Le tribunal du CIRDI accorde environ 380 millions USD au titre de l’indemnisation pour l’expropriation illégale par l’Équateur
Burlington Resources Inc. c. la République de l’Équateur, Affaire CIRDI nº ARB/08/5
L’arbitrage de 2008 entre la société américaine de pétrole et de gaz Burlington Resources Inc. (Burlington) et l’Équateur en vertu du traité d’investissement bilatéral États-Unis-Équateur (TBI) est parvenu au stade de calcul du quantum de l’indemnisation. Le 7 février 2017, un tribunal du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a rendu sa décision concernant le réexamen et la sentence.
Contexte
Burlington Oriente, une filiale en propriété exclusive de Burlington, a conclu des contrats de partage de production (CPP) avec l’Équateur concernant les blocs pétroliers 7 et 21 situés dans l’Amazonie. Conformément aux CPP, Burlington devait assumer entièrement le risque d’exploitation en contrepartie d’une part de pétrole produit. Lorsque les prix internationaux du pétrole ont grimpé en flèche, l’Équateur a tenté sans succès de renégocier les CPP.
L’État a ensuite imposé une taxe de 99 pour cent sur les super profits pétrolières. Lorsque Burlington a refusé de payer la taxe, l’Équateur a entamé des poursuites pour saisir la part de production pétrolière qui, conformément aux CPP, revenait à Burlington. La société a alors suspendu ses opérations, l’investissement étant devenu peu rentable, et l’Équateur a pris possession des blocs 7 et 21 et a mis définitivement fin aux CPP.
En 2008, Burlington a introduit une demande d’arbitrage devant le CIRDI et le tribunal a rendu sa Décision sur la compétence en juin 2010. Dans sa Décision sur la responsabilité rendue en décembre 2012, le tribunal a estimé que, en reprenant les champs pétrolifères, l’Équateur a illégalement exproprié les investissements de Burlington.
Dans le cadre de l’arbitrage, l’Équateur a formulé des demandes reconventionnelles au titre des dommages causés à l’environnement et à l’infrastructure des champs de pétrole, et les parties ont conclu une entente conférant au tribunal la compétence en matière de demandes reconventionnelles. Dans sa Décision relative aux demandes reconventionnelles, rendue le 7 février 2017, le tribunal a conclu à la responsabilité de Burlington et lui a ordonné de verser à l’Équateur une compensation d’environ 41 millions USD.
La sentence porte sur le montant de la compensation à verser par l’Équateur et sur les coûts de l’arbitrage.
Bien que n’ayant pas l’autorité de la chose jugée, les décisions préliminaires rendues avant la sentence ne devraient être réexaminées que dans des circonstances exceptionnelles
À titre préliminaire, le tribunal a examiné la requête de l’Équateur en réexamen de la décision en matière de responsabilité. Il a relevé qu’aucune disposition autorisant les tribunaux de réexaminer leurs décisions n’est prévue ni par la Convention du CIRDI, ni par le Règlement.
Dans ce contexte, les précédents tribunaux ont conclu que les décisions rendues avant la sentence « qui mettent fin à certains points litigieux entre les parties » ont l’autorité de la chose jugée et ne peuvent par conséquent être réexaminées. Cependant, plus récemment, dans l’affaire SCB c. Tanesco le tribunal a jugé que les décisions rendues avant la sentence n’ont pas autorité de la chose jugée et que « dans certaines circonstances, un tribunal devrait envisager de réexaminer une décision rendue auparavant » (para. 85).
Conformément à l’arrêt dans l’affaire SCB c. Tanesco, le tribunal a jugé qu’une décision rendue avant la sentence n’avait pas l’autorité de la chose jugée. Il tenait à préciser, cependant, que l’absence de l’autorité de la chose jugée ne signifie pas qu’une telle décision pouvait nécessairement être réexaminée. En considérant qu’un litige tranché une fois au cours d’un arbitrage ne devrait en principe pas être réexaminé dans le cadre de la même procédure, le tribunal a conclu que la décision sur la responsabilité ne devrait être réexaminée que dans des circonstances exceptionnelles et extrêmement limitées.
Quant à la nature des circonstances exceptionnelles, le tribunal a décidé de procéder par analogie avec l’article 51 de la Convention du CIRDI. Il a alors exigé : (i) la découverte d’un fait nouveau ; (ii) de nature à exercer une influence décisive sur la décision préliminaire ; (iii) qui n’est pas été porté à la connaissance du tribunal et du requérant à la date à laquelle la décision préliminaire a été rendue ; (iv) qu’il n’y ait pas EU, de la part du requérant, faute à l’ignorer ; et (v) que la demande de réexamen soit faite dans le délai de 90 jours à compter de la date à laquelle ce dernier a pris connaissance dudit fait.
En se basant sur les faits, le tribunal a conclu que les critères exposés ci-dessus n’étaient pas respectés et a rejeté la demande de l’Équateur.
Le standard d’indemnisation appropriée est une réparation complète telle qu’énoncée dans les articles de la CDI
L’article III (1) du TBI prévoit les conditions qui doivent être remplies pour qu’une expropriation soit considérée comme légale. Il ne définit pas de standard d’indemnisation au titre des expropriations résultant de la violation du TBI. Le tribunal a jugé que le standard de d’indemnisation appropriée est la norme habituelle en matière de réparation intégrale prévue par le droit international coutumier énoncée à l’article 31 du projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite de la Commission du droit international (articles de la CDI), appliquée par analogie.
À cet égard, le tribunal a fait remarquer que la deuxième partie des articles de la CDI énonçant les conséquences juridiques des faits internationalement illicites visés à l’article 31 ne s’applique pas à la responsabilité internationale des États vis-à-vis des entités qui ne sont pas des États. Toutefois, le tribunal a jugé que la transposition des articles de la CDI dans le contexte des différends opposant un investisseur à un État était généralement admise.
Indemnisation au titre de l’expropriation de l’investissent de Burlington quantifié selon la méthode de l’actualisation des flux de trésorerie (DCF)
En application du standard d’indemnisation de la CDI, Burlington pouvait prétendre à une réparation intégrale au titre des pertes découlant de l’expropriation illégale par l’Équateur. Toutefois, le tribunal a estimé que seul l’un des trois chefs de dommages proposés par Burlington constituait une perte susceptible de compensation.
En résumé, il a constaté que les éventuelles plaintes fondées sur le contrat résultant des filiales de Burlington, qui ont été retirées de l’arbitrage sous le traité, n’étaient pas susceptibles d’indemnisation. En outre, l’occasion manquée d’étendre le bloc 7 PSC était trop spéculative pour faire l’objet de compensation. Par conséquent, l’investissement réalisé par Burlington pourra faire l’objet d’une compensation calculée jusqu’à la date de l’expropriation, mais pas à hauteur du montant total du projet.
En ce qui concerne l’évaluation de l’investissement réalisé par Burlington, les parties ont convenu de l’utilisation de la méthode du flux de trésorerie actualisé (DCF), mais ne sont pas parvenues à se mettre d’accord concernant plusieurs variables et hypothèses à appliquer. En fin de compte, le tribunal a ordonné à l’Équateur de payer 379 802 267 USD au titre de compensation de l’expropriation de l’investissement de Burlington.
L’un des arbitres n’est pas d’accord avec le calcul effectué selon la méthode DCF
Sur la base du droit international coutumier, la majorité des membres du tribunal étaient d’avis que la compensation due à Burlington devrait être calculée à la date du 31 août 2016, soit la date prévue de l’énoncé de la sentence arbitrale. L’arbitre Stern n’était cependant pas d’accord avec l’analyse qui en résultait, car elle se basait sur des informations ex post et les bénéfices supplémentaires réalisés entre la date d’expropriation et la date prévue de l’énoncé de la sentence.
Malgré ce désaccord, l’arbitre Stern ne semble pas avoir rendu d’opinion dissidente. Au lieu de cela, la sentence renvoie à son opinion dissidente concernant un problème similaire dans une affaire précédente, à savoir, Quiborax c. Bolivie.
Ecuador ordered to pay preponderance of arbitration costs
Conformément à l’article 6(2) de la Convention du CIRDI, le tribunal a exercé son large pouvoir discrétionnaire en matière de répartition des coûts de l’arbitrage. Pour ce faire, il a procédé à l’analyse de l’ensemble des circonstances de l’affaire, en fonction, notamment, de la contribution de chaque partie aux coûts et du caractère raisonnable et justifié de celle-ci.
Le tribunal a conclu qu’il était équitable que l’Équateur prenne en charge 65% et Burlington 35% du montant du coût de l’arbitrage. Chaque partie a été condamnée à prendre en charge ses propres frais et dépens.
Remarques : Le tribunal était composé de Gabrielle Kaufmann-Kohler (Président nommé par les parties, de nationalité suisse), Stephen Drymer (nommé par le requérant, de nationalité canadienne), et Brigitte Stern (nommée par le défendeur, de nationalité française). La décision sur l’examen et l’indemnisation est disponible à l’http://www.italaw.com/cases/documents/5141.
Matthew Levine est avocat au Canada et contributeur du programme Investissement étranger et développement durable de l’IISD.