Vers un code de conduite pour les arbitres des affaires d’investissement : des normes éthiques peuvent-elles sauver le RDIE ?

Critique de l’ouvrage de Katia Fach Gómez, Principales obligations des arbitres des affaires d’investissement international : étude transnationale des dilemmes juridiques et éthiques[1].

L’idée de confier à des arbitres nommés par les parties le pouvoir de juger des différends investisseur-État par le biais de sentences définitives et contraignantes, héritée de l’arbitrage commercial et traditionnellement considérée comme appropriée, entraine à présent un certain malaise chez les critiques. Les doutes croissants quant à l’indépendance et l’impartialité des arbitres ont donné lieu à des réflexions quant à la légitimité de l’arbitrage international en tant que mécanisme de règlement des différends en matière d’investissement impliquant souvent des questions réglementaires et d’intérêt public.

Ces préoccupations alimentent désormais plusieurs initiatives de réforme du RDIE abordant l’éthique des arbitres. Les traités d’investissement et modèles de traité modernes incluent de plus en plus souvent des normes éthiques plus strictes. De plus, l’UE a remplacé, dans ses accords les plus récents, le RDIE traditionnel par un Système juridictionnel des investissements (SJI), composé de tribunaux de première instance et d’appel permanents, dont les juges sont titulaires. L’objectif de l’Union est d’étendre le SJI à l’échelle internationale grâce à la création d’un Tribunal multilatéral d’investissement (TMI). Dans le cadre du processus d’amendement des règlements du CIRDI en cours, les discussions ont également porté sur le développement d’un code de conduite, ainsi que sur l’exigence de normes éthiques plus strictes. Finalement, dans le cadre du processus de réforme multilatérale du RDIE au sein du Groupe de travail III de la CNUDCI, les États ont identifié « des préoccupations relatives aux arbitres et aux décideurs », notamment leur (apparente) absence d’indépendance et d’impartialité, et les mécanismes existants limités pour les récuser, et leurs qualifications pour juger les affaires. Le groupe de travail a conclu qu’il serait souhaitable que la CNUDCI mette au point des réformes permettant de répondre à ces préoccupations, et les abordera lorsqu’il élaborera des solutions.

Katia Fach Gómez entreprend donc de « proposer une analyse détaillée d’un ensemble significatif de fonctions attribuées aux arbitres des affaires d’investissement, qu’il s’agisse d’arbitres traditionnels de l’investissement international mais aussi des membres éventuels des tribunaux » (p. 9). Son analyse tout à fait opportune apportera une contribution précieuse aux discussions sur la déontologie des arbitres menées dans les processus de réforme susmentionnés, et aux efforts de l’UE pour l’établissement d’une TMI. Et l’évolution de ces processus exigera certainement bientôt une mise à jour de cet ouvrage.

L’auteure a choisi de ne pas consacrer de chapitre à l’obligation d’indépendance et d’impartialité, qui est déjà largement abordée dans la littérature et la jurisprudence. L’ouvrage met au contraire l’accent sur des obligations qui « jusqu’à présent ont été considérées comme moins claires, voire même secondaires » (p. 10) : les obligations de divulgation, de diligence et d’intégrité personnelles, de confidentialité, de contrôle des coûts de l’arbitrage, et de formation continue.

Chapitre 1 : Introduction. Étude transnationale des dilemmes éthiques et juridiques

Pour décrire les principales caractéristiques du RDIE et son évolution, l’auteure attache une attention particulière « aux développements récents en la matière issus d’initiatives de l’UE » (p. 1). Elle remarque par exemple que plusieurs éléments du projet européen de SJI – tels que la nomination des juges par un comité, leur statu assimilable à celui d’un fonctionnaire, un salaire fixe, l’assignation aléatoire des affaires et le mécanisme d’appel – reflètent la notion de justice sociale que l’UE souhaite intégrer dans son système juridictionnel puis dans une éventuelle TMI (pp. 4 et 5). Les processus de réforme menés à la CNUDCI et au CIRDI, ainsi que la renégociation de l’ALENA, sont brièvement mentionnés (pp. 5 et 6).

L’accent mis par l’ouvrage sur les travaux de l’UE peut s’expliquer par l’expérience de l’auteure et par ses efforts louables d’apporter une contribution positive aux initiatives de l’UE. De plus, la détermination de l’Europe à créer une TMI suggère qu’elle le fera, même si l’idée n’est pas appuyée par consensus au sein de la CNUDCI. Cela étant dit, compte tenu que plusieurs États n’ont pas conclu d’accords avec l’UE incluant un SJI, et pourraient ne pas le faire, et décider par ailleurs de ne pas devenir membre d’une TMI, les initiatives de réforme du RDIE menées par la CNUDCI et le CIRDI pourraient s’avérer plus pertinentes à l’échelle internationale.

L’auteure semble soutenir l’idée de l’UE qu’une proposition de SJI/TMI « dynamite » et substitue totalement le mécanisme de « RDIE obsolète » (p. 5), mais elle aurait pu l’exprimer de manière plus nuancée. Si la proposition de SJI/TMI pourrait répondre à certains problèmes éthiques, elle ne répond pas à d’autres problèmes du RDIE. Tout comme le RDIE classique, le SJI/TMI offre aux investisseurs étrangers d’extraordinaires voies de recours légales fondées sur un traité, sans offrir les mêmes droits aux autres parties-prenantes de l’investissement, telles que les investisseurs nationaux, les individus ou les communautés affectés, ou même les États. Et malgré ces améliorations éthiques, le SJI/TMI ne représente qu’une version partiellement améliorée du RDIE[2], et en ce sens, reflète encore une vision du monde des années 1960 (p. 3).

Le chapitre introductif pointe aussi du doigt l’absence de systémisation des traités et des règlements arbitraux à l’heure d’aborder les obligations des arbitres, mais salue le code de conduite, qui figure notamment dans les propositions des universitaires, les modèles de TBI, les traités européens et le processus d’amendement des règlements du CIRDI, comme « une nouveauté intéressante qui a émergé ces dernières années dans le secteur de l’arbitrage des investissements » (p. 8). Il indique cependant que codes de conduite récents sont « libellés en des termes généraux et ambigus » et ne sont pas nécessairement exhaustifs.

Chapitres 2 et 3 : l’obligation de divulgation

Le chapitre 2 aborde l’obligation des arbitres « de divulguer un ensemble de circonstances qui pourraient les lier à l’affaire ou à ses parties-prenantes » (p. 25). L’auteure analyse d’abord les aspects et le contenu formel des déclarations d’impartialité et d’indépendance requises au titre des règlements du CIRDI et d’autres institutions arbitrales, telles que la CCI, le Centre international d’arbitrage de Singapour (SIAC), la CPA et la CNUDCI, ainsi qu’au titre de règlements similaires issus d’autres contextes que celui de l’investissement, comme par exemple ceux de la CJUE et de l’OMC.

Prenant note des vertus d’approches plus modernes, l’auteure souligne que le CIRDI pourrait « affiner et renforcer ses exigences s’agissant de l’obligation de divulgation des arbitres » (p. 37). Concluant que la supposée méconnaissance des arbitres de circonstances particulières a souvent été acceptée pour éviter une récusation, elle appelle à la reformulation des dispositions du CIRDI relatives à l’obligation de divulgation pour « passer de normes centrées sur les arbitres à des normes davantage centrées sur les parties » (p. 44). Elle recommande également d’inclure « des références explicites à la nature continue de l’obligation de divulgation », soulignant la nécessité de maintenir une confiance constante entre l’arbitre et les parties (p. 50).

Il est important de noter que Fach Gómez plaide pour que les institutions arbitrales jouent un rôle plus actif dans le contrôle du respect de l’obligation de divulgation, en vérifiant par exemple les déclarations et CV des arbitres, ou en organisant des formations obligatoires sur des « questions telles que l’éthique et l’intégrité », entre autres (p. 68). Elle se penche notamment sur les rares cas où des institutions arbitrales ont imposé des sanctions aux arbitres commerciaux qui n’avaient pas respecté leur obligation de divulgation, mais se dit sceptique quant à la possibilité de tenir les arbitres d’investissement responsables, compte tenu que leur « immunité…s’est jusqu’à présent avérée être un principe quasi-inébranlable » (p. 70).

Le chapitre 3 se plonge dans les Lignes directrices de l’Association internationale du barreau (IBA) sur les conflits d’intérêt dans l’arbitrage international ; les références qui y sont faites dans les différends en matière d’investissement et dans certains traités d’investissement récents ; et leur éventuelle influence sur le développement en cours des codes de conduite. L’auteure présente des études de cas détaillées sur trois aspects controversés de l’arbitrage des investissements – les nominations répétitives, les conflits dits « de fonction » et les doubles casquettes – et leurs liens avec l’obligation de divulgation.

Le chapitre 4 : l’obligation de diligence et d’intégrité personnelles

Pour définir les contours de l’obligation de diligence et d’intégrité personnelles, et en analysant la pratique des arbitres du CIRDI consistant à engager des assistants en plus du secrétaire officiel du CIRDI, ainsi que les propositions connexes dans le processus d’amendement des règlements du CIRDI, Fach Gómez commence par l’interdiction, pour les arbitres, de déléguer leurs responsabilités. Elle examine l’affaire Yukos c. la Russie, suite à laquelle la Russie a contesté auprès des tribunaux néerlandais la décision la condamnant à verser 50 milliards USD à l’investisseur, en partie aux motifs qu’un assistant avait été largement impliqué dans les délibérations du tribunal, notamment à l’étape de la décision sur le montant, « en violation du mandat du tribunal de personnellement réaliser ces tâches » (p. 135). Si elle indique que cet aspect n’a pas été déterminant dans l’annulation de la décision, l’auteure plaide pour une clarification des règles en dressant la liste des tâches des assistants ou en déterminant que leurs tâches devraient être fixées en consultation avec les parties.

L’auteure explore deux autres facettes de l’obligation de diligence et d’intégrité personnelles. S’agissant de la disponibilité temporelle des arbitres, elle remarque l’influence de la formulation du code de conduite de l’ALENA de 1994, ainsi que les propositions d’amendement des règlements du CIRDI visant à obliger les arbitres à être plus disponibles, et ainsi améliorer l’efficacité des procédures. En outre, compte tenu du succès des demandes de récusation des arbitres dans les affaires Burlington c. l’Équateur et Perenco c. l’Équateur, elle soutient l’inclusion de références à « un comportement digne » dans les codes de conduites futurs (p. 153).

Chapitre 5 : l’obligation de confidentialité

Pour Fach Gómez, il existe une convergence entre « les devoirs [d’un arbitre d’investissement] en tant que garant de la transparence vis-à-vis du public, et son obligation de confidentialité s’agissant des participants à la procédure » (p. 171). Elle considère le Règlement de la CNUDCI sur la transparence dans l’arbitrage entre investisseurs et États fondé sur des traités comme un « texte international extrêmement important » qui peut servir de référence en matière de transparence, tout en notant qu’au bout du compte, la confidentialité est liée à l’interdiction des communications ex parte imposée aux arbitres, et à l’obligation des institutions arbitrales de respecter le caractère privé et secret des délibérations et projets de textes du tribunal (p. 166). Elle note également que l’adoption croissante par les États de normes améliorées en matière de transparence entraine une réduction de la portée de l’obligation de confidentialité, puisque « rares sont les informations pouvant encore être classées comme non publiques » (pp. 172 et 173).

Chapitre 6 : les autres obligations. Le contrôle des coûts de l’arbitrage et la formation continue

Faisant référence aux affaires Getma c. la Guinée, dans laquelle les arbitres ont unilatéralement relevé leurs honoraires, et Chevron et Texaco c. l’Équateur, dans laquelle l’arbitre-président a perçu des honoraires d’environ 1 million USD, le chapitre 6 examine brièvement l’obligation des arbitres de rationaliser les coûts de la procédure. Cette obligation est liée à une autre catégorie de préoccupations où une réforme est souhaitable, et identifiée par les États membres de la CNUDCI : les coûts et la durée significatifs des procédures de RDIE.

L’auteure mentionne les propositions d’amendement des règlements du CIRDI visant à renforcer l’obligation des arbitres de contrôler les coûts, telles que la fixation de délais pour rendre les décisions, la détermination de la rémunération des arbitres après des étapes spécifiques, ou la pénalisation des retards par la réduction des honoraires des arbitres. Elle met également la lumière sur les dispositions liées aux coûts dans l’approche européenne du SCI, telles que les clauses interdisant les recours multiples, ainsi que les articles abordant spécifiquement la garantie des coûts et le financement par des tiers, ainsi que la création d’un régime de rémunération pour les arbitres (pp. 180 et 181).

Finalement, l’auteure indique que les arbitres internationaux ont l’obligation de continuellement développer leurs compétences professionnelles. À son sens, si les arbitres étaient sensibilisés aux normes éthiques et des droits de l’homme, par exemple, et en avaient une meilleure connaissance, ils pourraient prendre des décisions de meilleure qualité. Elle encourage les institutions arbitrales, l’UE et la CNUDCI, à examiner plus avant cette question (p. 185).

Chapitre 7 : Conclusion. Un nouveau code de conduite à l’intention des arbitres d’investissement actuels et futurs

Le chapitre final résume les recommandations politiques de Fach Gómez, ainsi que ses arguments en faveur d’un nouveau code de conduite à l’intention des arbitres d’investissement actuels et futurs » (p. 203). Elle loue une fois de plus les initiatives européennes en la matière, affirmant qu’elles « constituent des progrès en termes de systématisation, de visibilité, de transparence et de responsabilité » qui pourraient contribuer à « déclencher une course vers le sommet » (pp. 191 et 192).

J’interprète cet optimisme avec ambivalence. L’ouvrage de Fach Gómez propose une analyse convaincante des mérites éventuels des codes de conduite pour atteindre des normes éthiques plus élevées chez les arbitres et ainsi améliorer le régime de RDIE. Mais ses travaux montrent également leurs limites, et la nécessité d’être affinés, compte tenu que ces efforts en sont encore aux premiers stades et souffrent d’« ambigüité et d’incomplétude », ce qui vaut également pour « le contenu des obligations spécifiques des arbitres d’investissement qui pourraient donner forme au code de conduite » (p. 192).

Fach Gómez mentionne également certaines questions soulevées dans le processus de la CNUDCI : « comment les règles éthiques devraient-elles être appliquées et par qui (les arbitres, les parties, les institutions, d’autres parties-prenantes) ? » (p. 18). Elle affirme que ces questions « devraient trouver résolution à l’avenir par l’appel au développement d’une gamme d’instruments disciplinaires, disponibles au cas où les arbitres d’investissement ne respecteraient pas leurs obligations » (p. 18). Mais quelle est la probabilité que de tels instruments disciplinaires soient développés et utilisés efficacement, compte tenu du « principe quasi-inébranlable » de l’immunité des arbitres d’investissement (p. 70) ?

Plus important encore, un code de conduite n’est pas la panacée pour les problèmes plus larges et profonds inhérents au régime du RDIE. Il existe encore des dispositions de fond largement formulées dans des traités d’investissement déséquilibrés, accordant des droits aux investisseurs étrangers sans leur imposer d’obligations à force exécutoire. Ces traités continuent de permettre aux investisseurs étrangers de contester les mesures gouvernementales visant à réaliser des priorités nationales de développement, les ODD et des objectifs d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques. Un ensemble d’arbitres d’investissement qui respectent les normes éthiques les plus élevées ne peut pas faire grand-chose si le droit qu’ils appliquent est fondamentalement imparfait.


Auteur

Martin Dietrich Brauch est conseiller en droit international et associé du Programme de l’IISD sur l’investissement pour le développement durable, et le Rédacteur en chef d’Investment Treaty News.


Notes

[1] Fach Gómez, K. (2019). Key duties of international investment arbitrators: a transnational study of legal and ethical dilemmas (« Fonctions clé des arbitres des affaires d’investissement international : étude transnationale des dilemmes juridiques et éthiques »). Springer : Cham. Extrait de https://www.springer.com/gp/book/9783319981277

[2] Programme sur l’investissement de l’IISD. (2017, mars). Reply to the European Commission’s public consultation on a multilateral reform of investment dispute resolution. Extrait de https://www.IISD.org/library/reply-european-commission-s-public-consultation-multilateral-reform-investment-dispute

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