La défense du Laos prévaut dans ses premières affaires connues de RDIE fondées sur un traité

Lao Holdings N.V. c. la République démocratique populaire Lao, Affaire CIRDI n° ARB(AF)/12/6, et Sanum Investments Limited c. la République démocratique populaire Lao, Affaire CNUDCI & CPA n° 2013-13

Le 6 août 2019, les tribunaux de deux procédures parallèles contre la République démocratique populaire Lao (le Laos) ont rendu leurs décisions finales, rejetant tous les recours présentés par les demandeurs, et accordant au Laos le remboursement de ses frais et dépenses juridiques et des coûts de l’arbitrage.

Le contexte

Les deux procédures reposaient sur les mêmes faits. En 2007, deux entrepreneurs étasuniens, John Baldwin et Shawn Scott, établirent plusieurs centres de jeu au Laos par le biais de Sanum Investments (Sanum), une filiale enregistrée à Macao de leur entreprise néerlandaise Lao Holdings NV (LHNV). Après plusieurs années d’opération, plusieurs litiges éclatèrent entre les investisseurs et leur partenaire local laotien, portant sur des questions de partage des bénéfices et l’extinction précoce de plusieurs expansions planifiées.

Arguant que le gouvernement laotien avait entravé le processus, de mèche avec leur partenaire local, dans le but de pousser les investisseurs étrangers à quitter le Laos, les investisseurs lancèrent deux procédures distinctes : LNHV lança un arbitrage auprès du CIRDI au titre du TBI Laos-Pays-Bas de 2003 ; Sanum lança un arbitrage CNUDCI administré par la CPA au titre du TBI Chine-Laos de 1993 (lors de l’étape de la compétence, le tribunal de l’affaire Sanum avait déterminé que le TBI Chine-Laos s’appliquait à Macao conformément aux règles du droit international coutumier sur la succession d’États). Les procédures n’ont jamais été consolidées, mais ont été menées, la plupart du temps, conjointement par les deux tribunaux.

La corruption et la mauvaise foi

Au début des procédures, le Laos demanda aux deux tribunaux de rejeter l’ensemble des recours, arguant que les investisseurs avaient mené des activités illégales de corruption lors de l’établissement et de l’opération de leur investissement. Considérant qu’il s’agissait davantage d’une question de fond que de compétence, les tribunaux réalisèrent une analyse détaillée de la défense du Laos.

Les tribunaux examinèrent d’abord le droit applicable. Rappelant que les parties avaient convenu que le droit national était pertinent pour déterminer si un investissement devait être établi et opéré conformément à la loi de l’État hôte, les tribunaux affirmèrent qu’« il ne fait aucun doute que la corruption et les pots-de-vin sont contraires au droit national laotien » (décision Sanum, para. 95 ; décision LHNV, para. 97).

Se tournant vers le droit international, et citant notamment les dispositions pertinentes de la Convention des Nations Unies contre la corruption, et de la Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, les tribunaux reconnurent que « l’un des principes du droit international coutumier » affirme que la corruption ne peut être utilisée pour « obtenir ou conserver un marché ou un autre avantage indu dans le commerce international » (décision Sanum, para. 103 ; décision LHNV, para. 105). Les tribunaux considérèrent par ailleurs que des « preuves de corruption à une quelconque étape de l’investissement pourraient être pertinentes » (décision Sanum, para. 103 ; décision LHNV, para. 105).

Les tribunaux s’attelèrent ensuite à examiner la norme applicable de la preuve, et conclurent que « compte tenu de la gravité de l’accusation, et de la sévérité des conséquences… des éléments « clairs et convaincants »… doivent clairement indiquer la corruption », en d’autres termes, « une norme plus élevée que l’équilibre des probabilités mais moins élevée que la norme pénale du au-delà du doute raisonnable » (décision Sanum, para. 107-108 ; décision LHNV, para. 109-110).

Après avoir examiné les preuves présentées par le Laos, et bien que les deux tribunaux identifièrent certaines transactions comme « suspectes » et même des preuves plausibles indiquant que les investisseurs avaient illégalement transféré des fonds vers certains représentants gouvernementaux laotiens (décision Sanum, para. 147-156 ; décision LHNV, para. 148-157), les tribunaux étaient perturbés par le fait qu’« aucune poursuite n’a[it] été lancée à l’encontre des personnes qui auraient accepté les pots-de-vin, et il n’existe pas non plus de preuves de diligence raisonnable dans le cadre d’une enquête » (décision Sanum, para. 111 ; décision LHNV, para. 112). Puisque le Laos n’était pas en mesure de fournir d’explications convaincantes de son incapacité à poursuivre les criminels, les tribunaux estimèrent qu’il ne respectait pas la charge de la preuve de la norme requise de preuves « claires et convaincantes » des allégations de corruption.

D’autre part, les tribunaux confirmèrent que les investisseurs avaient « des obligations de bonne foi… dans l’État hôte » et que les actes graves incompatibles avec ces obligations « ne sont pas sans conséquences sur le traité, en lien avec leur tentative de s’appuyer sur les garanties du [TJE], mais aussi avec leur droit à une réparation, sous quelque forme que ce soit, accordée par un tribunal international » (décision Sanum, para. 104 ; décision LHNV, para. 106).

Après avoir examiné les preuves, les tribunaux déterminèrent que les circonstances renseignées satisfaisaient une norme plus faible de « l’équilibre des probabilités », qui jetait des doutes sur la bonne foi des investisseurs et la légitimité de leurs recours. Ils décidèrent donc de rejeter tous les recours des investisseurs.

Les recours fondés sur l’expropriation

Les investisseurs présentèrent une série de recours fondés sur l’expropriation, mais les tribunaux considérèrent qu’aucun d’entre eux ne méritait réparation.

D’abord, les investisseurs faisaient référence à un différend au titre du contrat les opposant à leur partenaire local laotien, qui avait donné lieu à une procédure judiciaire locale menée en plusieurs étapes, puis à une décision arbitrale commerciale en faveur des investisseurs, mais qu’ils n’ont pu faire exécuter. Même s’ils arguaient que le gouvernement avait entravé cette procédure judiciaire précédente, le tribunal ne trouva « tout simplement aucune preuve convaincante » en soutien d’une prétendue interférence, et détermina que le recours était infondé.

(En 2016 les investisseurs lancèrent deux procédures distinctes alléguant que leur prétendue incapacité à faire exécuter la décision arbitrale commerciale violait le traité. Ces procédures furent consolidées sous la côte Lao Holdings N.V. et Sanum Investments Limited c. la République démocratique populaire Lao, Affaire CIRDI n° ARB(AF)/16/2, Affaire CIRDI n° ADHOC/17/1 et sont toujours en instance.)

Ensuite, les investisseurs contestaient l’extinction par le gouvernement d’un accord de développement du projet du fait d’une violation supposée de ses termes par les investisseurs. Après examen des faits, le tribunal détermina que l’actionnaire John Baldwin avait fait preuve de mauvaise foi tout au long de ses discussions avec le gouvernement, et qu’une telle mauvaise foi était attribuable aux filiales directement ou indirectement détenues par les investisseurs.

Troisièmement, les investisseurs contestaient le refus, par le gouvernement, de renouveler la licence d’opération de l’un de leurs investissements. Le tribunal détermina toutefois que les investisseurs n’avaient pas de droits relatifs au renouvèlement de leur investissement, et que les investisseurs ou investissements n’avaient pas tenté de renouveler leur licence. Une fois de plus, le tribunal attribua les actes de mauvaise foi de Baldwin aux entreprises demanderesses.

Finalement, les investisseurs contestaient la révocation par le gouvernement d’une licence pour l’ouverture d’un établissement de jeu quelques jours à peine après qu’elle ait été émise. Remarquant qu’ils ne disposaient pas de suffisamment de preuves pour établir une mauvaise foi par l’une ou l’autre des parties en l’espèce, les tribunaux déterminèrent que la licence avait, à l’origine, été émise par erreur et conclurent qu’« il s’agissait simplement d’une possibilité commerciale qui ne s’est pas concrétisée par un accord » (décision Sanum, para. 250 ; décision LHNV, para. 225).

Les autres recours

Sanum ne pouvait présenter d’autres recours que celui fondé sur l’expropriation car l’article 8(3) du TBI n’autorise que les « différends portant sur le montant de l’indemnisation en cas d’expropriation ». Puisque l’arbitrage au titre du TBI Laos-Pays-Bas dispose d’une portée plus large, le tribunal du CIRDI accepta d’examiner le recours de LNHV selon lequel le Laos avait violé d’autres droits au titre du traité, notamment les dispositions sur le TJE, le déni de justice, la non-discrimination et la clause parapluie.

Le tribunal LHNV conclut cependant que toutes ces allégations étaient infondées (para. 239). Les témoignages présentés par LHNV ne faisaient que confirmer les conclusions du tribunal qu’« il ne fait aucun doute que… Baldwin et LHNV ont fait manifestement preuve de mauvaise foi et ont tenté à plusieurs reprises, non seulement de manipuler le gouvernement pour qu’il soutienne leurs initiatives de jeu… mais aussi de manipuler la procédure d’arbitrage elle-même » (ibid). Réitérant que « la conduite de mauvaise foi de l’investisseur a des effets sur l’octroi d’une réparation au titre d’un traité d’investissement » (para. 237), le tribunal détermina que la mauvaise foi de Baldwin offrait « des raisons supplémentaires de refuser au demandeur LHNV les avantages de la protection du traité » (para. 280).

Arrangements finaux

Les tribunaux rejetèrent tous les recours et ordonnèrent aux demandeurs de payer l’intégralité des coûts de l’arbitrage, totalisant 3,5 millions USD, et de payer au Laos ses frais juridiques pour les deux procédures, d’un montant total de 2,6 millions USD.

Remarques : les deux tribunaux étaient composés de Bernard Hanotiau (nommé par le demandeur, de nationalité belge) et de Brigitte Stern (nommée par le défendeur, de nationalité française). Le tribunal Sanum était présidé par Andres Rigo Sureda (nommé par le Secrétaire-général de la CPA, de nationalité espagnole). Le tribunal LHNV était présidé par Ian Binnie (nommé par les parties, de nationalité canadienne). La décision Sanum est disponible sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw10708.pdf et la décision LHNV est disponible sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw10703.pdf

Joe Zhang est conseiller juridique auprès du Groupe droit et politique économiques de l’IISD.

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