Dommages importants accordés à Perenco pour violation du TJE et expropriation ; l’Équateur reçoit également une indemnisation au titre d’une demande reconventionnelle fondée sur l’environnement

Perenco Ecuador Limited c. la République d’Équateur, Affaire CIRDI n° ARB/08/6

Un tribunal créé de longue date au titre du TBI France-Équateur a rendu sa dernière décision sur l’indemnisation. Il y ordonne à l’Équateur d’indemniser l’investisseur pétrolier et gazier Perenco Ecuador Limited (Perenco) à hauteur de près de 449 millions USD après avoir imposé une taxe de 99 pour cent sur les super profits, puis exproprié l’investissement. Dans le cadre de la demande reconventionnelle de l’État fondée sur l’environnement, le tribunal a ordonné à l’investisseur d’indemniser l’Équateur à hauteur de 54 million USD.

Le contexte et les recours

Perenco est la filiale équatorienne d’une multinationale du pétrole et du gaz. Perenco avait investi dans des contrats de participation équatoriens portant sur deux sites contenant des hydrocarbures dans la forêt amazonienne (blocks 7 et 21).

Lorsque les cours du brut ont monté, l’Équateur imposa des taxes sur les super profits liés aux exportations de brut, atteignant au final 99 pour cent. Plus tard, l’entreprise pétrolière étatique Petroecuador prit le contrôle des deux sites.

En avril 2008, Perenco lança un arbitrage auprès du CIRDI contre l’Équateur et Petroecuador. La demande reconventionnelle de l’Équateur datée de décembre 2011 présentait un recours fondé sur l’environnement et un sur les infrastructures.

Dans sa décision de 2014 sur les questions restantes de compétence et de responsabilité, le tribunal concluait que l’Équateur était passible de la violation des dispositions TJE et relative à l’expropriation du TBI, ainsi que des contrats d’investissement sous-jacents. Dans sa décision provisoire de 2015, le tribunal indiquait qu’il tiendrait certainement Perenco passible d’une indemnisation au titre de la demande reconventionnelle, tout en invitant les parties à régler le litige à l’amiable et en reportant la décision sur les demandes reconventionnelles.

Dans sa décision du 27 septembre 2019, examinée ci-dessous, le tribunal aborde à la fois l’indemnisation due par l’Équateur à Perenco au titre du TBI et des contrats de participation, et l’indemnisation due par Perenco à l’Équateur au titre des demandes reconventionnelles.

Remarquons que Perenco avait investi dans les contrats dans le cadre d’un consortium avec Burlington Resources Inc. Burlington avait lancé un arbitrage distinct au titre du TBI Équateur-États-Unis. En décembre 2012, ce tribunal conclut que l’Équateur avait illégalement exproprié les investissements de Burlington. Le 7 février 2017, le tribunal de l’affaire Burlington évalua les dommages dus à Burlington à 380 millions USD et accorda 41 millions USD à l’Équateur au titre de ses demandes reconventionnelles fondés sur l’environnement et les infrastructures.

Le tribunal quantifie les violations du TBI et des contrats par étape

Le tribunal commença par rappeler que l’évaluation des dommages, « que ce soit au titre d’un contrat, d’un tort ou d’un traité, n’est pas une science exacte » (para. 69), et que son rôle ne consistait pas à tenir compte de questions relevant de la théorie économique. Il centra plutôt son analyse sur les dates à retenir pour l’évaluation des dommages dus à l’investisseur pour chacune des violations.

L’investisseur arguait que l’expropriation de 2010 au titre du contrat était la date à retenir pour l’évaluation des dommages. L’Équateur arguait en retour qu’il fallait distinguer entre les dommages découlant de la violation du TJE, qui a EU lieu en 2007, et l’expropriation, qui a eu lieu en 2010.

Le tribunal se rangea du côté de l’Équateur et détermina qu’il devait utiliser deux dates distinctes. Il détermina notamment que les dommages dus pour la violation TJE devaient commencer à cette date jusqu’à la date de l’expropriation. Il détermina ensuite, au moyen d’une analyse distincte, les dommages dus depuis la date de l’expropriation.

Les contrats de participation auraient probablement été étendus mais le tribunal ne peut préjuger de leurs termes

Plus d’un tiers des dommages réclamés par Perenco se fondaient sur l’attente que les contrats de participation auraient été étendus. L’Équateur insistait sur son pouvoir discrétionnaire à cet égard et sur le fait que l’extension était peu probable. Le tribunal n’en fut pas convaincu, considérant que la plupart des contrats de ce type en Équateur avaient été reconduits et que la complexité des opérations d’extraction pétrolière favorisait le maintien du statu quo.

Le tribunal refusa toutefois d’adopter les propositions de Perenco s’agissant des termes d’une éventuelle reconduction. Il détermina que si l’investisseur devait être indemnisé pour la perte de l’opportunité de convenir d’une extension, il était vrai aussi que « toute estimation de la valeur de la perte de l’opportunité est un exercice discrétionnaire, et donc [le tribunal] a décidé d’accorder une valeur nominale » de 25 millions USD (para. 324 à 326).

L’argument de l’Équateur en faveur d’une contribution au préjudice n’est pas retenu

L’Équateur arguait que l’indemnisation due à Perenco devait être réduite du fait d’une contribution au préjudice.

Le tribunal rappela l’article 39 (contribution au préjudice) des Projets d’articles de la Commission du droit international (CDI) sur la responsabilité des États pour faits internationalement illicites : « Pour déterminer la réparation, il est tenu compte de la contribution au préjudice due à l’action ou à l’omission, intentionnelle ou par négligence, de l’État lésé ou de toute personne ou entité au titre de laquelle réparation est demandée ».

Le tribunal détermina que si l’inclusion du terme « intentionnelle » élargissait la portée de l’article 39 au-delà de la seule négligence, un tel élargissement n’était pas substantiel. Il décida donc que pour que l’Équateur ait gain de cause, le tribunal devait être convaincu que Perenco avait fait preuve de négligence vis-à-vis de sa propriété ou de ses droits. Il rejeta donc la prétendue contribution au préjudice de Perenco.

Le tribunal envisage un possible réexamen de la compétence sur les demandes reconventionnelles

S’agissant des demandes reconventionnelles, Perenco avait demandé au tribunal de revoir certaines décisions précédentes ayant des effets sur la compétence sur la demande reconventionnelle.

D’abord, Perenco arguait qu’elle devait être considérée comme un égal de son partenaire au consortium, Burlington. Cet argument avait été rejeté en 2017 et 2018, puisqu’une majorité des membres du tribunal considéraient que la décision sur la recevabilité de la demande reconventionnelle avait force de chose jugée. Les mêmes deux arbitres ont réaffirmé cette position dans la décision.

Ensuite, Perenco arguait que le fond de la décision dans l’affaire Burlington, ou de l’accord de règlement entre Burlington et l’Équateur infirmait la compétence du tribunal Perenco sur la demande reconventionnelle. La majorité rejeta ces arguments, même si l’arbitre Kaplan n’était pas d’accord.

Le rapport d’un expert indépendant révèle des « nœuds de pollution » sur les sites

L’Équateur alléguait que Perenco avait laissé derrière elle une catastrophe environnementale exigeant une réparation d’environ 2,5 milliards USD. Perenco arguait que sa responsabilité n’excédait pas 10 millions USD.

Suite à la décision provisoire de 2015 et à l’incapacité des parties de négocier un règlement à l’amiable du recours fondé sur l’environnement, les parties nommèrent conjointement un expert indépendant, chargé de rendre compte au tribunal quant aux coûts de remise en état de l’environnement.

Le tribunal faisait de longues références au rapport d’expert, qui concluait que les coûts de réparation de la pollution totale mesurée sur les blocs 7 et 21 s’élevaient à 160 millions USD.

Le tribunal tente de démêler « les nœuds de pollution »

Perenco tenta de convaincre le tribunal que d’autres opérateurs étaient responsables de la majeure partie de la pollution. L’Équateur rétorqua que si Perenco était incapable de démontrer que d’autres opérateurs étaient à l’origine de la pollution, elle serait tenue responsable. Pour le tribunal, il s’agissait donc de déterminer la part de la pollution relevant de Perenco.

Le tribunal était disposé à attribuer une partie de la responsabilité aux opérateurs passés. Bien que les preuves spécifiques en ce sens fussent limitées, les arbitres considéraient que les opérations passées avaient eu lieu au titre de réglementations nationales sur l’environnement bien moins strictes.

Il détermina au final que plus de 93 millions USD des coûts estimés pour la remise en état pouvaient être attribués aux opérations de Perenco. Toutefois, il considérait également que les opérations menées par Perenco s’inscrivaient dans le cadre du consortium avec Burlington, et il se pencha donc de nouveau sur la relation contentieuse entre les demandes reconventionnelles contre Burlington et contre Perenco.

Pour faire court, le tribunal conclut qu’il pouvait déduire les 39 millions USD payés par Burlington d’environ 93 millions USD dû à l’Équateur pour la remise en état. Aussi, il ordonna à Perenco de verser un peu plus de 54 millions USD à l’Équateur au titre de la demande reconventionnelle fondée sur l’environnement.

La deuxième demande reconventionnelle ne représente pas de dommages supplémentaires, puisque le tribunal de l’affaire Burlington a déjà indemnisé l’Équateur

Le tribunal de l’affaire Burlington avait accordé à l’Équateur environ 2,5 millions USD au titre de la demande reconventionnelle fondée sur les infrastructures. Le tribunal de l’affaire Perenco décida de ne rien accorder, puisque l’Équateur avait présenté des demandes quasi-identiques dans les deux procédures, et que la décision de l’affaire Burlington avait instruit le tribunal de l’affaire Perenco de ne pas indemniser deux fois.

Le tribunal refuse d’indiquer à l’Équateur comment dépenser le montant de l’indemnisation

Perenco avait demandé que l’État d’accueil soit tenu de déposer l’argent accordé au titre des demandes reconventionnelles dans un fonds pour la remise en état de l’environnement, ce que l’Équateur avait accepté. Le tribunal refusa toutefois de suivre les parties, considérant qu’un tel « contrôle continu » était incompatible avec les fonctions d’un tribunal du CIRDI.

Le différend entre les parties continue, et porte maintenant sur l’exécution de la décision

Perenco a déposé une demande pour l’exécution de la décision aux États-Unis, en date du 3 octobre 2019. Le 4 octobre 2019, l’Équateur a lancé une procédure en annulation auprès du CIRDI, et obtenu un ajournement de l’exécution de la décision.

Remarques : le tribunal était composé de Peter Tomka (président nommé par le Conseil administratif du CIRDI, de nationalité slovaque), de Neil Kaplan (nommé par le demandeur, de nationalité britannique) et de J. Christopher Thomas (nommé par le défendeur, de nationalité canadienne). La décision du 27 septembre 2019 est disponible sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw10837.pdf

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