Un tribunal de nouvel examen met un terme à un litige de 20 ans au CIRDI
Victor Pey Casado et la Fondation Presidente Allende c. la République du Chili, affaire CIRDI n° ARB/98/2
Le 13 septembre 2016, un tribunal a prononcé une sentence définitive tranchant l’affaire engagée par Victor Pey Casado et la Fondation Presidente Allende contre le Chili en vertu d’un traité bilatéral d’investissement entre le Chili et l’Espagne (TBI). Il a estimé, en vertu des règles d’arbitrage du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), que les allégations faites par les demandeurs étaient dépourvues de fondement ou n’étaient pas couvertes par la sphère des compétences du tribunal de nouvel examen. Le tribunal a décidé que les frais d’arbitrage devaient être répartis dans des proportions attribuant les trois quarts aux demandeurs et un quart au Chili et a ordonné aux demandeurs de rembourser 159 509,43 USD au Chili.
Antécédents
Pey Casado, un Chilien naturalisé et né en Espagne, a acheté en 1972 une participation dans El Clarín, un journal chilien de gauche. Pendant le coup d’État de 1973 ayant ciblé le président Salvador Allende, ce journal a été réquisitionné. El Clarín a été formellement nationalisé deux ans plus tard par le dictateur Augusto Pinochet. En janvier 1990, peu après le rétablissement de la démocratie au Chili, Pey Casado a donné 90 pour cent des parts dont il était titulaire dans l’entité propriétaire d’El Clarín à l’autre demandeur, à savoir la Fondation Presidente Allende, qui est située en Espagne.
Pey Casado a engagé, en octobre 1995, un recours devant les tribunaux du Chili afin d’obtenir une restitution en raison de la confiscation d’une presse d’imprimerie Goss, qui était dans les locaux d’El Clarín lorsque ce bien a été saisi. Le Chili a lancé en juillet 1998 un programme d’indemnisation visant à réparer les victimes de confiscations de biens pendant la dictature, mais en juin 1999 les demandeurs ont renoncé au droit leur permettant de demander une réparation en vertu de ce programme. La Décision 43 qui a été prise en avril 2000 par le ministère des actifs nationaux a permis de réparer quatre personnes physiques de l’expropriation d’El Clarín, mais la liste des bénéficiaires n’incluait pas les demandeurs.
Les demandeurs ont formé une demande d’arbitrage devant le CIRDI en novembre 1997. Le 8 mai 2009, le tribunal a prononcé sa sentence sur le fond du litige. Il a rejeté les recours portant sur l’expropriation, mais a accordé aux demandeurs plus de 10 millions USD pour les dédommager de la violation du principe de traitement juste et équitable (TJE), car il a estimé que le retard de sept ans au terme duquel les tribunaux chiliens ont rendu une décision sur le fond de l’affaire de la presse Goss constituait un déni de justice et que le fait d’avoir exclu Pey Casado et la Fondation President Allende de la réparation autorisée par la Décision 43 constituait une discrimination. Des procédures de révision et d’annulation ont été conduites par la suite. Le 18 décembre 2012, le comité ad hoc a décidé d’annuler une partie de la première sentence portant sur le mode de calcul des dédommagements.
Les demandeurs ont à nouveau soumis le litige au CIRDI en vertu de l’article 52(6) de la Convention du CIRDI le 18 juin 2013.
Irrecevabilité du recours sur l’expropriation car il n’est pas couvert par la compétence ratione temporis du tribunal
Les demandeurs ont tenté de faire une interprétation extensive de la notion de TJE afin d’être réparés en exécution de leur recours sur l’expropriation, qui avait déjà été rejeté par le tribunal initial en raison d’une objection ratione temporis. Le tribunal initial avait déjà estimé que les protections de fond stipulées par le TBI de 1991 ne couvraient pas de manière rétroactive l’expropriation des actifs des demandeurs opérée par le Chili entre 1973 et 1975. En examinant l’effet res judicata de ces conclusions et en donnant raison au Chili, le tribunal de nouvel examen a estimé qu’il n’avait pas la compétence lui permettant de procéder au réexamen des allégations sur l’expropriation.
Le tribunal refuse d’accorder une réparation car les demandeurs n’ont pas prouvé leur préjudice
Selon le tribunal de nouvel examen, « l’ensemble des atteintes identifiées par le Tribunal Initial, en ce compris le déni de justice, [ont constitué] ensemble, dans leur globalité́, un manquement au traitement juste et équitable et, par conséquent, une violation du TBI » donnant aux Demandeurs le droit à une « compensation » (para. 209). Cependant, il a été noté que le tribunal initial n’a pas identifié la nature et l’étendue du préjudice causé par la violation. Il s’est également souvenu que la première sentence a été annulée en raison de la méthode retenue pour estimer cette compensation.
Le tribunal n’a pas accueilli les affirmations des demandeurs selon lesquelles la « compensation » figurant dans la sentence du tribunal initial se référait nécessairement à une réparation pécuniaire. En effet, il a interprété cette sentence « comme établissant le droit à une réparation qui résulte nécessairement de la constatation de la violation d’une obligation internationale, mais sans déterminer d’avance la forme ou la nature que cette réparation doit prendre » (para. 201). En conséquence, le tribunal a estimé que sa compétence était limitée à la détermination du type de réparation et, au cas où il estimerait qu’une réparation pécuniaire serait adéquate, au montant des dommages-intérêts.
L’analyse du tribunal a été guidée par l’article 31 des articles de 2001 sur la Responsabilité des États pour fait internationalement illicite de la Commission du droit international (CDI), qui énonce l’obligation incombant à l’État responsable « de réparer intégralement le préjudice causé par le fait internationalement illicite ». Le tribunal a indiqué « que la mise en œuvre de la règle principale énoncée par la CDI dépend d’un préjudice, et que ce préjudice dépend lui-même d’un lien de causalité́ » (para. 204).
Dans la mesure où les demandeurs s’étaient focalisés sur la quantification du dommage, « sans démontrer au préalable la nature précise du préjudice, le lien de causalité́ et le dommage lui-même » (para. 232), le tribunal a estimé qu’ils n’avaient pas honoré la charge de preuve qu’il les obligeait à démontrer que le préjudice avait pour cause les violations du traité reconnues par la première sentence.
Le tribunal a ensuite procédé à l’étude « avec le plus grand soin » des possibilités dont il dispose (para. 244). D’après son raisonnement, il ne pouvait pas accorder une réparation en raison de l’expropriation, car le recours avait été rejetée par le tribunal initial et le comité d’annulation. Il n’a pas non plus été en mesure de créer une théorie sur les dommages-intérêts indépendamment des conclusions des parties (cette approche, qui avait été retenue par le tribunal initial, a été écartée par la suite par le comité d’annulation) ou d’accorder des dommages-intérêts pour préjudice moral « à titre de consolation » ou encore rendre une décision ex aequo et bono.
Par conséquent, le tribunal a rejeté tous les recours pécuniaires car « sa reconnaissance formelle des droits des Demanderesses et du déni de justice dont elles ont été́ victimes constitue en soi une forme de satisfaction au regard du droit international au titre de la violation par la Défenderesse de l’article 4 du TBI » (para. 256.2).
Le tribunal de nouvel examen rejette le nouveau recours sur l’enrichissement sans cause
Les demandeurs ont estimé qu’en possédant et utilisant les biens confisqués, le Chili s’est injustement enrichi au titre du droit chilien et du droit international au détriment des demandeurs. Le Chili a, quant à lui, affirmé que ce recours autonome sur l’enrichissement sans cause n’avait pas de lien avec le TBI et pourrait entraîner l’octroi d’une réparation sans que la violation du traité ne soit préalablement établie.
Le tribunal a indiqué que la reconnaissance d’une responsabilité avait été établie par la première sentence et la décision sur l’annulation. Dans la mesure où les demandeurs n’ont pas invoqué de recours sur un enrichissement sans cause devant le premier tribunal, le tribunal de renvoi a estimé que ce recours n’entrait pas dans le champ de sa compétence.
Le tribunal rejette comme sans fondement le recours visant à obtenir un dédommagement moral
Les demandeurs ont soutenu que l’ajout de Pey Casado sur une liste de personnes recherchées après son expulsion constituait une menace pour sa sécurité personnelle. Ils ont également soutenu que le dédommagement ayant été refusé au titre de la confiscation de ses actifs et le comportement adopté par le Chili pendant l’arbitrage initial et par la suite avait été à l’origine d’un profond désarroi. Le tribunal a rejeté ces recours en précisant que les demandeurs n’avaient pas honoré la charge de la preuve les obligeant à prouver qu’ils avaient subi des dommages à caractère moral.
Remarques : Le tribunal de nouvel examen du CIRDI se composait de Frank Berman (président désigné par le siège du Conseil administratif du CIRDI, de nationalité britannique), Philippe Sands (nommé par les demandeurs, de nationalité britannique) et Alexis Mourre (nommé par le défendeur, de nationalité française). La sentence datée du 13 septembre 2016 est disponible en anglais sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7630.pdf, en français sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7605.pdf et en espagnol sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7607.pdf. La sentence du tribunal initial, la décision d’annulation et les autres documents importants de l’affaire sont disponibles sur http://www.italaw.com/cases/829.
Amr Arafa Hasaan est un ancien étudiant du Graduate Institute à Genève et de l’Université de Genève, et Conseiller auprès de l’autorité égyptienne des poursuites.