La modernisation du Traité sur la Charte de l’énergie : qu’en est-il de l’extinction ?

Fin 2018, la Conférence de la Charte de l’énergie a convenu d’une liste de sujets de discussion pour le processus dit de « modernisation » du TCE, qui compte 51 parties[1], tels que la définition de l’investissement et de l’investisseur, le droit de réglementer, la définition de l’expropriation indirecte, la clause parapluie, les recours abusifs et le financement par un tiers. Les observateurs ont indiqué que même si cette liste contient bon nombre de questions importantes, bizarrement, deux des questions générales les plus sérieuses sont absentes : le RDIE et le changement climatique[2]. Ces omissions sont d’autant plus frappantes à l’heure où de nombreuses enceintes (notamment l’UE et la CNUDCI) mènent des discussions approfondies sur la réforme du RDIE, et où la nécessité urgente d’opérer un tournant radical vers les énergies renouvelables, pour garantir le futur de la planète, est largement reconnue.

Dans le présent article, j’aborde une troisième omission de la liste des sujets de discussion pour la modernisation du TCE, liée à la précédente : l’extinction du traité lui-même, ou le retrait par une ou plusieurs parties, y compris la clause de survie du traité. À l’heure actuelle, l’un des meilleurs moyens de réformer le droit international des investissements consiste à conclure de meilleurs accords et à élaborer de meilleures dispositions. En parallèle de ces avancées, il est essentiel de mettre un terme aux anciens accords[3] qui ne contiennent pas ces précisions subtiles (apportées par exemple au sens des clauses relatives au TJE[4] et à l’expropriation[5]), ou d’exceptions adéquates (par exemple pour la réalisation d’objectifs de santé[6]). De même, les accords d’investissement plus récents incluent souvent des améliorations procédurales du RDIE, répondant par exemple aux préoccupations relatives aux éventuels conflits d’intérêts[7], à l’absence de transparence[8], ou à la remise en cause des mesures légitimes de bien-être public[9]. L’utilisation continue d’accords d’ancienne génération ne contenant pas d’améliorations de fond ou de procédure risque de saper les points de réforme inclus dans les accords modernes car ils pourraient être utilisés par les entreprises pour se restructurer[10] ou pour invoquer les clauses NPF[11] et ainsi profiter des traités les plus favorables aux investisseurs.

1. L’extinction ou le retrait en cas d’échec des efforts de modernisation axés sur le climat

Le sujet de l’extinction ou du retrait du TCE est lié à la question du changement climatique, car si les parties ne sont pas en mesure d’élaborer un TCE respectueux du climat, l’extinction ou le retrait du traité pourrait alors s’avérer la meilleure alternative possible pour soutenir une transition majeure des énergies fossiles vers les énergies propres[12]. Compte tenu qu’il porte exclusivement sur le secteur de l’énergie, le rôle du TCE dans cette transition est absolument essentiel.

Conclu en 1994, le TCE « établit un cadre juridique destiné à promouvoir la coopération à long terme dans le domaine de l’énergie, et fondé sur la complémentarité et les avantages mutuels, conformément aux objectifs et aux principes de la Charte [européenne de l’énergie] »[13]. Le TCE aborde explicitement les « Aspects environnementaux » à l’article 19, qui appelle les parties à « s’efforce[r] de réduire à un minimum, d’une manière économiquement efficace, tout impact nuisible à l’environnement » et à « s’efforce[r] de prendre des mesures préventives pour empêcher ou réduire à un minimum les dommages à l’environnement ». Les parties doivent « [tenir] compte des considérations environnementales lors de la formulation et de la mise en œuvre de leurs politiques énergétiques »[14].

Les objectifs de la Charte internationale de l’énergie, non-contraignante, adoptée plus récemment en 2015 sous forme de « déclaration d’intention politique »[15] incluent le « développement durable de l’énergie, renforçant la sécurité énergétique et maximisant l’efficacité » d’une façon « respectueuse de l’environnement »[16]. Ces mêmes dispositions encouragent l’adoption d’actions pour « la promotion de l’utilisation propre et efficace de combustibles fossiles », « l’utilisation d’énergies renouvelables et de technologies d’énergie fossile propres », « la mise en commun des meilleures pratiques sur l’investissement et le développement d’une énergie propre », et « la promotion et l’utilisation de technologies à faibles émissions »[17].

Afin de mettre en pratique les efforts de modernisation du TCE, le traité lui-même doit être restructuré[18] afin de refléter la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique (entrée en vigueur le 21 mars 1994, comptant aujourd’hui 197 parties), l’Accord de Paris (entré en vigueur le 4 novembre 2016, comptant aujourd’hui 185 parties) et les ODD adoptés lors du Sommet des Nations Unies sur le développement durable de 2015[19]. En clair, si l’on souhaite atteindre les objectifs climatiques, le TCE doit introduire une distinction entre les investissements dans les énergies fossiles, et ceux réalisés dans les énergies renouvelables[20].

L’objectif de modernisation du TCE axée sur le climat est essentiel, mais également fort ambitieux, et il semble actuellement complètement négligé. Dans de telles circonstances, il est d’autant plus nécessaire d’examiner la possibilité de mettre fin à ou de se retirer du traité. Au-delà de la décision de la CJUE dans Achmea[21], le risque important d’échec sur le front du climat offre une raison de plus aux États membres de l’UE parties au TCE de commencer à discuter des dispositions existantes en matière de résiliation et de retrait. Cette décision a remis en doute la possibilité de présenter des recours RDIE intra-européens[22] au titre du TCE. La Commission européenne[23] et la plupart des États membres de l’Union affirment que cela n’est pas possible[24] ; certains tribunaux arbitraux au titre d’un traité continuent malgré tout d’affirmer leur compétence sur ces affaires[25]. Alors que certains États membres de l’UE ont commencé à mettre fin à leurs TBI intra-européens, d’autres envisageront peut-être de se retirer du TCE, au nom d’Achmea, ou au nom de leurs engagements au titre de l’Accord de Paris.

2. Quid de la clause de survie ?

Le retrait du TCE par l’une de ses parties est plus complexe que l’on pourrait le croire, mais il reflète les problèmes emblématiques qui accompagnent souvent l’extinction des AII. Ces problèmes s’expliquent principalement par l’inclusion de clauses dites de « survie » dans bon nombre de ces accords, y compris dans le TCE. L’article 47 du TCE (Retrait) autorise l’une des parties à notifier son retrait du traité, qui prend effet une année après réception de la notification ou à une date ultérieure telle que spécifiée dans la notification. L’article 47(3) contient toutefois une clause de survie[26] :

Les dispositions du présent traité continuent à s’appliquer pendant une période de 20 ans aux investissements réalisés dans la zone d’une partie contractante par des investisseurs d’autres parties contractantes ou dans la zone d’autres parties contractantes par des investisseurs de cette partie contractante, à compter du moment où le retrait de la partie contractante du présent traité prend effet.

Cette disposition signifie qu’une partie se retirant du traité continuera d’être exposée au risque de recours RDIE pendant deux décennies après son retrait officiel du TCE, s’agissant des investissements réalisés avant la date du retrait. Ce long délai est certainement difficile à avaler pour une partie qui se retire du TCE dans le but de mener une réforme en faveur du changement climatique ou de l’investissement en général. L’Italie, par exemple, qui s’est retirée du TCE au 1er janvier 2016, continue de faire face à bon nombre de recours RDIE[27]. En outre, l’on pourrait s’attendre à des différends portant sur l’interprétation et l’application de la clause de survie. Et les mêmes questions se posent s’agissant d’un État se retirant du mécanisme d’application provisoire du traité, comme l’a fait la Russie[28].

Généralement, les parties sont libres de convenir de modifier ou d’exclure les effets de la clause de survie au moment où elles mettent fin à des AII[29]. Elles peuvent ainsi convenir de raccourcir la période pendant laquelle l’accord continue de s’appliquer, ou la supprimer complètement, par exemple lorsqu’elles remplacent l’AII en question par une version plus récente. L’Australie a ainsi convenu de mettre fin à ses anciens TBI avec Hong Kong[30] et l’Uruguay[31] au moment de l’entrée en vigueur d’accords récemment conclus, tout en convenant également d’abroger les clauses de survie précédentes.

Si l’ensemble des parties au TCE pourrait se mettre d’accord pour mettre fin au traité ainsi que sa clause de survie, une telle option n’est pas envisageable lorsque seulement une partie ou une poignée d’entre elles souhaite se retirer du traité. Les parties au TCE devraient à tout le moins discuter de la possibilité de supprimer la clause de survie du traité, ou de la réviser, pour la remplacer par exemple par une période d’application plus courte ou par la possibilité d’accorder d’une dérogation dans certaines circonstances.

Il faudrait également, dans le cadre du processus de modernisation amorcé, reconsidérer l’absence de dispositions dans le TCE relatives à l’extinction ou à l’expiration du traité lui-même, notamment aux vues des effets adverses éventuels du traité, sous sa forme actuelle, sur les ODD et l’Accord de Paris.


Auteure

Tania Voon est Professeure de droit à l’Université de Melbourne et figure sur la Liste de membres de jurys pour le Traité sur la Charte de l’énergie.


Notes

[1] Chartre internationale de l’énergie. (2018). Approved topics for the modernisation of the Energy Charter Treaty. Extrait de https://energycharter.org/media/news/article/approved-topics-for-the-modernisation-of-the-energy-charter-treaty

[2] Bernasconi-Osterwalder, N. & Brauch, M. D. (février 2019). Redesigning the Energy Charter Treaty to advance the low-carbon transition. Transnational Dispute Management, 1 (2019), p. 5. Extrait de https://www.transnational-dispute-management.com/article.asp?key=2632 ; aussi disponible sur https://www.IISD.org/library/redesigning-energy-charter-treaty-advance-low-carbon-transition

[3] See Voon, T. & Mitchell, A. (2019, 18 mai). Old agreements must be terminated to bring life to investment. East Asia Forum. Extrait de https://www.eastasiaforum.org/2019/05/18/old-agreements-must-be-terminated-to-bring-life-to-investment

[4] Voir, par exemple, Accord de libre-échange entre le Canada et la République de Corée, 23 septembre 2014 (entré en vigueur le 1er janvier 2015), Art. 8.5.2. Extrait de https://www.international.gc.ca/trade-commerce/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-acc/korea-coree/FTA-ale/index.aspx?lang=fra&_ga=2.10252720.443995493.1564364393-1972480325.1538438664

[5] Voir, par exemple, Gouvernement de l’Inde. (2015). Model text for the Indian bilateral investment treaty, Art. 5.5. Extrait de https://investmentpolicy.UNCTAD.org/international-investment-agreements/treaty-files/3560/download

[6] Voir, par exemple, Accord de libre-échange Singapour–Australie, 17 février 2003 (entré en vigueur le 28 juillet 2003, tel qu’amendé le 1er décembre 2017), Ch. 8, art. 19. Extrait de https://investmentpolicy.UNCTAD.org/international-investment-agreements/treaties/treaties-with-investment-provisions/3317/australia-singapore-fta

[7] Voir, par exemple, Royaume des Pays-Bas. (2018, 18 octobre). Netherlands model investment agreement, Art. 20.6–20.7. Extrait de https://investmentpolicy.unctad.org/international-investment-agreements/treaty-files/5832/download

[8] Voir, par exemple, Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne, 30 octobre 2016 (entré en vigueur à titre provisoire le 21 septembre 2017), Art. 8.36. Extrait de https://eur-lex.europa.EU/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX:22017A0114(01). Voir également la Convention des Nations Unies sur la transparence dans l’arbitrage entre investisseurs et États fondé sur des traités, 10 décembre 2014 (entrée en vigueur le 18 octobre 2017). Extrait de https://www.UNCITRAL.org/pdf/french/texts/arbitration/transparency-convention/Transparency-Convention-f.pdf

[9] Voir, par exemple, Accord de libre-échange entre l’Australie et la République populaire de Chine, 17 juin 2015 (entré en vigueur le 20 décembre 2015), Art. 9.11.4. Extrait de https://investmentpolicy.unctad.org/international-investment-agreements/treaties/treaties-with-investment-provisions/3572/australia—china-fta-2015-

[10] Voir Voon, T., Mitchell, A. & Munro, J. (2014). Legal responses to corporate manoeuvring in international investment arbitration. Journal of International Dispute Settlement, 5, 41–68.

[11] Voir, par exemple, Batifort, S. & Heath, J. B. (2017). The new debate on the interpretation of MFN clauses in investment treaties: putting the brakes on multilateralization. American Journal of International Law, 111(4), 873–913.

[12] Bernasconi-Osterwalder, N. (2018, 19 juin). How the Energy Charter Treaty could have costly consequences for governments and climate action. IISD Blog. Extrait de https://www.IISD.org/blog/how-energy-charter-treaty-could-have-costly-consequences-governments-and-climate-action

[13] Traité de la Charte sur l’énergie, 17 décembre 1994, art. 2. Extrait de https://energycharter.org/fileadmin/DocumentsMedia/Legal/ECT-fr.pdf

[14] Id., Art. 19.

[15] Charte internationale de l’énergie (23 juin 2016). Charte internationale de l’énergie. Extrait de https://energycharter.org/process/international-energy-charter-2015/overview

[16] Charte internationale de l’énergie. (2015). Charte internationale de l’énergie. Titre I : objectifs. Extrait de https://energycharter.org/fileadmin/DocumentsMedia/Legal/IEC_FR.pdf

[17] Id.

[18] Bernasconi & Brauch (2019), supra note 2, pp. 2–3.

[19] Assemblée générales des Nations unies, Résolution adoptée par l’Assemblée générale le 25 septembre 2015 – Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030, Doc. NU A/RES/70/1 (21 octobre 2015). Extrait de https://undocs.org/fr/A/RES/70/1

[20] Bernasconi & Brauch (2019), supra note 2, p. 4.

[21] CJUE, Affaire C-284/16, République de Slovaquie c Achmea (Arrêt de la Cour (grande chambre, 6 mars 2018)). Extrait de http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?docid=199968&doclang=FR

[22] Voir CNUCED. (2018, décembre). Fact sheet on intra-European Union investor–state arbitration cases. Note 3 sur la question des AII. Extrait de https://investmentpolicy.unctad.org/publications/1193/fact-sheet-on-intra-european-union-investor-state-arbitration-cases

[23] Eiser Infrastructure Limited and Energia Solar Luxembourg SARL c. Le Royaume d’Espagne, Proposition de communication de la Commission européenne au nom de l’Union européenne en tant que amicus curiae en soutien du Royaume d’Espagne (Cour de district des États-Unis pour le District de Columbia, déposée le 13 mars 2019). Extrait de https://www.italaw.com/cases/documents/7286

[24] Commission européenne. (2019, 17 janvier). Déclaration des États membres du 15 janvier 2019 sur les conséquences juridique de l’arrêt dans l’affaire Achmea et sur la protection de l’investissement. Extrait de https://EC.europa.eu/info/publications/190117-bilateral-investment-treaties_en

[25] Voir, par exemple, 9Ren Holdings SARL c. le Royaume d’Espagne, Affaire CIRDI n° ARB/15/15, Décision, 31 mai 2019. Extrait de https://www.italaw.com/cases/7374

[26] Traité sur la Charte de l’énergie, supra note 13, art. 47(3).

[27] Voir, par exemple, Eskosol SPA in liquidazione c. la République italienne, Affaire CIRDI n° ARB/15/50, Décision sur la demande de l’Italie d’un retrait immédiat et sur l’objection à la compétence présentée par l’Italie, fondée sur l’inapplicabilité du Traité sur la Charte de l’énergie aux différends intra-européens, 7 mai 2019. Extrait de https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw10512.pdf

[28] Voir Voon, T. & Mitchell, A. (2017). Ending international investment agreements: Russia’s withdrawal from participation in the Energy Charter Treaty. AJIL Unbound. 111, 461–466. Extrait de https://www.cambridge.org/core/services/aop-cambridge-core/content/view/E44E5A4DAB45B4767CC357EC948B189A/S2398772317001039a.pdf/div-class-title-ending-international-investment-agreements-russia-s-withdrawal-from-participation-in-the-energy-charter-treaty-div.pdf

[29] Voir Voon, T., Mitchell, A. & Munro, J. (2014). Parting ways: the impact of mutual termination of investment treaties on investor rights. ICSID Review, 29(2), 451–473 ; Voon, T. & Mitchell, A. D. (2016). Denunciation, termination and survival: the interplay of treaty law and international investment law. ICSID Review, 31(2), 413–433.

[30] Accord d’investissement entre le Gouvernement d’Australie et le Gouvernement de la région administrative spéciale de Hong Kong de la République populaire de Chine, 26 mars 2019 (pas encore entré en vigueur), Art. 40.2. Extrait de https://investmentpolicy.unctad.org/international-investment-agreements/treaties/treaties-with-investment-provisions/4893/australia—hong-kong-investment-agreement-2019-

[31] Accord entre l’Australie et la République orientale d’Uruguay sur la promotion et la protection des investissements, 5 avril 2019 (pas encore entré en vigueur), Art. 17.5. Extrait de https://investmentpolicy.unctad.org/international-investment-agreements/treaties/bilateral-investment-treaties/4895/australia—uruguay-BIT-2019-

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