Un tribunal de la CCS rejette les recours présentés par une entreprise britannique et ses actionnaires contre la République tchèque
Anglia Auto Accessories Ltd. c. la République tchèque (Affaire CCS n° V 2014/181) et Ivan Peter Busta et James Peter Busta c. la République tchèque (Affaire CCS n° V 2015/014)
Un tribunal sous l’égide de l’Institut d’arbitrage de la Chambre de commerce de Stockholm (CCS) a rejeté tous les recours contre la République tchèque présentés par l’entreprise britannique Anglia Auto Accessories et deux de ses actionnaires, Ivan et James Busta. La procédure a débuté en 2014 au titre du Traité bilatéral d’investissement (TBI) conclu entre le Royaume-Uni et la République tchécoslovaque.
La CCS décida en 2014 de scinder l’affaire en deux procédures distinctes : l’une portant sur les recours présentés par l’entreprise, et l’autre sur ceux présentés par les actionnaires. C’est le même tribunal arbitral qui examina les deux affaires, et de nombreuses questions controverses sont apparues dans les deux cas.
Questions générales préliminaires : l’applicabilité des TBI intra-Union européenne et la compétence sur les recours relatifs à la violation du TJE et de la protection et la sécurité intégrales
Dans les deux affaires, le tribunal a dû trancher ces questions : le TBI s’est-il annulé à l’entrée de la République tchèque dans l’Union européenne ? Et, le tribunal a-t-il compétence sur l’éventuelle violation de l’article 2(2) du TBI – relatif au traitement juste et équitable (TJE) et à la protection et la sécurité intégrales – compte tenu de la formulation restrictive de la disposition du TBI relative au règlement des différends ?
En désaccord avec la République tchèque, et remarquant que l’objection « avait été tout juste présentée lors de l’audience finale » (décision de l’affaire Anglia, para. 113), le tribunal considéra que le TBI et le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) n’étaient pas incompatibles puisque ces traités ne portent pas sur le même sujet. Il remarqua également que ni la République tchèque ni le Royaume-Uni n’avaient cherché à mettre fin au TBI.
Le tribunal rejeta également l’argument de la République tchèque selon lequel le TBI et le TFUE étaient partiellement incompatibles, déterminant que la disposition relative au règlement des différends investisseur-État du TBI était compatible avec l’article 267 du TFUE et avec la compétence de la Cour européenne de justice (CJE) pour l’interprétation et l’application du TFUE.
Au titre de la disposition relative au règlement des différends investisseur-État du TBI, seuls les différends relevant de certains articles du TBI peuvent être réglés dans le cadre d’un arbitrage. L’article 2(2) n’en fait pas partie ; aussi, la République tchèque avançait que le tribunal n’avait pas compétence pour examiner les recours relatifs à la violation de l’article 2(2).
Les demandeurs invoquèrent la disposition de la Nation la plus favorisée (NPF) pour obtenir une disposition relative au règlement des différends plus favorable contenue dans un autre traité, mais le tribunal, s’appuyant surtout sur le libellé très clair du TBI, se rangea du côté de la République tchèque et détermina qu’il n’avait compétence que sur la violation supposée de l’article 5 (relatif à l’expropriation).
Les questions de compétences dans l’affaire Anglia : une décision commerciale représente-t-elle un investissement ?
Le recours d’Anglia découlait de sa tentative d’obtenir l’exécution d’une décision arbitrale de 1997 à l’encontre d’un de ses anciens partenaires commerciaux en République tchèque. Son principal argument était que de par son inaction, le système judiciaire tchèque l’avait injustement exproprié de la valeur de la décision arbitrale. Avant toute chose, les parties n’étaient pas d’accord sur le fait que la décision rendue en faveur d’Anglia représentait un investissement ou non.
Le tribunal ignora le test de l’affaire Salini car il le considéra inapplicable à un arbitrage mené au titre du règlement d’arbitrage de la CCS, puisque l’affaire Salini avait été menée au titre de la Convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre États et ressortissants d’autres États (la Convention du CIRDI) ; il s’attela donc à interpréter la définition de l’investissement incluse dans le TBI. Il détermina que, selon le sens de l’article 1(a) du TBI, la décision était considérée comme « un droit à obtenir de l’argent ou des résultats au titre d’un contrat doté d’une valeur financière » (décision de l’affaire Anglia, para. 153).
La question de la recevabilité dans l’affaire portée par les actionnaires : les actionnaires peuvent-ils présenter des recours portant sur la perte ou un préjudice aux actifs de l’entreprise ?
Le recours des actionnaires pour expropriation portait sur la perte de marchandises détenues par Sprint CR, une entreprise basée en République tchèque de laquelle ils étaient les uniques actionnaires. Ils réclamaient l’indemnisation de la valeur de certains actifs de Sprint CR prétendument expropriés.
La République tchèque avançait que les actionnaires n’avaient pas qualité pour présenter des recours portant sur la perte des actifs ou un préjudice. Selon elle, seules les pertes subies suite à la réduction de la valeur des parts permettraient aux actionnaires de présenter un recours.
Le tribunal considéra que le recours des actionnaires portait sur une expropriation indirecte et détermina qu’à ce titre, il était couvert par le TBI.
Puisqu’Anglia avait présenté un recours en dommages-intérêts auprès des tribunaux tchèques, la République tchèque souleva une objection de litispendance. Le tribunal la rejeta, considérant que les affaires étaient en cours dans des systèmes juridiques distincts, et que chacune présentait des demandeurs distincts et des causes d’action distinctes.
Le tribunal rejette le recours d’Anglia pour expropriation indirecte fondé sur l’incapacité des tribunaux tchèques à exécuter la décision arbitrale
Anglia entra sur le marché tchèque en 1990 par le biais d’une co-entreprise avec Kyjovan, une coopérative locale de fabrication. Après quelques différends commerciaux, Anglia obtint en 1997 une décision dans un arbitrage commercial contre Kyjovan et en demanda l’exécution au tribunaux tchèques dans quatre procédures lancées entre 1998 et 1999.
Tout en reconnaissant qu’Anglia connaissait des difficultés du fait des longues procédures d’exécution, le tribunal rejeta le recours selon lequel ces procédures équivalaient à une expropriation. Appliquant le test de l’affaire Plama c. la Bulgarie, il considéra que, puisqu’Anglia avait réussi à récupérer 77 pour cent du montant principal au titre de la décision de 1997, elle n’avait pas été privée de la valeur de son investissement en tout ou partie de façon permanente. En outre, il conclut que « l’on ne p[ouvait] affirmer que les retards dans les procédures étaient imputables à l’inaction de la justice tchèque » (décision de l’affaire Anglia, para. 298).
Le tribunal rejette le recours des actionnaires pour expropriation indirecte fondé sur le comportement de la police
Sprint CR détenait des marchandises stockées dans un entrepôt. Entre autres hostilités, Kyjovan commença à retirer ces marchandises de l’entrepôt. Bien que notifiée, la police tchèque n’est pas intervenue pour empêcher cela car elle supposait que Kyjovan agissait en toute légalité ; par la suite, la police localisa les marchandises et les restitua à Sprint CR.
Selon les actionnaires, seul un tiers des marchandises prises dans l’entrepôt avait été restitué. De son côté, la République tchèque « ni[ait] la disparition de certaines marchandises, et considér[a] que toutes les marchandises avaient finalement été restituées à Sprint CR » (décision de l’affaire Ivan & James Busta, para. 390). Le différend portait principalement sur le fait que la police tchèque n’avait pas dressé un inventaire détaillé des marchandises récupérées et restituées à Sprint CR.
Compte tenu des faits et des circonstances de l’affaire, le tribunal reconnu qu’il était probable qu’il y ait des incohérences entre les marchandises prélevées et celles restituées, mais considéra qu’il n’avait pas été établi que le comportement de la police, ce jour et plus tard, équivalait à un acte d’expropriation » (décision de l’affaire Ivan & James Busta, para. 437).
La répartition des coûts
Le tribunal considéra qu’il n’était pas approprié d’appliquer l’approche selon laquelle « les frais suivent l’issue de l’instance ». Notant que chacune des parties avait en partie EU gain de cause et en partie échoué, le tribunal décida que chacune d’elles réglerait ses propres frais juridiques, ainsi que la moitié des coûts de l’arbitrage.
Remarques : le tribunal était composé de Yas Banifatemi (président nommé par la CCS, de nationalité française), d’August Reinisch (nommé par le demandeur, de nationalité autrichienne) et de Philippe Sands (nommé par le défendeur, de nationalité franco-britannique). Les décisions du 10 mars 2017 sont disponibles en anglais sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw8556.pdf (Anglia) et sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw8558.pdf (Ivan & James Busta).
Inaê Siqueira de Oliveira est étudiante en droit à l’Université fédérale de Rio Grande do Sul au Brésil.