pas dans le contexte des différends entre les États de l’UE, mais seulement dans le contexte d’un différend entre un État de l’UE et un État tiers.
Le tribunal considéra que « [r]ien dans le libellé de l’article 26, ou dans toute autre disposition du TCE, ne suggère que puisque l’UE elle-même est une partie contractante, l’Autriche, Chypre, la Pologne et la République tchèque cessent d’être des parties contractantes distinctes l’une de l’autre au titre du TCE ».
L’argument selon lequel le TCE ne peut s’appliquer repose sur l’interprétation des dispositions générales du droit européen, notamment l’article 3(2) du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (« le TFUE »), qui précise que l’Union a la « compétence exclusive pour la conclusion d’un accord international lorsque cette conclusion […] est susceptible d’affecter les règles communes ou d’en altérer la portée ». Toutefois, aucun élément du TFUE ne porte sur la question de la validité continue du TCE lorsqu’il a ramené l’investissement dans le domaine de compétence de l’Union en 2007, après que le TCE ait été ratifié et soit entré en vigueur pour l’UE, l’Autriche, Chypre, la Pologne et la République tchèque.
Si le TCE ne contient aucune disposition concernant la relation entre le TCE et le TFUE ou l’UE plus généralement, il aborde les cas où il existe un conflit entre deux traités. L’article 16 du TCE s’appuie clairement sur le fait que les parties contractantes au TCE (y compris l’UE) avaient l’intention de faire en sorte que le TCE et les traités de l’UE puissent coexister, et dans ces cas, les investisseurs sont en droit d’invoquer la disposition la plus favorable. Compte tenu de cette disposition, le tribunal conclut, citant la décision de l’affaire Vattenfall c. Allemagne, qu’il n’est pas possible « d’interpréter l’article 26 comme suggérant que certains investisseurs pourraient être privés de leur droit en lien avec le règlement des différends, contre un État membre de l’UE ou tout autre » (emphase ajoutée).
Le traitement juste et équitable
Les demandeurs arguaient que les retards administratifs du défendeur constituaient une violation des clauses TJE, NPF et parapluie au titre du TCE. Suite à ce retard, Blue Gas Uników avait été forcée de se déclarer en faillite, et les autres entreprises avaient dû fermer leurs opérations.
S’agissant des obligations TJE, le tribunal conclut que le contexte dans lequel était survenu le retard devait être pris en compte. Une année ne représente pas un retard excessif, et ne constitue donc pas une violation du TJE compte tenu du contexte complexe que représente le lancement d’un projet minier. Aussi, le tribunal ne pouvait soutenir la règle abstraite selon laquelle si une demande est en cours pendant plus d’une année, l’État est internationalement responsable. Appliquant la norme de la responsabilité fondée sur les fautes au titre du TCE (pour évaluer les actions du défendeur dans le cadre de l’octroi des licences), le tribunal affirma que les activités du défendeur n’étaient pas discriminatoires mais avaient été menées de façon assez lente du fait de ses mauvaises structures internes (comme par exemple un sous-effectif). Le tribunal rejeta l’argument des demandeurs fondé sur la norme TJE de l’article 10.
La discrimination
Le demandeur arguait que le ministère avait accordé plusieurs licences à de grands producteurs gaziers, y compris au plus grand producteur étatique, Polskie Górnictwo Naftowe i Gazownictwo S.A. (PGNiG), qui, à l’inverse des demandeurs, n’avait aucun intérêt dans les gisements de gaz. Les demandeurs alléguaient que le refus du ministère de leur accorder leur propre licence était donc discriminatoire.
Selon le tribunal, pour démontrer une discrimination intentionnelle, le tribunal devait être en possession de beaucoup d’éléments attestant (i) que les demandeurs et PGNiG avaient reçu des traitements réellement différents dans des procédures suffisamment similaires pour être comparables ; et (ii) qu’une telle distinction était fondée sur la nationalité et non pas le résultat d’un autre facteur confusionnel non lié à la nationalité. Ici, le tribunal ne disposait pas de d’éléments suffisants sur ces deux points. D’abord, il n’était pas possible d’examiner ces passages restreints sur les licences de PGNiG et de déterminer, sans autre élément que les dires des demandeurs, que PGNiG avait été traitée différemment, ce qui pouvait équivaloir à une éventuelle violation du traité. S’il était possible d’établir la discrimination sur la seule base de résumés limités de licences pétrolières et gazières détenues ou demandées par certaines entités, les États se trouveraient dans une situation impossible devant maintenir des niveaux d’égalité potentiellement superficielle pour éviter les recours au titre des traités. Compte tenu de la complexité de ce secteur et des nombreux facteurs examinés dans les procédures d’octroi de licences, un tel résultat aurait certainement des implications obstructives.
La clause parapluie
Les deux parties se concentrèrent sur le fait que l’argument des demandeurs fondé sur la clause parapluie s’appuyait principalement sur l’article 354 du code civil, qui oblige le défendeur à agir de bonne foi.
Dans cet article, l’expression « ne rien faire » (pour entraver la réalisation de l’obligation) ne peut être interprétée comme impliquant que tout acte du défendeur ayant possiblement même un impact minimal sur l’investissement du demandeur constitue nécessairement une violation de la bonne foi. Le tribunal ne souhaitait pas tenir une discussion prolongée sur les prescriptions de la bonne foi, mais indiqua sans hésiter qu’il fallait plus que de simples inefficacités administratives pour établir une telle violation.
Le tribunal ne disposait pas d’éléments démontrant les mauvaises intentions du défendeur dans les procédures administratives concernées. Il n’était pas convaincu que le défendeur avait agi de manière à compliquer, entraver ou bloquer l’investissement. Il remarqua au contraire que plusieurs procédures administratives n’avaient pas été parachevées dans un délai idéal, compte tenu en partie de facteurs tels qu’un sous-effectif et une certaine incapacité à agir de la manière la plus efficace possible (ainsi que des déficiences dans plusieurs requêtes des demandeurs). Si le tribunal considéra ces faits comme regrettables et convint que les demandeurs s’étaient attendus à un processus plus simple, il ne considéra pas qu’il s’agissait d’une violation de l’obligation de bonne foi.
Même s’il avait existé une violation du devoir de bonne foi telle que l’envisage la loi polonaise, cela ne signifie pas que ce devoir peut être contesté au titre de l’article 10(1) du TCE. Les demandeurs n’avaient pas expliqué comment une obligation générale de bonne foi au titre de la loi polonaise pouvait équivaloir à une obligation « prise » par la Pologne vis-à-vis de l’investissement des demandeurs comme l’exige l’article 10(1). Le tribunal trancha donc la question en faveur du défendeur.
L’agence concernée du défendeur n’avait pas agi dans le cadre d’un retard excessif pendant les procédures administratives impliquant Blue Gas Uników et il n’existait donc pas de violation du TCE. La raison expliquant l’incapacité de Blue Gas Uników de générer des recettes et la raison de sa mise en faillite par les demandeurs étaient probablement sans rapport avec les procédures administratives ayant entraîné le blocage du puits Uników-2, qui n’aurait probablement pas été rentable compte tenu des coûts probables liés à la gestion des problèmes techniques. Puisque le succès de Blue Gas Uników était essentiel au développement des autres projets, puisqu’il était la source de leur financement, il s’ensuit que la décision des demandeurs de mettre Blue Gas Uników en faillite avait effectivement mis un terme à ces autres projets.
La décision du tribunal
Pour les raisons exposées ci-dessus, le tribunal arbitral rejeta à l’unanimité les objections à la compétence présentée par le défendeur et retintsa compétence. Il rejeta également l’ensemble des recours des demandeurs, ainsi que tous les autres recours et ordonna aux demandeurs de payer l’intégralité des coûts de l’arbitrage, ainsi que les frais juridiques du défendeur, c’est-à-dire les frais de l’avocat général de la République de Pologne, d’un montant de 1 296 584, 50 PLN (ou 294 336,87 USD), assortis d’un intérêt de 5 % par an à compter de la date de la sentence.
Auteure
Sotonye Belonwu étudie le droit international et le développement dans la cadre du programme droit et politique économiques. Elle détient un master en droit de l’Université de New York.
Remarques : le tribunal était composé de Bernardo M. Cremades (Président, d’Espagne), de Kaj Hobér (nommé par le demandeur, de Suède), et de Zachary Douglas QC (nommé par le défendeur, d’Australie). La sentence est disponible sur https://www.italaw.com/cases/9130