La refonte du droit de l’investissement à partir de la base : l’extractivisme, les droits humains et les traités d’investissement

Les efforts de réforme du régime des traités d’investissement ont pris de l’ampleur, mais ils sont beaucoup trop restreints, comme si les traités existaient indépendamment des cadres plus larges de gouvernance[1]. La spécialisation pousse les juristes vers des mandats limités, tandis que les discours dominants en faveur des politiques d’investissement mettent l’accent sur les relations investisseur-État et sur des questions générales, telles que les flux d’investissement transfrontières. L’intérêt renouvelé quant à la manière dont les traités interagissent avec d’autres normes internationales, notamment les droits humains[2], doit encore se traduire en une refonte profonde des traités d’investissement.

Ces tendances contrastent avec les réalités locales des relations d’investissement. Même si l’État joue un rôle central dans la réglementation et le contrôle des investissements, les projets à grande échelle impliquent ou affectent souvent un éventail plus large de parties-prenantes, chacune avec ses propres intérêts, potentiellement contraires. De plus, l’application des traités d’investissement recoupe généralement d’autres règles du droit national et international, et les implications pratiques d’un traité dépendent en partie de ces règles. Les arrangements de gouvernance posent des problèmes pour la réconciliation des intérêts commerciaux et du développement économique, de la justice sociale et de la protection de l’environnement. Et si le règlement des différends investisseur-État s’intéresse aux réparations éventuellement dues par l’État à l’investisseur, ces procédures peuvent avoir des ramifications sur l’ensemble de la gouvernance, et affecter d’autres acteurs et droits au-delà la dyade conventionnelle investisseur-État[3].

Les investissements à grande échelle dans le secteur des ressources naturelles illustrent bien ces complexités. Les opérations minières, pétrolières, de foresterie et agricoles peuvent avoir des effets profonds sur les petits exploitants agricoles, les habitants des forêts, les bergers et les pêcheurs artisanaux, ainsi que pour les groupes reconnus par le droit international comme les peuples autochtones. Les relations entre les entreprises, les personnes affectées et les diverses branches du gouvernement impliquent souvent des instruments juridiques variés qui soutiennent des recours contraires, des dispositions constitutionnelles et de la législation sectorielle, aux traités internationaux protégeant l’investissement étranger, les droits humains ou l’environnement. Par ailleurs, l’approche adoptée par le gouvernement pour le développement des ressources naturelles peut largement diverger des souhaits des groupes locaux. Aussi, lorsqu’un État se défend, par exemple dans le cadre d’un arbitrage investisseur-État, il ne va pas nécessairement protéger les mêmes intérêts que les groupes locaux.

À cet égard, les investissements dans les industries extractives peuvent exposer les tensions systémiques qui s’infiltrent dans la gouvernance de l’investissement étranger. Le fait de bien comprendre comment les traités d’investissement fonctionnent dans ces contextes peut transformer notre compréhension des relations d’investissement et la manière dont nous les abordons. Cela peut également nous aider à réformer le régime des traités d’investissement et sa relation avec d’autres normes internationales, notamment en matière d’environnement et de droits humains.

Le droit et l’économie POLITIQUE de l’extractivisme

Dans les pays qui dépendent des ressources naturelles, les activités extractives ont une relation profonde avec l’État : les autorités publiques dépendent souvent largement des recettes provenant des ressources, et plus important encore, l’allocation des droits sur les ressources permet à l’État d’exercer une occupation effective, et donc d’asseoir sa souveraineté au titre du droit international[4]. Certaines ressources telles que le pétrole, l’or et l’huile de palme peuvent soutenir les mythes de l’identité nationale et du développement, ainsi que les exportations et le change. La gouvernance des ressources naturelles peut impliquer des consultations publiques extensives quant aux voies du développement, et diverses formes de coordination et de résistance de la part des groupes affectés par les activités extractives.

Même si les modèles de gouvernance varient beaucoup, certaines caractéristiques tendent à faciliter les projets à grande échelle. Les institutions de l’État ont souvent le contrôle sur les ressources naturelles et ont le pouvoir de les allouer à des investisseurs prospectifs. Divers arrangements juridiques encouragent les investissements commerciaux tout en marginalisant les droits locaux sur les ressources naturelles qui pourraient les freiner. Par exemple, des notions larges ou mal définies de « l’objectif public » peuvent permettre aux autorités d’exproprier des terres et d’accorder des droits à des projets extractifs, donnant en effet la priorité à certaines activités privées, par rapport à d’autres[5]. Par ailleurs, au titre de certaines législations, les droits fonciers sont conditionnels, en échange d’une preuve « d’utilisation productive », fondée sur une notion biaisée de la productivité – souvent mesurée uniquement en termes de changement à long-terme dans l’utilisation des terres, et affaiblissant les droits des cultivateurs, des bergers et des chasseurs-cueilleurs itinérants[6].

Ces arrangements, qui trouvent souvent leurs racines dans l’héritage colonial, facilitent les investissements qui, par le biais de réseaux complexes de contrats, intègrent les sites d’extraction à l’économie mondiale. Ils sont intégrées dans de nombreuses économies politiques variables faisant le lien entre l’État et les élites nationales, cherchant à satisfaire des intérêts publics ou personnels au moyen de l’extraction des ressources ; des marchés d’exportation en mal d’approvisionnement garanti des matières premières ; le capital étranger cherchant des opportunités commerciales ; des institutions financières internationales soutenant ou imposant des réformes politiques favorables aux entreprises ; et des acteurs locaux, comme les autorités traditionnelles, cherchant un compromis sur l’accès aux sites riches en ressources[7]. Ces arrangements figurent parmi les causes profondes des conflits associés à l’expansion des sites extractifs à des zones qui n’ont pas connu d’investissements à grande échelle, car la loi sape le lien traditionnel que les personnes ont avec le territoire qu’elles occupent. Elle donne plutôt des droits sur les ressources en priorité aux opérateurs commerciaux. Dans de tels contextes juridiques, même les investissements conformes au droit national peuvent systématiquement nuire aux droits locaux sur les ressources.

Les conflits naissent souvent d’une distribution biaisée des coûts et des bénéfices, ainsi que de la dépossession matérielle et de la dislocation imposées aux acteurs locaux par les grands projets. Mais ces conflits peuvent également trouver leur source dans les transitions plus profondes que de tels projets représentent, où les impératifs commerciaux et de développement national prennent le pas sur les valeurs sociales, culturelles et spirituelles que de nombreuses personnes attachent à leur environnement immédiat. Compte tenu de ces enjeux, les différends en matière d’investissement peuvent susciter d’âpres conflits entre les entreprises, les personnes dont le mode de vie est menacé, et les diverses agences gouvernementales nationales et locales, mais aussi des divisions au sein des communautés, et entre elles.

Le rôle du droit international

Le droit international est le fondement juridique des stratégies extractives. Il organise les peuples et les territoires en États[8], et accorde aux États « la souveraineté permanente » sur les ressources naturelles situées dans leur juridiction[9]. Le droit international exige des États qu’ils exercent leur souveraineté « dans l’intérêt […] du bien-être de la population »[10]. La population d’un pays représente généralement des intérêts et souhaits divergents, et les États ont l’autorité juridique de réconcilier ces intérêts et de les représenter sur la scène internationale. Dans la pratique, l’expérience met en avant les intérêts variés que diverses institutions étatiques mettront en avant[11], tandis que les normes internationales sur des questions telles que les droits humains, les peuples autochtones, et la gouvernance environnementale affirment la nature pluraliste des organisations politiques dans la réalité.

Le droit international impose des obligations aux États et prévoit des réparations en cas de violations, permettant aux acteurs non-étatiques d’invoquer le libellé du droit international pour tenter d’influencer les autorités publiques. Le recours au droit international dans les différends portant sur les ressources naturelles a également donné lieu à de réelles procédures juridiques visant à reconnaître la responsabilité des États pour des violations alléguées, notamment à des litiges relatifs aux droits humains et des arbitrages investisseur-État. Ces procédures découlent souvent de différends complexes où des univers distincts s’affrontent : les conseils d’administration d’une part, et les modes de vie traditionnels des personnes ayant un lien fort avec leur terre et leur territoire, d’autre part.

Compte tenu des contextes social et juridique desquels elles émanent, ces procédures peuvent mettre au jour les tensions entre les concepts local et international, et entre les diverses normes internationales. Par exemple, les procédures internationales relatives aux droits humains peuvent exiger des demandeurs qu’ils présentent leur recours relatif aux ressources naturelles sous forme de notion des droits humains, tels que le droit à la propriété, qui sont contraires aux conceptions autochtones. Et si la jurisprudence en matière de droits humains a mis en avant les liens des peuples avec leur territoire, les cosmovisions traditionnelles, l’auto-détermination et à la réalisation des droits socio-économiques[12], les normes de protection de l’investissement considèrent les ressources naturelles principalement comme des actifs commerciaux, dont la valeur s’exprime en termes monétaires.

Les tensions au sein du droit international sont particulièrement apparentes dans les affaires où les droits humains et les traités d’investissement protègent des recours concurrents fondés sur les ressources. Dans le cadre de procédures auprès de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, les peuples autochtones ont contesté la gestion de la restitution des terres et l’octroi de concessions commerciales. Ces recours peuvent entrer en conflit avec les normes de protection de l’investissement. Dans l’affaire Communauté autochtone Sawhoyamaxa c. Paraguay, par exemple, une communauté autochtone réclamait la restitution des terres détenues par un investisseur étranger protégé par un traité bilatéral d’investissement[13]. Inversement, dans plusieurs arbitrages investisseur-État, des entreprises ont contesté des mesures que les États prétendaient avoir prises, au moins en partie, ou pour la forme, pour répondre aux préoccupations ou tensions locales quant à l’impact d’un projet, tandis que les États et les parties non contestantes ont développé des arguments fondés sur les droits humains pour convaincre les tribunaux arbitraux de rejeter les recours des investisseurs. Dans l’affaire Bear Creek c. Pérou, pour n’en citer qu’une, le tribunal a abordé les implications de l’obligation de tenir des consultations préalables établie par les instruments juridiques internationaux protégeant les droits des peuples autochtones, parvenant au final à des conclusions divisées, tant sur le droit que sur les faits [14].

L’Intégration systémique et ses problèmes

D’un côté, le droit international offre des outils pour gérer ces tensions. Par exemple, « l’intégration systémique » exige des tribunaux qu’ils tiennent compte des autres règles pertinentes applicables du droit international à l’heure d’interpréter un traité[15]. Les tribunaux arbitraux ont reconnu que les traités d’investissement faisaient partie du droit international général, et dans certains, ont appliqué l’intégration systémique et pris en compte les droits humains[16]. Toutefois, l’intégration systémique ne modifie pas la portée de la compétence d’un tribunal, et laisse une place considérable à la discrétion, par exemple s’agissant de déterminer les règles pertinentes et le poids à leur attribuer. L’on peut se demander alors si les tribunaux d’investissement sont bien placés pour interpréter la législation relative aux droits humains.

Plus fondamentalement, ces tensions entre les arguments en faveur des droits humains et ceux en faveur du droit des investissements reflètent des problèmes systémiques, plutôt que des incidents isolés, et les stratagèmes de coordination de l’interprétation des normes internationales ne suffiront pas à y remédier. Le recours aux droits humains est souvent une réponse à la marginalisation structurelle des acteurs locaux dans la gouvernance nationale, qui peut donner lieu à des situations où les autorités octroient des concessions sans consultation ou indemnisation, sans parler du respect des droits sur les ressources et des croyances locales. En parallèle, la mobilisation publique contre un projet d’investissement perçu comme ayant été approuvé sans consultation légitime peut donner lieu à des manifestations, à des mesures gouvernementales visant à annuler ou à renégocier le projet, et finalement à l’arbitrage investisseur-État.

Ces considérations indiquent un décalage entre la nature des différends et les règles et procédures internationales établies pour les régler. Si les différends relatifs aux ressources naturelles impliquent souvent une multitude d’acteurs et abordent des questions diverses, la compétence des tribunaux d’arbitrage investisseur-État consiste principalement à déterminer si un État a manqué à certaines de ses obligations relatives au traitement dû aux investisseurs étrangers. Cela réduit les limites du différend et écarte d’autres arguments, tels que ceux fondés sur les droits humains, les reléguant par exemple aux discussions relatives au montant que l’État devra payer à une entreprise[17]. Les militants locaux ont la possibilité, qu’ils saisissent souvent, de lancer leur propre recours auprès des tribunaux nationaux, des organes internationaux des droits humains et des mécanismes de plainte établis par des bailleurs ou des organes communautaires. Cette absence de coordination entre les procédures relatives aux recours fondés sur l’investissement et aux recours fondés sur les droits humains peuvent donner lieu à une fragmentation des procédures et des conclusions.

Les conséquences du droit des investissements sur la répartition

Dans les différends complexes relatifs aux ressources naturelles, les contours étroits du droit des investissements ont des conséquences sur la répartition, marginalisant structurellement les acteurs locaux dont les droits peuvent être directement en jeu, des personnes victimes de dépossession ou de dommages environnementaux aux bénéficiaires éventuels de réformes agraires. D’un point de vue procédural, les acteurs qui auraient contesté les politiques de l’État dans la rue ou même auprès des tribunaux nationaux doivent maintenant compter sur les agences de l’État pour représenter leur point de vue. Même si le règlement d’arbitrage leur permet de présenter un dossier d’amicus curiae, celui-ci n’est qu’une simple contribution informative ponctuelle pour aider le tribunal dans ses délibérations. Les tribunaux ont toute discrétion pour l’accepter ou non, et attribuer un poids, s’ils les utilisent, aux arguments qu’il contient. Compte tenu de l’accès restreint aux documents et audiences de l’affaire, il est difficile pour les auteurs des amicus de cibler leurs arguments, réduisant la probabilité que le tribunal les prenne en compte[18]. Aussi, les points de vue locaux sont généralement « invisibles » dans les procédures de règlement des différends[19].

Le régime des traités d’investissement a également de l’importance sur le fond, car il peut affecter à la fois la gamme d’intérêts protégés et la force de cette protection juridique. En élevant au plan international les droits et intérêts de certains acteurs privés, sans leur imposer d’obligations proportionnelles[20], il altère l’équilibre des droits et obligations entre les entreprises transnationales, les agences étatiques, et les acteurs locaux. Par exemple, bien que l’acquisition des droits sur des ressources naturelles soient typiquement réglementé par le droit national, le droit international protège les intérêts des investisseurs, intérêts qui ne sont pas nécessairement reconnus comme des droits légaux au titre du droit national. En effet, les tribunaux arbitraux ont interprété les traités d’investissement comme protégeant les « attentes légitimes » des investisseurs, que les représentants de l’État peuvent susciter s’ils garantissent que des terres sont disponibles et que les permis nécessaires seront octroyés, par exemple.

Si des représentants de l’État font de telles promesses avant de consulter les personnes affectées, des tensions peuvent émerger entre les attentes de l’investisseur et les droits locaux sur les ressources. En élevant les attentes des investisseurs en revendications juridiques, la doctrine des attentes légitimes peut faire pencher la balance entre ces intérêts contraires[21]. L’indemnisation est la réparation la plus commune dans l’arbitrage investisseur-État, ce qui signifie que les États peuvent sauvegarder les droits locaux et indemniser les investisseurs. Mais les procédures arbitrales peuvent avoir des effets directs sur les droits de tierces parties, par exemple lorsqu’un investisseur demande une forme de réparation qui interfère avec l’exécution de sentences en faveur de tierces parties et émanant des tribunaux nationaux[22] ; le risque d’être empêtré dans un arbitrage coûteux pourrait même tout simplement décourager l’État d’agir[23].

Si les acteurs locaux peuvent se tourner vers les organes internationaux des droits humains, les traités d’investissement offrent aux investisseurs étrangers des protections plus importantes et plus faciles à exécuter. Contrairement aux traités d’investissement, les instruments relatifs aux droits humains exigent des demandeurs qu’ils épuisent toutes les voies de recours internes avant de pouvoir accéder à la réparation internationale, et les procédures nationales peuvent durer des années. D’autres asymétries peuvent également découler des normes de fond ou des normes d’examen. Par exemple, la Cour européenne des droits de l’homme affirme que les États jouissent d’« une marge d’appréciation » dans l’application des normes internationales, définissant sa propre compétence comme s’intéressant uniquement à déterminer si les autorités ont atteint un « équilibre juste » général entre les intérêts privés et publics. À l’inverse, la plupart des tribunaux arbitraux n’ont pas suivi la doctrine de la marge d’appréciation, et dans des affaires fondées sur l’expropriation, ont cherché à déterminer si la conduite de l’État satisfaisait à l’ensemble des conditions généralement imposées par les traités d’investissement pour une expropriation légale. S’agissant des dommages, les tribunaux investisseur-État octroient généralement des montants bien plus importants que les tribunaux des droits humains[24]. Ces différences sont encore plus marquées lorsque la région concernée ne dispose pas d’un tribunal des droits humains effectif.

Les droits plus forts et les moyens de réparation plus efficaces dont disposent les entreprises transnationales pourraient leur donner plus de poids dans leurs relations avec les gouvernements que les personnes affectées par leurs activités, aggravant les déséquilibres dans la capacité des acteurs d’influencer les décisions publiques. Même si l’on considère que le droit international ne fait que réguler les relations internationales, il peut ainsi se propager aux sphères de la politique nationale.

La nécessité d’une approche holistique

Les débats concernant la gouvernance de l’investissement sont fonction de la perspective et de la position des parties-prenantes. Les experts juridiques conseillant les entreprises transnationales pourraient être préoccupés par les mesures étatiques sapant leurs retours commerciaux. Ils pourraient percevoir la remise en cause du régime des traités d’investissement, et la suppression par les États des arrangements juridiques régissant l’investissement transfrontière, comme un processus de désintégration économique[25]. Mais pour de nombreuses personnes affectées par l’extraction des ressources, c’est ce régime juridique qui casse et qui désintègre, car les traités d’investissement peuvent protéger des projets qui, même s’ils sont conformes à la loi nationale, bouleversent leur vies, leur laissant peu de chance de se faire entendre ou d’obtenir réparation.

Pour répondre à ces problèmes, il faut adopter une vision holistique des diverses sphères du droit national et international, c’est-à-dire examiner le régime des traités d’investissement non pas en isolement, mais dans ses relations avec les arrangements de gouvernance plus larges, et ses effets sur ceux-ci. En fonction du contexte, des réformes du droit national pourraient être nécessaires pour protéger les droits traditionnels sur les ressources et faciliter la participation du public dans l’approbation des investissements ; par ailleurs, les négociations en cours sur un traité multilatéral sur les entreprises et les droits humains pourraient contribuer à rééquilibrer les droits et obligations de chacun.

S’agissant du droit international, les options incluent l’extinction des anciens traités, les réformes impliquant la refonte des protections de l’investissement, l’affirmation des obligations des investisseurs, par exemple vis-à-vis de l’environnement et des droits humains, et le refus d’accorder les protections aux investissements qui ne respectent pas ces obligations[26]. Les options réformistes incluent également la refonte du règlement des différends afin de mieux tenir compte des droits des personnes affectées par un investissement ou un différend, non pas seulement en termes de procédure, mais aussi en rejetant ou en ajustant les recours des investisseurs en fonction des circonstances[27]. Les références croisées entre institutions pourraient améliorer la cohérence du droit international, par exemple au moyen de dispositions relatives au conflit précisant que les obligations relatives aux droits humains prennent le pas sur les traités d’investissement, et obliger les tribunaux arbitraux à renvoyer aux organes des droits humains les questions exigeant l’interprétation des normes relatives aux droits humains[28].

À l’heure où les professionnels juridiques sont amenés à se spécialiser dans des domaines de plus en plus étroits, les réponses effectives exigent une vision globale des divers ensembles de droit impliqués, et des mesures créatives aux échelons local et international.


Auteur

Lorenzo Cotula est chercheur principal sur le droit et le développement durable à l’Institut international pour l’environnement et le développement (IIED) et professeur invité à la faculté de droit de l’Université de Strathclyde.


Notes

[1] Cet article est un résumé d’un article plus long : Cotula, L. (2020) “(Dis)integration in Global Resource Governance: Extractivism, Human Rights, and Investment Treaties”, Journal of International Economic Law 23(2):431–454, https://academic.oup.com/jiel/article/23/2/431/5875706. L’article plus long présente des références plus complètes en soutien de ses arguments. L’auteur remercie Jesse Coleman, Nicolás Perrone et Zoe Phillips Williams pour leurs observations sur l’article pour ITN.

[2] Le groupe de travail des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l’homme a organisé une consultation sur ces questions, https://www.ohchr.org/FR/Issues/Business/Pages/IIAs.aspx. Voir également la lettre ouverte de plusieurs titulaires de mandats au titre des procédures spéciales des Nations Unies, relative aux travaux du Groupe de travail III de la Commission des Nations unies sur le droit commercial international (CNUDCI) sur la réforme du règlement des différends investisseur-État (7 mars 2019), https://UNCITRAL.un.org/sites/uncitral.un.org/files/public_-_ol_arm_07.03.19_1.2019_0.pdf

[3] Voir également Perrone, N. M. (2016) “The International Investment Regime and Local Populations: Are the Weakest Voices Unheard?”, Transnational Legal Theory 7(3):383–405 ; Williams, Z. P. (2016) “Investor-State Arbitration in Domestic Mining Conflicts”, Global Environmental Politics 16(4):32–49.

[4] Weinar, L. (2016) Blood Oil: Tyrants, Violence, and the Rules that Run the World (Oxford University Press), pages 67–79.

[5] Voir par ex. Gebremichael, B. (2016) “Public Purpose as a Justification for Expropriation of Rural Land Rights in Ethiopia”, Journal of African Law 60(2):190-212. S’agissant de l’interface entre les droits fonciers et les droits sur les ressources souterraines, voir Bastida, A. E. (2020) The Law and Governance of Mining and Minerals: A Global Perspective (Hart), p. 161–163.

[6] Voir par ex. Nguiffo, S., Kenfack, P. E. et Mballa, N, (2009) L’incidence des lois foncières historiques et modernes sur les droits fonciers des communautés locales et autochtones du Cameroun (Forest Peoples Programme), https://www.forestpeoples.org/fr/topics/rights-land-natural-resources/publication/2010/les-droits-fonciers-et-les-peuples-des-foret-2.

[7] Voir également Bebbington, A., Abdulai, A.G., Humphreys Bebbington, D., Hinfelaar, M. et Sanborn, C.A. avec Achberger, J., Grisi Huber, C., Hurtado, V., Ramírez T., et Odell, S.D. (2018), Governing Extractive Industries: Politics, Histories, Ideas (Oxford University Press), https://fdslive.oup.com/www.oup.com/academic/pdf/openaccess/9780198820932.pdf.

[8] Eslava, L. et Pahuja, S. (2020) “The State and International Law: A Reading from the Global South”, Humanity 11(1):118–138, 145–146.

[9] Résolution 1803 (XVII) de l’Assemblée générale des Nations unies du 14 décembre 1962.

[10] Ibid., para. 1.

[11] Sands, A. (2020, 21 décembre) “Unpacking Regulatory Chill: The Case of Mining in the Santurbán Páramo in Colombia”, International Institute for Environment and Development, https://www.iied.org/unpacking-regulatory-chill-case-mining-santurban-paramo-colombia.

[12] Voir par ex. les sentences suivantes de la Cour interaméricaine des droits de l’homme : Communité autochtone Yakye Axa c. Paraguay (2005), para. 124, 131, 135 ; Peuple Saramaka c. Suriname (2007), para. 82, 93, 95 ; et Peuple autochtone Kichwa de Sarayaku c. Équateur (2012), para. 145–146, 155, 176.

[13] Communauté autochtone Sawhoyamaxa c. Paraguay, Cour interaméricaine des droits de l’homme, Sentence (2006), para. 115(b), 125, 137. Voir, en général, Van Ho, T.L., (2016) “Is it Already Too Late for Colombia’s Land Restitution Process? The Impact of International Investment Law on Transitional Justice Initiatives”, International Human Rights Law Review 5(1):60–85.

[14] Bear Creek Mining Corporation c. la République du Pérou, Sentence (30 novembre 2017), para. 203, 208, 257–264, 406–412, 565–569, 656–668, et Opinion divergente partielle du Professeur Philippe Sands QC (12 septembre 2017).

[15] Article 31(3)(c) de la Convention de Vienne sur le droit des traités (Vienne, 23 mai 1969), 1155 U.N.T.S. 331.

[16] Par ex. Urbaser S.A. et Consorcio de Aguas Bilbao Bizkaia, Bilbao Biskaia Ur Partzuergoa c. la Républbique d’Argentine, Affaire CIRDI n° ARB/07/26, Sentence (8 décembre 2016), para. 1190, 1200, 1204.

[17] Copper Mesa Mining Corporation c. la République d’Équateur, Affaaire CPA n° 2012-2, Sentence (15 mars 2016).

[18] Dans Pac Rim Cayman LCC c. la République de El Salvador, Affaire CIRDI n° ARB/09/12, Sentence (14 octobre 2016), le tribunal considéra qu’il n’était « pas nécessaire » de tenir compte des arguments contenus dans un dossier d’amicus curiae, notant que les auteurs n’avaient « pas connaissance de la masse de preuves factuelles présentées dans la troisième phase du présent arbitrage, notamment lors de l’audience » (para. 3.30).

[19] Perrone, N. M. (2018), “The ‘Invisible’ Local Communities: Foreign Investor Obligations, Inclusiveness, and the International Investment Regime”, AJIL Unbound 113:16–21.

[20] Pour une discussion, voir Gathii, J. & Puig, S. (2019). Introduction to the symposium on investor responsibility: the next frontier in international investment law, AJIL Unbound 113:1–3.

[21] Johnson, L. (2017-18) “A Fundamental Shift in Power: Permitting International Investors to Convert Their Economic Expectations into Rights”, UCLA Law Review Discourse 65:106–123.

[22] Sachs, L., Johnson L. et Merrill, E. (2020) “Environmental Injustice: How Treaties Undermine Human Rights Related to the Environment”, Revue des Juristes de Sciences Po 18:90–100.

[23] Pour une discussion sur ce point, voir Tienhaara, K., (2018) “Regulatory Chill in a Warming World: The Threat to Climate Change Policy Posed by Investor-State Dispute Settlement”, Transnational Environmental Law 7(2):229–250.

[24] Voir, par ex., De Brabandere, E. (2015) “Complementarity or Conflict? Contrasting the Yukos Case before the European Court of Human Rights and Investment Tribunals”, ICSID Review 30(2):345–355.

[25] Montanaro, F. et Violi, F. (2020) “The Remains of the Day: The International Economic Order in the Era of Disintegration”, Journal of International Economic Law 23(2):299–322.

[26] Voir également Deva, S. (2018, 13 août) “Managing States’ ‘Fatal Attraction’ to International Investment Agreements”, Investment Policy Hub, https://investmentpolicy.UNCTAD.org/blogs/75/managing-states-fatal-attraction-to-international-investment-agreements-.

[27] CCSI, IIED et IISD, Third Party Rights in Investor-State Dispute Settlement: Options for Reform (soummission au Groupe de travail III de la CNUDCI sur la réforme du règlement des différends investisseur-État, 2019), http://ccsi.columbia.edu/files/2019/07/uncitral-submission-third-party-participation-en.pdf.

[28] Krajewski, M. (2017) Ensuring the Primacy of Human Rights in Trade and Investment Policies: Model Clauses for a UN Treaty on Transnational Corporations, Other Businesses and Human Rights, CIDSE, https://www.cidse.org/wp-content/uploads/2017/03/CIDSE_Study_Primacy_HR_Trade__Investment_Policies_March_2017.pdf ; Coleman, J., Cordes, K.Y. et Johnson, L. (2019, 2 juin), “Human Rights Law and the Investment Treaty Regime” CCSI Working Paper, http://ccsi.columbia.edu/files/2019/06/Coleman-Cordes-and-Johnson-Human-Rights-Law-and-the-Investment-Treaty-Regime.pdf. S’agissant de la coordination institutionnelle entre les organes des droits humains et le régime des traités d’investissement, voir également Simma, B. et Desierto, D. (2013) “Bridging the Public Interest Divide: Committee Assistance for Investor-host State Compliance with the ICESCR”, Transnational Dispute Management 1.

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