Un tribunal ad hoc conclut en faveur d’un investisseur allemand dans l’énergie
Frazer Solar GMBH c. le Royaume du Lesotho
Dans sa décision de janvier 2020, un tribunal ad hoc a ordonné au Royaume du Lesotho de verser 50 millions EUR à l’investisseur allemand Frazer Solar GMBH (Frazer) en raison de la violation du contrat d’investissement relatif à un projet énergétique.
Le contexte et les recours
En 2013, le Lesotho modernisa sa politique énergétique pour tirer parti des énergies renouvelables et réduire sa dépendance aux combustibles fossiles ainsi que l’importation d’électricité. Par la suite, le demandeur proposa un projet d’énergies renouvelables en novembre 2017 (« le projet »), et Frazer et le Lesotho conclurent un protocole d’accord non contraignant (« le protocole »). D’après le protocole, le projet proposé concernait l’installation de 36 000 à 40 000 systèmes de chauffage solaire de l’eau (SCS) et jusqu’à un million de diodes électroluminescentes (LED) sur une période de quatre ans. Le projet devait être financé par l’agence allemande de crédit à l’exportation, KfW IPEX-Bank GmbH (« KfW ») à hauteur de 100 millions EUR.
En septembre 2018, les parties conclurent un accord d’approvisionnement écrit sur la base du protocole. Toutefois, après la signature de l’accord d’approvisionnement, le ministre des Finances du Lesotho, Majoro, rejeta l’offre de financement du projet par KfW. Plus tard, les médias locaux indiquèrent que le ministre Majoro s’était déjà engagé en faveur d’un autre projet d’énergie renouvelable à Mafeteng au Lesotho, financé par une banque d’État chinoise, la banque EXIM (para. 53).
Supposant que l’accord d’approvisionnement ne serait pas appliqué, le demandeur adressa une mise en demeure au défendeur mettant en avant des violations de l’accord d’approvisionnement par le Lesotho. Le gouvernement du Lesotho ne répondit pas à la mise en demeure, et ne prit aucune autre mesure corrective. Le 29 juillet 2019, le demandeur adressa un courrier au Premier ministre et au ministre Tsolo pour notifier le gouvernement de la résiliation de l’accord d’approvisionnement.
En août 2019, le demandeur déposa une demande d’arbitrage ad hoc contre le Lesotho au titre de la clause 24 de l’accord d’approvisionnement, alléguant que le Lesotho avait violé plusieurs obligations au titre de l’accord d’approvisionnement. Le 8 août 2019, la présidence du Conseil du barreau de Johannesburg nomina un arbitre unique à l’instance du demandeur. L’arbitrage siégeait à Johannesburg, et était régi par le droit sudafricain. Les allégations du demandeur incluaient deux ensembles de violations. D’abord, le demandeur alléguait que le défendeur avait violé ses obligations au titre de la clause 17 de l’accord d’approvisionnement, selon laquelle le défendeur garantissait que le projet respectait l’ensemble des lois et avait reçu toutes les approbations gouvernementales nécessaires (para. 30.1.1) ; que le demandeur était expressément autorisé à lancer la mise en œuvre du projet sans délais (para. 30.1.2) ; que le défendeur avait signé l’accord de financement avant ou en même temps que la signature de l’accord d’approvisionnement, et avait convenu d’être lié par les termes de l’accord de financement ; que le défendeur avait convenu de rémunérer le demandeur pour les travaux réalisés conformément au calendrier fixé dans l’accord d’approvisionnement (para. 30.1.4) ; et que le défendeur garantirait le bon déroulement du projet, sans interruptions ou délais (para. 30.1.5).
Ensuite, le demandeur arguait que le défendeur avait violé la clause 18 de l’accord d’approvisionnement, qui prévoyait que pendant 5 ans après l’entrée en vigueur du contrat d’approvisionnement, le défendeur donnerait au demandeur la primeur de mener tout autre projet d’énergie renouvelable ou de génération d’électricité au Lesotho (para. 30.2). La clause 18 de l’accord d’approvisionnement prévoit que (para. 30) :
« Le GOL [gouvernement du Lesotho] s’engage à donner à FSG la primeur de toute autre opportunité relative à la génération d’énergie ou d’électricité, ou à l’efficacité énergétique, pendant une période de cinq ans à partir de la date de commencement ».
Compte tenu de ces allégations, le demandeur réclamait 50 millions EUR à titre de dommages-intérêts, ainsi que la valeur attendue des profits que le projet aurait réalisé si le défendeur avait respecté l’accord d’approvisionnement.
Les allégations accueillies par le tribunal
En soutien de ses arguments, le demandeur s’appuyaient sur des éléments de discussions personnelles, ainsi que sur les négociations relatives à la conclusion du protocole et de l’accord d’approvisionnement entre Frazer, le fondateur et directeur de l’entreprise demanderesse, et le gouvernement du Lesotho. Le tribunal accepta les preuves du demandeur et confirma les allégations de violation de la clause 17, au titre de laquelle le défendeur garantissait la mise en œuvre opportune et sans heurts du projet (para. 100).
Le tribunal précisa plusieurs facteurs importants à l’heure de conclure. En premier lieu, il considéra que les arguments du demandeur étaient suffisamment étayés par les preuves documentaires récentes, même si le demandeur était le seul témoin entendu.
En second lieu, le tribunal tint compte de l’existence de correspondance tripartite contemporaine entre le demandeur, le ministre Tsolo, et KfW, au sujet de l’engagement par KfW de financer le projet, et de la demande du ministre Tsolo à KfW pour la présentation d’une offre formelle sur la question (para. 97).
En troisième lieu, le tribunal prit également note des preuves montrant l’intention du demandeur d’obtenir la conclusion de l’accord d’approvisionnement avant de déposer la demande d’arbitrage. Toutefois, le gouvernement du Lesotho ne répondit à aucun de ces documents, ce que le tribunal qualifia de « déconcertant » (para. 99).
Par ailleurs, le tribunal détermina que le gouvernement du Lesotho avait apporté les garanties incluses dans les clauses 17.1.1 à 17.1.3, et 17.1.5 à 17.1.7, et que sa conduite constituait une violation de ces obligations (para. 100). Le tribunal remarqua également que certaines clauses (notamment les clauses 5.1.4 et 17.2) de l’accord d’approvisionnement abordaient explicitement l’importance de la réalisation opportune du projet (para. 101). Le projet n’avait pas été réalisé car le ministre des Finances avait refusé d’exécuter l’accord de financement nécessaire à la réalisation du projet, puisqu’il s’était déjà engagé à soutenir un projet concurrent d’énergie renouvelable à Mafeteng (para. 104).
Compte tenu de ces considérations, le tribunal conclut que le défendeur avait matériellement violé plusieurs dispositions de l’accord d’approvisionnement. Selon lui, ces clauses étaient essentielles à la mise en œuvre du projet, et leur violation sapaient le fondement même de l’accord d’approvisionnement (para. 105).
Les allégations rejetées par le tribunal
Le tribunal rejeta toutefois l’affirmation du demandeur selon laquelle le défendeur avait violé la clause 18 de l’accord d’approvisionnement. Selon cette clause, le demandeur était habilité à recevoir les droits contractuels de la première opportunité de réaliser d’autres projets d’énergie renouvelable avec le gouvernement du Lesotho, après la réalisation du projet actuel régi par le contrat d’approvisionnement (para. 107). Aussi, pour établir une violation de la clause 18, le projet de Mafeteng aurait dû être en concurrence avec d’autres projets d’énergie renouvelable au Lesotho après le parachèvement fructueux du projet actuel (para. 107).
Toutefois, même en adoptant une interprétation la plus généreuse possible des preuves présentées par le demandeur, le tribunal refusa de considérer le projet de Mafeteng comme l’une de ces opportunités de projets d’énergie renouvelable visées par la clause 18 (para. 108). À cet égard, le tribunal remarqua que l’échec de l’accord d’approvisionnement s’expliquait par le refus du ministre Majoro de signer l’accord de financement avec KfW en raison de son engagement en faveur du projet de Mafeteng, concurrent direct du projet visé par l’accord d’approvisionnement. Le tribunal remarqua au contraire que ces deux projets étaient concurrents, et que la survie du projet de Mafeteng indiquait la résiliation de l’accord d’approvisionnement (para 108.4). Aussi, le projet de Mafeteng ne faisait pas partie de « toute autre opportunité dans l’énergie renouvelable » après la réalisation de l’accord d’approvisionnement exigée par la clause 18. Compte tenu de cette détermination, le tribunal conclut que le demandeur n’avait pas réussi à démontrer une violation contractuelle de la clause 18 de l’accord par le défendeur. (para. 109).
L’indemnisation
Le tribunal affirma que le demandeur avait le droit à des dommages-intérêts au titre des violations précédentes, c.-à-d. les dommages découlant de son principal recours ou les pertes de profits dans le recours secondaire (para. 110). L’indemnisation devait permettre au demandeur d’être dans la situation qu’il aurait connu si le défendeur n’avait pas violé les termes de l’accord d’approvisionnement, sans l’exposer de manière négative ou positive aux fluctuations du taux de change entre l’euro et le loti, la devise locale (para. 114.3). Aussi, le tribunal finit par accorder une indemnisation monétaire, tels que fixés par le demandeur, à 50 millions EUR, conformément à la clause 12 de l’accord d’approvisionnement (para. 112).
Le tribunal fixa les intérêts sur l’indemnisation due à un taux de 1,7 % par an, ou 2 328 EUR par jour. S’agissant des intérêts pré-décision, le tribunal considéra qu’ils devaient courir depuis la communication du demandeur au défendeur du 11 mars 2019 concernant les violations, jusqu’à la date de la sentence. Les intérêts pré-décision s’élevaient donc à 754 273 EUR.
Remarques : le tribunal était composé d’un arbitre unique, Vincent Maleka SC, nommé par la présidence du Conseil du barreau de Johannesburg. La décision datée du 28 janvier 2020 est disponible sur https://jusmundi.com/en/document/decision/en-frazer-solar-gmbh-v-the-kingdom-of-lesotho-arbitration-award-tuesday-28th-january-2020.
Anqi Wang est stagiaire en droit économique international à IISD, et chercheuse doctorante au World Trade Institute de l’Université de Bern (Suisse).