Un tribunal de la CPA rejette les recours pour expropriation et TJE relatifs à une entreprise d’éco-tourisme

Peter A. Allard c. le Gouvernement de la Barbade, Affaire CPA n° 2012-06

Le 27 juin 2016, un tribunal constitué sous l’égide de la Cour permanente d’arbitrage (CPA) a rejeté tous les recours présentés par l’entrepreneur canadien Peter A. Allard contre la Barbade au titre du Traité bilatéral d’investissement (TBI) Canada-Barbade et du Règlement d’arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI). Demandant plus de 29 millions CAD en dommages-intérêts, Allard prétendait qu’un manquement de la part de la Barbade à prendre des mesures de protection environnementale violait le TBI et avait entrainé la destruction de la valeur de son investissement dans un site écotouristique.

Le contexte

En 1994, Allard a décidé d’établir un site écotouristique au sud-ouest de la Barbade. Entre 1996 et 1999, il a créé et enregistré une entreprise et acquis des terres à la Barbade pour la construction d’une réserve naturelle, ouverte au public en 2004. Après un dysfonctionnement de l’usine de traitement des eaux usées de la côte sud en 2005, Allard décida de vendre la réserve naturelle en 2007, annonçant sa clôture le 29 octobre 2008.

Allard lança un arbitrage contre la Barbade le 21 mai 2010, alléguant que les actions et l’hésitation du gouvernement quant à la fermeture de la vanne de l’usine de traitement des eaux usées avaient causé des dommages environnementaux considérables, rendant nul son investissement dans le site écotouristique, en violation des dispositions du TBI sur le traitement juste et équitable (TJE), la protection et la sécurité intégrales (PSI) et l’expropriation.

Selon Allard, la réserve naturelle avait connu une importante dégradation environnementale qui avait petit à petit transformé le lieu en « à peine mieux qu’un marécage infesté de moustiques » (para. 56) au moment de sa clôture en 2009. La Barbade rejeta ces allégations, affirmant que l’écologie du site n’était déjà pas prometteuse lorsqu’Allard avait décidé de lancer ses opérations.

Dans une décision de 2014, le tribunal avait rejeté les objections ratione materiae et ratione personaede la Barbade à la compétence. Il avait déterminé qu’Allard détenait et contrôlait des actifs conformément au droit barbadien, et que ses actifs constituaient un investissement au titre du TBI. Il reporta toutefois à la phase de l’examen quant au fond l’étude de l’objection ratione temporisde la Barbade à la compétence du tribunal.

La décision d’Allard d’investir est antérieure aux représentations données par la Barbade ; pas de violation du TJE

Allard alléguait que la Barbade n’avait pas respecté ses attentes légitimes d’investisseur et donc violé l’obligation TJE au titre du TBI. Il prétendait s’être appuyé sur les représentations données par certains représentants de la Barbade et reflétant l’engagement de la Barbade à préserver l’éco-environnement de la zone entourant le sanctuaire.

La Barbade soutint que la norme TJE correspondait à la norme minimale de traitement des étrangers au titre du droit coutumier international. Elle ajouta en outre que les représentations et les circonstances sur lesquelles Allard s’était appuyé avaient EU lieu après sa décision d’investir.

Le tribunal détermina qu’aucune des déclarations sur lesquelles Allard s’était appuyé n’équivalait à une représentation spécifique pouvant donner lieu à des attentes légitimes : il s’agissait de plans ou de rapports préparés par des experts engagés par Allard lui-même à titre privé. En outre, le tribunal conclut qu’à l’exception d’un document daté de 1986, toutes les représentations avaient été faites après sa décision d’investir en 1994. Aussi, le tribunal conclut que la Barbade n’avait pas violé l’obligation TJE.

La Barbade a respecté ses engagements en matière de PSI

Allard alléguait que l’engagement en matière de PSI impliquait plus que la simple sécurité contre toute interférence physique avec l’investissement. Il affirmait que la Barbade n’avait pas correctement géré la vanne, ce qui selon lui expliquait principalement la dégradation environnementale de la réserve naturelle, en plus du manquement à appliquer les lois environnementales. En réponse, la Barbade soutenait que la norme PSI était limitée à la protection contre les dommages physiques directs contre l’investisseur ou sa propriété.

Le tribunal détermina que la Barbade avait pris toutes les mesures nécessaires pour protéger l’investissement : les représentants barbadiens avaient mis en place les procédures visant à prévenir les dommages environnementaux à la réserve naturelle. Le tribunal conclut en outre que le soi-disant manquement de la Barbade à appliquer le droit environnemental pertinent n’est pas approprié pour la violation alléguée de la norme PSI. De plus, il souligna qu’Allard n’avait jamais prévenu la Barbade des problèmes liés à la non application de ces lois. Aussi, le tribunal détermina que la Barbade avait respecté son obligation PSI.

Le recours pour expropriation indirecte est sans fondement

Allard alléguait que les mesures prises par la Barbade équivalaient à une expropriation. Il indiqua notamment qu’en 2003, la Barbade avait mis en œuvre un plan de reclassification des terres voisines de la réserve naturelle, entrainant supposément une augmentation importante des impuretés sur le site, en faisant un site de conservation plutôt que de tourisme. Il ajouta que le manquement de la Barbade à appliquer les lois environnementales pertinentes et à faire correctement fonctionner la vanne permirent la dégradation environnementale du site. La Barbade répondit quant à elle qu’Allard n’avait jamais été privé de la réserve naturelle ou de sa valeur économique. Au contraire, le pays avança que le site avait attiré des visiteurs jusqu’à sa fermeture en 2009.

Le tribunal était convaincu qu’Allard demeurait l’unique opérateur du site, qu’il s’agisse d’une attraction écotouristique ou d’un café par la suite : il n’avait pas été privé de la possession physique du bien immobilier. Il indiqua également qu’Allard avait retiré des bénéfices économiques de ses activités jusqu’à ce qu’il décide de clore le site. Le tribunal détermina également qu’Allard n’avait pas réussi à établir le lien causal entre la supposée dégradation de l’environnement voisin et sa décision de mettre fin à ses activités. Selon le tribunal, il n’avait pas non plus réussi à démontrer l’existence de dommages exceptionnels causés à l’environnement marin avant de prendre la décision de se séparer de la réserve naturelle. Pour le tribunal, le soi-disant manquement de la Barbade à faire appliquer les lois environnementales pertinentes ne représentait pas une violation de ses obligations au titre du TBI. Aussi, le tribunal rejeta le recours pour expropriation.

Rejet des autres objections juridictionnelles

L’article XIII(3) du TBI prévoit une période maximale de trois ans pour la présentation d’un recours portant sur un dommage découlant d’une violation du TBI. Puisqu’Allard avait déposé la demande d’arbitrage le 21 mai 2010, la Barbade maintenait que le tribunal n’avait pas compétence sur les faits survenus avant le 21 mai 2007. Dans sa décision de 2014 sur la compétence, le tribunal avait reporté à la phase de l’examen quant au fond sa décision sur l’objection ratione temporisà sa compétence en lien avec la soi-disant mauvaise gestion de la vanne avant le 21 mai 2007. Dans sa décision de 2016, après avoir déterminé que la Barbade avait satisfait à ses obligations au titre du TBI, le tribunal considéra qu’il était inutile d’examiner les objections restantes à sa compétence.

Dans sa déclaration finale lors de l’audience, la Barbade avança que les réponses données par Allard lors du contre-interrogatoire soulevaient deux nouvelles questions juridictionnelles. Le tribunal affirma toutefois que les nouvelles objections à la compétence ne se fondaient pas sur de nouveaux faits ou circonstances, et conclut qu’elles auraient dû être soulevées avant que la décision sur la compétence ne soit rendue. 

Remarques: le tribunal de la CPA était composé de Gavan Griffith (président nommé par les co-arbitres, de nationalité australienne), d’Andrew Newcombe (nommé par le demandeur, de nationalité canadienne) et de W. Michael Reisman (nommé par le défendeur, de nationalité étasunienne). La décision du 26 juin 2016, incluant la décision du 13 juin 2014 en annexe, est disponible en anglais sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7593.pdf.

Amr Arafa Hasaan est un ancien étudiant du Graduate Institute à Genève et de l’Université de Genève, et Conseiller auprès de l’autorité égyptienne des poursuites.

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