Le Venezuela survit à des recours fondés sur l’expropriation et le TJE présentés par Anglo American au CIRDI
Anglo American PLC c. la République bolivarienne du Venezuela, Affaire CIRDI n° ARB(AF)/14/1
Suite à la dénonciation par le Venezuela de la Convention du CIRDI en 2012, le pays a fait face à une vague de recours. Dans l’une de ces affaires, lancée par Anglo American PLC (Anglo American), un investisseur enregistré au Royaume-Uni, la majorité d’un tribunal du mécanisme supplémentaire du CIRDI rejeta tous les recours.
Le contexte et les recours
Anglo American détenait indirectement 91,37 pour cent de Minera Loma de Niquel C.A. (MLDN), une entreprise minière vénézuélienne opérant dans des dépôts de nickel et de cobalt. Entre 1992 et 1999, MLDN reçu plusieurs concessions minières du gouvernement vénézuélien, qui expiraient en 2012. Ces accords de concession prévoyaient, à leur terme, le transfert de propriété des actifs miniers de MLDN à l’État. En outre, la loi vénézuélienne de 2002 sur la TVA autorisait MLDN à récupérer la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) payée pour l’acquisition de biens et services au Venezuela.
Anglo American alléguait que le Venezuela avait exproprié les centres de traitement et les stocks de MLDN lorsque les concessions avaient expiré, arguant qu’il s’agissait « d’actifs non transférables ». Elle prétendait également que le pays avait violé la norme TJE au titre du TBI Royaume-Uni-Venezuela car il avait cessé de rembourser la TVA à MLDN en 2010. Le Venezuela déposa une demande reconventionnelle contre Anglo American, réclamant des dommages pour violation de l’accord de concession.
Le tribunal rejette les objections du Venezuela à la compétence
Dans son objection à la compétence matérielle du tribunal, le Venezuela argua que puisque le TBI ne faisait pas référence aux « investissements indirects », ceux-ci n’étaient pas protégés. Il suggéra que le Royaume-Uni et le Venezuela avait délibérément omis toute référence aux « investissements indirects » dans le TBI en s’écartant de la pratique textuelle qu’ils suivaient habituellement.
Le tribunal centra son analyse sur la formulation très large du TBI, qui étendait sa protection à « tout type d’actifs ». La liste d’investissements protégés figurant après le « chapeau » de la disposition était considérée comme indicative, et non pas une limitation du large champ d’application matériel. Le tribunal souligna la « réalité économique » de l’époque où le TBI avait été conclu, notant que les investissements indirectement détenus étaient monnaie courante. C’est pourquoi il détermina que les investissements indirects d’Anglo American – ses parts dans MLDN et sa participation aux actifs de MLDN – étaient des « investissements » protégés par le TBI. S’agissant de la participation d’Anglo American aux actifs de MLDN, le tribunal fit également référence à l’article 5(2) du TBI, qui interdit l’expropriation illicite des actifs d’une entreprise « dans laquelle des citoyens ou entreprises de l’autre partie contractante détiennent des parts ». Par conséquent, le tribunal affirma sa compétence sur les recours.
La deuxième objection du Venezuela, fondée sur une disposition relative au choix du forum exclusif contenue dans les accords de concessions, fut rapidement rejetée. Le tribunal observa qu’Anglo American n’était pas partie à ces accords de concession, et n’avait pas cherché à déguiser ses recours contractuels en différends relatifs à l’investissement.
Les actifs soi-disant expropriés étaient « transférables »
Les parties étaient d’accord sur le fait que si les actifs étaient transférables à l’État à l’expiration des concessions, la question de l’expropriation ne se poserait pas. Anglo American affirmait qu’au titre des accords de concession et des lois minières, le Venezuela ne pouvait récupérer que les actifs utilisés pour la réalisation des « objets des concessions », à savoir les activités d’exploration et d’exploitation minière. Aussi, les actifs utilisés pour les activités accessoires de traitement et les stocks n’étaient pas transférables. Le Venezuela contra ces arguments, affirmant que ces instruments juridiques ne réglementaient pas les activités primaires et les activités minières secondaires différemment, mais que tous deux imposaient le transfert au Venezuela, sans indemnisation, de tous les actifs utilisés pour les activités minières.
Le tribunal observa que les accords de concession classifiaient les actifs « envisagés aux fins de » de la concession et en « faisant partie intégrale » comme étant transférables. Interprétant les accords à la lumière de la loi minière vénézuélienne de 1945, le tribunal conclut que la finalité des accords s’étendait à la réglementation du « droit exclusif d’extraire et d’utiliser » les ressources minières. Aussi, les actifs liés aux activités qui profitaient ou bénéficiaient de la mine, notamment les centre de traitement, étaient envisagés « aux fins de » la concession. En outre, le tribunal considéra que les actifs liés au traitement faisaient partie « intégrale » de la concession puisqu’ils se trouvaient sur le site de la concession. Aussi, le tribunal détermina que les actifs de MLDN étaient transférables et n’avaient pas été expropriés.
La majorité évalua également l’impact de la nouvelle loi minière vénézuélienne de 1999 sur ses conclusions, mettant l’accent sur deux aspects majeurs. D’abord, la nouvelle loi maintenait les droits et obligations des concessionnaires inclus dans l’ancienne loi. Ensuite, toute éventuelle distinction entre activités primaires et activités minières secondaires dans la loi était sans importance, puisque la loi appelait au transfert de tous les actifs « acquis visant à être utilisés dans les activités minières ». Observant qu’Anglo American faisait référence aux « activités de traitement » comme étant des activités minières, le tribunal considéra que cela ne changeait en rien le fait que les actifs des demandeurs étaient transférables.
Finalement, il examina la loi sur l’investissement vénézuélienne de 1999, qui mandatait l’indemnisation de la valeur non amortie des actifs transférés. Le tribunal considéra que, puisque la loi maintenait les droits et obligations contenus dans les accords antérieurs, la renonciation d’Anglo American à une indemnisation au titre des accords de concession restait en vigueur. S’agissant des stocks d’Anglo American, composés de matières premières, la majorité parvint à la même conclusion, pour les mêmes raisons.
La conduite du Venezuela est critiquable mais ne viole par le TJE
Anglo American prétendait que la cessation du remboursement de la TVA, que MLDN avait perçu depuis 2001, équivalait à une violation du TJE. À l’inverse, le Venezuela attribuait cette cessation au fait qu’Anglo American n’avait pas réalisé les déductions de ses crédits de TVA dans les déclarations correspondantes, après l’introduction de changements réglementaires en 2005.
Pour commencer, le tribunal rejeta l’argument du Venezuela selon lequel le TJE « au titre du droit international » exige uniquement le respect de la norme minimale de traitement au titre du droit international coutumier. Selon lui, ces termes représentaient la base du TJE et « la norme minimale de traitement du droit international coutumier a évolué » pour inclure « les attentes légitimes, la transparence, le caractère raisonnable, l’application régulière du droit, ainsi que l’absence de discrimination et d’arbitraire » (paras. 442-443).
Le tribunal souligna par la suite que le Venezuela ne s’était pas bien conduit car il n’avait pas informé MLDN de la cessation des remboursements de TVA en temps opportun. Il s’abstint pourtant de conclure à une violation du TJE : il considérait que la conduite du Venezuela se justifiait puisque l’État cherchait à éviter la double comptabilisation des crédits de TVA. En outre, le tribunal souligna qu’en l’absence d’un engagement spécifique en ce sens, le demandeur ne pouvait s’attendre à ce que « ni la loi, ni la pratique administrative ne changeraient » (para. 468). Finalement, il rejeta les recours d’Anglo American, déterminant que le manque de transparence dans la conduite de l’un des représentants du pays ne représentait pas la position du Venezuela.
Le tribunal blâma Anglo American pour la façon mollassonne dont elle avait présenté ses griefs aux représentants vénézuéliens, et pour le fait qu’elle n’avait pas respecté les changements réglementaires bien qu’elle reçût (tardivement) les informations correspondantes.
Rejet des autres recours et de la demande reconventionnelle du Venezuela
Anglo American mit en avant deux violations de la norme de protection et sécurité intégrales : la sécurité physique de ses actifs et la sécurité juridique des remboursements de la TVA. S’agissant de la saisie physique des actifs de l’entreprise, le tribunal y appliqua son raisonnement sur l’expropriation. En outre, selon le tribunal, la « sécurité juridique » au titre de la norme de la protection et la sécurité intégrales exigeait la même analyse que celle de la norme TJE. Il rejeta donc les deux recours.
Il rejeta également les arguments d’Anglo American en faveur d’une violation du traitement national, en l’absence de preuves d’une discrimination. Enfin, il rejeta la demande reconventionnelle du Venezuela puisque l’article 8(3) du TBI limitait la compétence du tribunal aux « violations par la partie contractante concernée » de ses obligations.
Le montant accordé et les coûts
Puisqu’il avait rejeté les recours et la demande reconventionnelle, le tribunal adopta une approche équilibrée des coûts : si Anglo American avait EU gain de cause s’agissant de la compétence, elle avait échoué sur le fond. À l’inverse, le Venezuela avait face à des coûts inutiles suite au retrait de certains recours par l’investisseur, mais avait tardé à payer les provisions relatives à la phase finale de la procédure d’arbitrage. Il ordonna donc à chacune des parties de payer ses propres frais juridiques.
L’opinion divergente de Tawil
L’arbitre Guido Santiago Tawil n’était pas d’accord avec les conclusions de la majorité quant au fond. Premièrement, selon lui, l’objet des accords de concession et de la loi minière de 1945 était les activités d’exploration et d’exploitation. Le droit de l’investisseur « d’exploiter et de tirer profit » de la mine au titre de cet accord ne définissait pas, au sens de l’arbitre, son objet, mais visait à garantir que les opérations minières soient menées à des fins économiques. Aussi, il conclut que les actifs utilisés pour le traitement du nickel et du cobalt extraits ne relevaient pas de l’objet premier de la concession, et qu’ils n’étaient pas transférables, et que, par conséquent, la saisie des actifs de l’entreprise sans indemnisation par le Venezuela équivalait à une expropriation illicite.
Ensuite, s’agissant du TJE, Tawil remettait en cause l’évaluation par la majorité de la conduite du Venezuela : il détermina que l’absence de publication ou de notification des changements administratifs à MLDN de manière opportune et raisonnée était contraire à la transparence requise par la norme TJE. Selon lui, le fait que MLDN n’ait pas demandé d’explication aux tribunaux locaux ne pouvait porter atteinte à ses droits, ni libérer l’État de ses obligations.
Remarques : le tribunal était composé de Yves Derains (président, nommé par les parties, de nationalité française), de Guido Santiago Tawil (nommé par le demandeur, de nationalité argentine) et de Raúl E. Vinuesa (nommé par le défendeur, de nationalités argentine et espagnole). La décision est disponible sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw10293.pdf
Vishakha Choudhary est étudiante en Master en droit (2019) à l’Europa-Institut, Université de Saarland (Allemagne) et chercheure à la chaire du Prof. Dr. Marc Bungenberg, Directeur de l’Europa-Institut.