Un tribunal du CIRDI accepte l’objection du Panama fondée sur l’abus de procédure ; Transglobal condamné à payer les coûts de l’arbitrage et la majorité des frais juridiques du Panama
Transglobal Green Energy, LLC et Transglobal Green Panama, S.A. c. la République du Panama (Affaire CIRDI n° ARB/13/28)
Dans la procédure lancée par Transglobal Green Energy, LLC (une entreprise basée aux États-Unis) et Transglobal Green Panama S.A. (une entreprise basée au Panama) contre le Panama au titre du traité bilatéral d’investissement (TBI) États-Unis-Panama, un tribunal du CIRDI a accepté l’objection du Panama fondée sur l’abus de procédure. Soulignant que Transglobal avait abusé du système des traités d’investissement internationaux pour présenter son recours, le tribunal déclina sa compétence et condamna Transglobal à payer les coûts de l’arbitrage ainsi que la majeure partie des frais juridiques du Panama.
Puisque le tribunal a accepté la demande du Panama de bifurquer la procédure, la décision ne porte que sur la compétence et les coûts de l’arbitrage. En fait, puisque le tribunal a accepté l’objection fondée sur l’abus de procédure, il considéra qu’il n’était pas nécessaire d’examiner les autres objections du Panama, qui portaient sur l’absence d’investissement, la renonciation au droit à présenter un différend, la clause de la Nation la plus favorisée (NPF) et la prise de contrôle nationale de l’investissement.
Faits pertinents I : la concession de Bajo de Mina et la décision de la Cour suprême
Le recours de Transglobal découlait d’événements remontant à 2005. En mai de cette année-là, La Mina Hydro-Power Corp. (La Mina), une entreprise panaméenne, a conclu un contrat de concession avec l’Autorité panaméenne des services publics (en espagnol, la Autoridad Nacional de los Servicios Publicos [ASEP]) afin de concevoir, construire et exploiter une centrale hydroélectrique à Bajo de Mina.
La Mina n’ayant pas démarré la construction de la centrale dans les délais fixés, l’ASEP a émis une résolution annulant le contrat de concession. En réponse, La Mina a demandé à la Cour suprême du Panama de prendre des mesures conservatoires contre l’annulation du contrat, et de réviser la décision administrative. La Cour suprême a rejeté la demande de mesures conservatoires.
En attendant la décision de la Cour suprême sur la révision de l’annulation du contrat, l’ASEP a conclu un autre contrat de concession pour le même projet avec une autre entreprise, Ideal Panama S.A., qui entama la construction de la centrale. En novembre 2010, la Cour suprême décida que le contrat entre La Mina et l’ASEP restait en vigueur et ordonna la restitution de la concession à La Mina, mais celle-ci n’a pas été immédiate.
Faits pertinents II : Transglobal Green Energy entre dans l’arène
Un mois après que la Cour suprême n’ait rendu sa décision, qui n’était toujours pas exécutée, M. Julio Lisac, le propriétaire de La Mina, a signé un Protocole d’accord avec Transglobal Green Energy (TGGE). En septembre 2011, les deux entreprises conclurent un Accord de partenariat et de transfert (APT), qui prévoyait la création de Transglobal Green Energy Panama (TGGE Panama), une entreprise ad hoc créée pour le projet d’hydroélectricité à Bajo de Mina. Notons que l’objectif affiché de l’APT était « la recherche individuelle et collective et l’obtention de mécanismes d’exécution du jugement du 11 novembre 2011 [sic], et l’acquisition par le partenariat des droits de concession » (para. 85). Peu de temps après, TGGE Panama a été enregistrée, M. Lisac et TGGE étant les seuls actionnaires. Bien que TGGE détînt70 % des parts, le tribunal détermina plus tard que les modalités de vote et le principe d’exécution exclusive attribué à M. Lisac dévoilait « l’intention de M. Lisac de conserver le contrôle de facto de TGGE Panama (para. 111).
Lisac demanda le transfert des droits de concession de Bajo de Mina à TGGE Panama. Ensuite, en janvier 2012, avant que l’ASEP ne se soit prononcée sur la demande de transfert, le Conseil des ministres, un organe délibératif d’État de haut niveau, autorisa une saisie administrative de la concession « pour des raisons sociales prioritaires » (para. 69).
L’ASEP mit en œuvre la saisie administrative du contrat de concession. Dès lors, M. Lisac a lancé plusieurs procédures judiciaires afin de récupérer les droits de la concession. Le 19 septembre 2013, sa demande d’arbitrage a été déposée au CIRDI.
L’abus de procédure par Transglobal
Le tribunal commença son analyse de la compétence par l’examen de l’objection fondée sur l’abus de procédure, « car l’existence d’un abus de procédure est une question préliminaire qui empêcherait le tribunal d’exercer sa compétence, même si celle-ci est reconnue » (para. 100).
Le Panama affirmait que Transglobal « tentait de créer une compétence internationale artificielle sur un différend national […] en impliquant un investisseur étranger dans la propriété d’un projet national, alors que le projet faisait déjà l’objet d’un différend national » (para. 85). Afin de prouver que le différend entre M. Lisac et le Panama avait EU lieu avant l’investissement de Transglobal, le pays dressa la liste de plusieurs événements, par exemple la décision de l’ASEP de mettre fin au contrat de concession en 2006, et la décision de la Cour suprême de 2010. Transglobal ne présenta aucun contre-argument à cette objection ; en fait l’entreprise n’a pas présenté de contre-mémoire sur la compétence.
Citant l’affaire Phoenix c. la République tchèque, le tribunal affirma qu’« il existe une série de décisions cohérentes prises par les tribunaux arbitraux en lien avec les objections à la compétence fondées sur un abus du système des traités d’investissement » (para. 102). D’après cette série d’affaires, le transfert d’un investissement national à une entreprise étrangère en vue de tenter d’obtenir la protection d’un TBI pour un différend préexistant représente un abus de droit, et empêche l’exercice de la compétence.
En déterminant si M. Lisac avait tenté d’internationaliser son différend national avec le Panama afin de bénéficier de la protection du TBI, le tribunal remarqua que l’exécution de la décision de la Cour suprême de 2010 avait pris une place prépondérante dans l’APT signé entre M. Lisac et TGGE. Le tribunal indiqua en effet qu’au titre de l’APT, TGGE s’était avant tout engagée à contribuer à l’exécution de la décision. En outre, selon le tribunal, les modalités de vote au titre de l’APT révélaient « l’intention de M. Lisac de conserver le contrôle de facto de TGGE Panama, quel que soit le pourcentage des parts détenues, tout en bénéficiant de la nationalité étrangère de TGGE, aux fins de poursuivre l’arbitrage » (para. 111).
Dans ses remarques finales sur cette objection, le tribunal observa que les faits nouveaux révélaient un « lien étroit entre la procédure en cours au Panama et la présente procédure » (para. 113). À deux reprises, Transglobal a demandé la suspension de l’arbitrage compte tenu des faits nouveaux dans la procédure nationale en cours au Panama. Selon le tribunal, ces demandes de suspension, faites alors que Transglobal attendait la mise en œuvre de la décision de 2010, démontraient que l’entreprise recherchait un règlement international à un différend national préexistant.
Les coûts de l’arbitrage et les frais juridiques
Se penchant sur la question des coûts, le tribunal reconnu que dans les affaires impliquant un abus de procédure, « les tribunaux ont tendance à décider que le demandeur doit payer les coûts de l’arbitrage, [mais] les choses sont moins claires s’agissant des frais de représentation juridique » (para. 125). Pour illustrer cette fracture, il cita de nouveau l’affaire Phoenix, dans laquelle le demandeur a été condamné à payer les frais de représentation juridique du défendeur, et l’affaire Renée Rose Levy c. le Pérou, dans laquelle le demandeur a été condamné à payer une part raisonnable – selon le tribunal – de ces frais.
Le tribunal adopta pour l’approche de l’affaire Renée Rose Levy, et détermina que le demandeur devait payer les coûts de la procédure d’arbitrage, ainsi que les frais de représentation juridique du défendeur « à condition qu’ils soient raisonnables » (para. 126).
Le Panama avait argué que la conduite de Transglobal tout au long de l’arbitrage – la non-présentation des traductions de documents importants, la présentation de preuves documentaires incohérentes et les demandes de suspensions en sachant que le Panama s’y opposerait – avait inutilement compliqué sa défense. Le tribunal considéra que Transglobal avait eu une attitude désinvolte » (para. 126) et, compte tenu du déroulement de la procédure, conclut que Transglobal devait payer les frais de représentation juridique du Panama, à l’exception de quelques demandes précoces rejetées de transfert des coûts et de mesures provisoires liées à la sécurité des coûts.
Le Panama avait également demandé que le tribunal, sur la base de son autorité générale au titre de l’article 61(2) de la Convention du CIRDI, ordonne que tous les fonds restants sur le compte administratif soient octroyés au Panama. Le tribunal rejeta cette demande car selon lui, « il n’avait pas l’autorité pour prendre une telle décision » (para. 129).
Remarques : le tribunal arbitral était composé de Andrés Rigo Sureda (le président nommé par les coarbitres, de nationalité espagnole), de Christoph H. Schreuer (nommé par le demandeur, de nationalité autrichienne) et de Jan Paulsson (nommé par le défendeur, de nationalités bahreinie, française et suédoise). La décision du 2 juin 2016 est disponible sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7336.pdf.
Inaê Siqueira de Oliveira est étudiante en droit à l’Université fédérale de Rio Grande do Sul au Brésil.