L’Espagne est condamnée à verser 290,6 millions d’euros à NextEra dans une affaire portant sur les énergies renouvelables
NextEra Energy Global Holdings B.V et NextEra Energy Spain Holdings B.V c. le Royaume d’Espagne, Affaire CIRDI n° ARB/14/11
Un tribunal du CIRDI a ordonné à l’Espagne de verser 290,6 millions d’euros à deux investisseurs néerlandais, en indemnisation de la violation de la norme TJE au titre de l’article 10(1) du TCE, ainsi qu’un tiers de leurs frais juridiques.
Le contexte et les recours
Les demandeurs, NextEra Energy Global Holdings B.V et NextEra Energy Spain Holdings B.V (conjointement, NextEra), sont des entreprises enregistrées au titre du droit néerlandais. NextEra avait investi dans la construction de deux centrales solaires thermodynamiques, les centrales Termosol.
NextEra affirmait qu’après que ses filiales espagnoles se soient engagées à construire les deux centrales et dépensé environ 750 millions d’euros pour la construction, l’Espagne modifia le cadre réglementaire qui leur était applicable, nuisant à la rentabilité du projet. Les modifications apportées au régime prévoyaient que les centrales seraient payées sur la base de leur capacité, et non plus de leur production, et que des taxes supplémentaires seraient appliquées.
NextEra lança un arbitrage le 23 mai 2014, arguant que l’Espagne avait violé son obligation TJE au titre de l’article 10(1) du TCE, de trois manières : (1) en frustrant les attentes légitimes de NextEra, (2) en violant son obligation d’accorder un cadre stable, cohérent et transparent, et (3) en adoptant des mesures déraisonnables, disproportionnées et discriminatoires.
Pour étayer ces recours, NextEra alléguait qu’en l’absence du cadre réglementaire original, qui offrait un régime de rémunération basé sur la production, et la certitude quant aux primes et tarifs, elle n’aurait jamais investi. L’Espagne rétorqua toutefois que NextEra aurait dû savoir que des changements pouvaient être apportés au régime réglementaire.
La décision sur la compétence, la responsabilité et la méthode de calcul du quantum : violation du TJE par la frustration des attentes légitimes de NextEra
Le 12 mars 2019, le tribunal rendit sa Décision sur la compétence, la responsabilité et la méthode de calcul du quantum. Il détermina d’abord qu’il avait compétence sur l’affaire, puisque NextEra était un investisseur reconnu. L’Espagne s’était opposée à la compétence du tribunal, arguant que le TCE ne s’appliquait pas aux différends intra-européens compte tenu de la décision dans Achmea du 6 mars 2019. Le tribunal rejeta toutefois cette objection, concluant que le consentement de l’Espagne à l’arbitrage des différends au titre du TCE n’excluait pas les différends intra-européens en matière d’investissement.
S’agissant de la responsabilité, le tribunal commença par évaluer si l’Espagne avait violé les attentes légitimes de NextEra, protégées par l’article 10(1) du TCE. Il estima que la modification de la réglementation elle-même ne suffisait pas à violer les attentes de NextEra selon lesquelles les conditions du cadre réglementaire précédant seraient garanties. Il considéra toutefois que les déclarations et assurances données directement à NextEra par les autorités espagnoles pouvaient justifier les attentes légitimes de NextEra.
Le tribunal estima que les modifications apportées au cadre réglementaire étaient substantielles, notamment compte tenu des éléments suivants :
- Les centrales allaient désormais être rémunérées en fonction de leur capacité, et non plus en fonction de l’électricité produite.
- Les tarifs de rachat garantis ainsi que les options de vente en gros à un prix plus élevé précédemment réglementés étaient abolis.
- La rémunération n’était plus due pendant toute la durée de vie des centrales, mais était limitée à une « durée de vie programmée » de 25 ans.
- L’indexation des prix sur l’indice des prix à la consommation (IPC) était abolie.
- L’électricité produite à partir de gaz naturel ne recevait plus de prime au-dessus du prix du marché, alors qu’au titre du Décret royal (DR) 661/2007 (confirmé par le DR 1614/2010), les centrales avaient été autorisées à utiliser du gaz naturel pour 12 à 15 pour cent de leur production annuelle (selon qu’elles vendaient au tarif de rachat garanti ou au prix de vente en gros plus prime).
- La rémunération au prix du marché était désormais assujettie à une nouvelle taxe de 7 pour cent sur les revenus bruts.
Aussi, compte tenu des garanties données par l’Espagne à NextEra, le tribunal considéra que l’Espagne était responsable de ces dommages.
S’agissant de l’évaluation des dommages, le tribunal écarta la méthode d’actualisation des flux de trésorerie, et considéra qu’il serait plus approprié de calculer la valeur des actifs ainsi qu’un taux raisonnable de retour sur cette valeur. Il justifia cette décision par le fait que l’utilisation de la méthode d’actualisation des flux de trésorerie exige de déterminer une base appropriée pour la prévision des bénéfices futurs. Hors, les centrales Termosol avaient opéré pendant moins d’une année avant la violation, et le tribunal estima que la prévision des bénéfices n’étaient pas suffisante pour utiliser cette méthode.
Il décida donc que les investisseurs avaient droit à des dommages basés sur un retour sur la valeur capitalisée de leurs actifs au 30 juin 2016, soit le coût moyen pondéré du capital des centrales Termosol, majoré d’une prime de 200 points de base. Il détermina également que NextEra avait droit à des intérêts post-décision correspondant à ceux des obligations d’État espagnoles à échéance de 5 ans.
Pour résumer, le tribunal affirma sa compétence sur les recours de NextEra ; sur le fond, il détermina que l’Espagne n’avait pas respecté son obligation d’accorder le TJE au titre de l’article 10(1) du TCE en ne protégeant pas les attentes légitimes de NextEra. Ayant déterminé que NextEra avait droit à des dommages, le tribunal ordonna à NextEra de les recalculer sur la base de la méthode de calcul du quantum décrite.
La décision sur le quantum, les intérêts et les coûts
Le 21 mars 2019, en réponse à la décision du 12 mars, NextEra présenta un montant de 290,6 millions d’euros et demanda au tribunal de préciser le taux d’intérêt applicable. Dans sa communication du 5 avril, l’Espagne indiquait qu’elle n’avait pas d’observations à formuler quant au montant des dommages. Elle arguait également que le tribunal avait déjà déterminé le taux d’intérêt applicable et qu’il n’était pas utile de réouvrir la discussion.
Puisque l’Espagne ne contestait pas l’exactitude du montant présenté par NextEra sur la base de la méthode de calcul décrite dans la décision de mars, le tribunal l’accepta et ordonna à l’Espagne de payer 290,6 millions d’euros à NextEra. S’agissant des intérêts, il détermina que le taux d’intérêt serait celui des obligations d’État à échéance de 5 ans dès la date de la décision de mars.
Le tribunal considéra par ailleurs que même si l’Espagne n’avait pas EU gain de cause quant à la compétence et sur le fond, ses arguments sur la compétence n’étaient pas triviaux, et les arguments de NextEra sur le fond n’étaient pas complètement étayés. Il ordonna donc à l’Espagne de payer deux-tiers des coûts de la procédure, et à NextEra d’en payer le dernier tiers. Il ordonna également à l’Espagne de payer ses propres frais juridiques et un tiers de ceux de NextEra.
Remarque : le tribunal était composé de Donald M. McRae (Président nommé sur accord des parties, de nationalités canadienne et néo-zélandaise), d’Yves Fortier (nommé par le demandeur, de nationalité canadienne) et de Laurence Boisson de Chazournes (nommée par le défendeur, de nationalités franco-helvétique). La décision du 31 mai 2019 est disponible sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw10568.pdf. La décision sur la compétence, la responsabilité et la méthode de calcul du quantum du 12 mars 2019 est disponible sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw10569.pdf.
Gabriela Barcellos Scalco détient une licence en droit de l’Université fédérale de Rio Grande do Sul, Brésil, et travaille chez Rossi, Maffini, Milman e Grando Advogados.