WNC c. République tchèque : le tribunal rejette le recours en expropriation et détermine qu’il n’a aucune compétence concernant toutes les autres allégations
WNC Factoring Limited c. la République tchèque, Affaire CPA nº 2014-34
Le 22 février 2017, la Cour permanente d’arbitrage (CPA) a rejeté l’ensemble des requêtes formulées par WNC Factoring Ltd. (WNC) à l’encontre de la République tchèque. Le tribunal a conclu qu’il n’avait pas compétence pour statuer sur les requêtes concernant les obligations en matière de TJE et de la Nation la plus favorisée (NPF) prévues par le traité bilatéral d’investissement Royaume-Uni-République tchèque (TBI). Sur le recours concernant l’expropriation, il a conclu que la République tchèque n’avait pas enfreint les dispositions pertinentes. Par conséquent, il a ordonné à la société britannique de prendre en charge les frais de justice (soit le montant de 35 940 599,34 de CZK) et une partie des frais de l’arbitrage (soit 425 500 USD), encourus par la République tchèque.
Contexte
Entre 2007 et 2008, WNC a remporté un appel d’offres public en vue de l’acquisition d’une entreprise publique tchèque, Škoda Export, pour un montant d’environ 210 millions de CZK (environ 9,5 millions d’USD). WNC a participé à l’appel d’offres par l’intermédiaire de sa filiale ČEX, a.s., rebaptisée par la suite FITE Export, a.s.
WNC a affirmé avoir constaté à la suite de l’acquisition que l’état de l’entreprise était bien loin de celui présenté au cours de la phase de diligence due de l’appel d’offres : ses comptes faisaient état d’un montant inférieur de 860 millions de CZK par rapport aux données communiquées par l’ancienne direction (para. 3.44).
Škoda Export a alors informé le ministre des finances tchèque, Miroslav Kalousek, de la présence d’un risque de graves difficultés économiques. La société a demandé des garanties à l’État en vue d’obtenir un financement opérationnel auprès d’une banque d’exportation, mais s’est heurtée au refus du ministre. Elle a également fait une demande de crédit d’un montant oscillant entre 1 et 1,3 milliard de CZK et a formé un recours en paiement de 1 milliard de CZK auprès du tribunal municipal de Prague à l’encontre du ministère des Finances quelques semaines plus tard.
En 2009, le conseil d’administration de Škoda Export a démissionné en bloc, et l’unité chargée du blanchiment d’argent de la police tchèque a gelé les comptes de l’entreprise. Malgré le dégel des comptes en été 2009, Škoda Export a déclaré faillite en novembre 2009. Deux ans plus tard, le tribunal municipal a approuvé sa vente à une autre société.
Double objection à la compétence du tribunal pour entendre l’une des revendications de l’investisseur.
La République tchèque a soutenu que le tribunal n’avait pas compétence ratione persona parce que la clause d’arbitrage du TBI avait été remplacée par le droit de l’Union européenne (UE), et, à titre subsidiaire, qu’il n’avait pas compétence pour statuer sur les demandes relevant du TBI (sauf celle concernant l’expropriation) (para. 5.64).
Le droit de l’UE c. les TBI intra-UE
L’objection sur la compétence relative aux TBI intra-UE s’est articulée en deux volets. En premier lieu, depuis la signature du TBI, un autre traité a été signé, à savoir le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), « visant le même objet », conformément à l’article 59(1) de la Convention de Vienne sur le droit des traités (CVDT). La République tchèque a soutenu que, compte tenu du fait que la législation de l’UE prévoyait la protection des investisseurs de type consacré par le traité, le TFUE se substituait à la clause d’arbitrage du BIT. En second lieu, les articles 59(1)(b) et 30(3) de la CVDT prévoient que lorsque le traité antérieur n’a pas été résilié en vertu de l’article 59, il ne s’applique « que dans la mesure où ses dispositions sont compatibles avec celles du traité postérieur ». Selon la République tchèque, l’article 59 a EU pour effet de rendre caduque le TBI : si l’incompatibilité des deux traités est de nature à rendre l’application simultanée impossible, le traité antérieur « est réputé avoir expiré », et, à l’exclusion du TBI, seul s’applique le TFUE. La République Tchèque a essayé en substance de se prévaloir de l’incompatibilité entre le droit de l’UE et le TBI, concernant la notion du « même objet » évoqué dans le premier volet. Le tribunal a rejeté l’objection concernant les deux volets.
Tout en reconnaissant que la législation de l’UE était en cours d’élaboration et que, en ce qui concerne les traités d’investissement intracommunautaires et leur compatibilité avec le droit de l’UE (para. 6.311) la Cour de justice européenne « définirait sa position plus précisément en temps voulu », le tribunal a conclu que d’importantes mesures de protection dont les investisseurs bénéficiaient en vertu des traités d’investissement ne pouvaient pas être garanties en vertu du droit de l’UE. Il s’est fondé plus précisément sur l’arrêt rendu dans l’affaire Eastern Sugar c. République Tchèque, selon lequel le droit de l’UE en matière de flux de capitaux « est difficilement compatible avec le TJE et l’interdiction d’expropriation» (para. 6.301).
De même, le tribunal a estimé que si la libre circulation des capitaux à l’intérieur et à l’extérieur de différentes juridictions de l’UE faisait partie des prérogatives du TFEU, « le traitement accordé au fonctionnement des investissements in situ» (para. 6.305) dans le cadre des TBI était une question bien différente. Selon le tribunal, alors que WNC relevait du TJE à la fois au moment de l’acquisition de Škoda Export et de son traitement ultérieur par la Czech Export Bank, a.s. (CEB), le droit de l’UE ne s’appliquait que dans le premier cas : « Alors que la libre circulation des capitaux était susceptible de compléter la norme TJE en ce qui concerne l’acquisition, il est difficile d’envisager comment celle-ci pourrait s’appliquer au traitement de FITE ou de Škoda Export par une banque tchèque (en tant que sociétés constituées dans le pays) » (para. 6.305).
La clause parapluie, NPF et TJE
Alors que ses objections sur la compétence, relatives au droit de l’UE ont été rejetées, la République Tchèque a réussi à faire passer son argument subsidiaire selon lequel le tribunal n’était compétent que pour se prononcer sur l’expropriation.
La compétence du tribunal est prévue à l’article 8 du TBI (règlement des différends), qui délimite précisément les obligations pouvant être soumises à l’arbitrage. D’une manière générale, lesdites obligations visent la compensation, l’expropriation, le rapatriement et, surtout, la promotion et la protection des investissements (article 2(3) du TBI).
L’article 2(3) du TIB comporte une clause parapluie : « Chaque Partie au Contrat s’engage à respecter les dispositions de ces accords spécifiques, ainsi que les dispositions du présent Accord, en ce qui concerne les investissements réalisés par les investisseurs de l’autre Partie contractante ». La société WNC a invoqué cette clause pour que le tribunal puisse connaître du recours TJE concernant l’achat de Škoda Export par le biais de sa filiale FITE. Elle a par ailleurs tenté d’établir la compétence en vertu de l’article 3(1) du TBI (NPF), en se fondant dans sa demande NPF sur la clause parapluie. Ne disposant d’aucune voie de recours directe pour soumettre au tribunal le litige découlant de l’article 3, WNC a soutenu que la clause parapluie s’appliquait par le biais d’un accord spécifique. Elle a en outre soutenu que la clause avait pour effet d’étendre la compétence « à toutes les obligations substantielles du TBI » (para. 6.351).
Le tribunal a constaté que la clause parapluie dépendait de l’existence d’un « accord spécifique » (dans le cas de l’espèce, l’acquisition de Škoda Export par le biais de FITE), et que l’article ne servait pas à étendre la compétence au-delà du champ d’application prévu à l’article 8(1) du TBI. Ainsi, étant donné que FITE avait été constituée en République tchèque et n’était donc pas un investisseur britannique, le tribunal a conclu que l’accord d’acquisition n’était pas, prima facie, un « accord spécifique » au sens de la clause parapluie (par. 6.318). L’argument avancé par WNC ne plaidait pas non plus en faveur de l’« interprétation restrictive » qui pourrait conduire à des résultats manifestement absurdes, si en dictant des conditions de l’acquisition par une société nationale, l’État contournant ses obligations sous un TBI (par. 6.340).
Cette décision a eu pour effet de déclarer, en toute logique, nuls les recours sur le TJE et la clause NPF introduits par l’investisseur. Estimant qu’aucun article n’avait pour effet d’étendre sa compétence en vertu de l’article 8(1), le tribunal a conclu que, en l’absence d’un « accord spécifique », la clause parapluie ne lui permettait pas de statuer sur le recours formulé par WNC concernant le TJE (para.6.362 et 6.365).
WNC a également tenté d’exploiter la clause NPF en vertu de l’article 3 (1) du TBI pour se prévaloir des clauses parapluie plus favorables prévues par d’autres TBI auxquels la République Tchèque est partie. Le tribunal a estimé cependant que sa compétence découlait de l’article 8(1) du TBI et a fait remarquer que le paragraphe 3(1) était manifestement manquant (para. 6.349 et 6.358).
Expropriation
La position initiale de WNC reposait sur 3 points : (i) La République Tchèque s’est mise en rapport avec les institutions financières pour proposer délibérément des financements à l’exportation aux conditions qu’elle savait impossibles à respecter par Škoda Export ; (ii) ces institutions ont tenté de détourner les projets de Škoda Export vers un autre entrepreneur ; et (iii) la CEB a gelé les comptes de Škoda Export pour des motifs fallacieux, ledit gel ayant précipité la déclaration de faillite faute d’avoir été levé en temps opportun. En d’autres termes, la République tchèque était directement responsable de la faillite de l’entreprise. Après avoir examiné l’ensemble des données dont il disposait, le tribunal a conclu à l’absence de toute preuve d’une conspiration et à la légitimité du gel. En particulier, le tribunal a établi qu’aucun comportement de la part de la République tchèque ne constituait une expropriation en vertu de l’article 5 du TBI.
Remarques : Le tribunal de la CPA était composé de Gavan Griffith (arbitre président nommé par les co-arbitres, de nationalité australienne), Robert Volterra (nommé par le demandeur, de nationalité canadienne) et James Crawford (nommé par le défendeur, de nationalité australienne). (Crawford a ensuite été élu juge de la Cour internationale de Justice [CIJ], mais a continué à remplir ses fonctions d’arbitre dans le cadre de cette affaire). La décision est disponible en anglais sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw8533.pdf.
Andrej Arpas est un analyste spécialisé dans la politique commerciale. Diplômé de l’école de droit de l’Université de Manchester, il a rejoint le groupe de réflexion basé à Washington après un court passage au ministère du travail de la Slovaquie.