Le seul arbitrage connu au titre d’un traité d’investissement contre la Guinée équatoriale échoue pour des raisons de compétence

Grupo Francisco Hernando Contreras, S.L. c. la République de Guinée équatoriale, Affaire CIRDI n° ARB(AF)/12/2

La majorité d’un tribunal du mécanisme supplémentaire du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a rejeté le recours d’une entreprise espagnole de construction Grupo Francisco Hernando Contreras, S.L. (Groupe Contreras) contre la Guinée équatoriale, dans une décision du 4 décembre 2015. Selon la majorité, le demandeur n’était pas un investisseur protégé au titre du Traité bilatéral d’investissement (TBI), car il n’avait pas réalisé son investissement dans le respect du droit de l’État hôte.

Le contexte et les recours

Pendant l’année 2008, une entreprise du Groupe Contreras a signé plusieurs documents avec la Guinée équatoriale. Parmi ceux-ci se trouvait une lettre d’intention formalisant une proposition visant à construire un quartier industriel ainsi qu’une ville auto-suffisante de 15 000 logements en Guinée équatoriale, ainsi qu’un accord de création d’une société par actions pour le développement d’industries dans les régions de Malabo et de Bata. Le Groupe Contreras a par la suite créé deux entreprises en Guinée équatoriale : Nueva Edificación 2000, S.A. (Nueva Edificación), détenue à 100 % par le Groupe Contreras, et Industrias y Construcciones Guinea Ecuatorial, S.A. (INCOGESA), détenue à parts égales par le Groupe Contreras et par la Guinée équatoriale.

Entre 2008 et 2011, plusieurs étapes des projets de construction ont été réalisées. Le Groupe Contreras a notamment réalisé les projets, les plans commerciaux et les études de rentabilité devant être examinés par le gouvernement, et acquis les machines en Espagne. De son côté, le gouvernement a autorisé la création de Nueva Edificación par résolution, a engagé une entreprise pour l’évaluation des projets présentés, et a chargé Nueva Edificación, par attribution de gré à gré, de construire la ville administrative d’Oyala.

Pourtant, début 2012, le Groupe Contreras s’est plaint du fait que la Guinée équatoriale n’avait pas payé les sommes en suspens et qu’elle imposait des obstacles injustifiés au projet, en violation du TBI Espagne-Guinée équatoriale de 2003. L’entreprise lança un arbitrage en mars 2012 au titre du TBI et du règlement d’arbitrage du mécanisme supplémentaire, puisque la Guinée équatoriale n’est pas partie à la Convention du CIRDI. Le défendeur présenta une série d’objection à la compétence du tribunal.

Le droit applicable aux objections juridictionnelles

Rappelant que le règlement d’arbitrage du mécanisme supplémentaire ne définit pas le droit applicable, et que la Convention du CIRDI ne s’applique pas aux affaires régies par le règlement d’arbitrage du mécanisme supplémentaire, le tribunal s’est penché sur le TBI pour déterminer le droit applicable.

L’article 11(3) du TBI prévoit que l’arbitrage sera régi par les dispositions du TBI, le droit national de l’État hôte, et par les règles et principes applicables du droit international. Le tribunal s’est donc lancé dans l’analyse de chacune des objections juridictionnelles au regard du TBI, en appliquant le droit national de Guinée équatoriale lorsque les dispositions du TBI le demandaient.

Le  tribunal rejette brièvement trois objections juridictionnelles

La Guinée équatoriale argua d’abord que le TBI n’était pas en vigueur lorsque le différend est né. Puisque les deux États avaient déposé leurs instruments de ratification en 2009, que le TBI prévoit son application à titre provisoire dès sa signature en 2003, et que le défendeur avait retiré son objection lors de l’audience, le tribunal considéra que le TBI était en vigueur et s’appliquait au différend.

Le défendeur avait également argué ne pas avoir donné son consentement à l’arbitrage au titre de l’article 25 de la Convention du CIRDI. Rappelant que la Convention du CIRDI ne s’applique pas aux différends conduits au titre du règlement d’arbitrage du mécanisme supplémentaire, et soulignant que la signature du TBI vaut consentement à l’arbitrage de la Guinée équatoriale, le tribunal rejeta cette objection.

La Guinée équatoriale niait également l’existence d’un « différend juridique » au sens de l’article 25(1) de la Convention du CIRDI. Une fois encore, le tribunal rejeta l’application de la Convention du CIRDI, et détermina que pour établir sa compétence, il devait supposer que le différend avait une nature juridique, puisque l’investisseur réclamait une indemnisation pour violation des normes de protection de l’investissement contenues dans le TBI.

Pour être reconnu comme « investisseur », le demandeur doit avoir réalisé un investissement couvert

Le défendeur argua que le groupe Contreras n’avait pas réalisé un « investissement » en Guinée équatoriale au sens du TBI, et qu’il ne pouvait donc pas être reconnu comme un « investisseur ».

Puisque le Groupe Contreras était enregistré et avait son siège en Espagne, le tribunal considéra qu’il s’agissait d’une « entreprise » de nationalité espagnole détenant ou contrôlant une entreprise établie en Guinée équatoriale, au sens du TBI. En outre, le tribunal conclut que pour être reconnu en tant que « investisseur », le demandeur devait également avoir réalisé un investissement dans l’autre partie conformément à son droit national.

Le Groupe Contreras a-t-il réalisé des investisseurs conformément au droit équato-guinéen ?

L’article 1(2) du TBI définit les « investissements » au moyen d’une liste illustrative d’actifs, assujettie au respect par l’investisseur du droit du pays hôte. Pour déterminer s’il y avait un investissement, la majorité fit brièvement référence aux critères du test de Salini (apport de l’investisseur, durée, risque). Il remarqua que les deux parties avaient convenu que l’existence d’un investissement dépendait d’« un apport  du demandeur découlant d’une relation contractuelle » (para. 141), mais elles n’étaient pas d’accord quant au fait que l’investissement respectait le droit national de l’État hôte.

Soulignant que le fondement contractuel du recours est un élément essentiel de l’existence d’un investissement couvert, le tribunal s’employa à analyser, au regard du droit équato-guinéen, la relation contractuelle supposée pour les travaux de construction de Malabo et de Bata, et l’existence supposée d’une attribution de gré à gré pour les travaux d’Oyala.

Après avoir examiné le texte de l’accord constitutif pour les travaux de construction de Malabo et de Bata, le tribunal conclut que l’existence de droits et d’obligations dépendait de : (a) la conclusion d’un accord de construction entre INCOGESA et la Guinée équatoriale ; et (b) la constitution légale des entreprises Nueva Edificación et INCOGESA.

Le tribunal indiqua ne pas avoir trouvé de preuve du respect par le Groupe Contreras de la procédure administrative pour la conclusion d’un accord de construction avec l’État, au titre du droit équato-guinéen des contrats. Il indiqua en outre que le « silence administratif » de l’État n’avait pas généré d’effets contraignants pouvant remplacer le respect de la procédure légale.

Bien que Nueva Edificación soit correctement enregistrée, le tribunal nota que le nombre de ses actions a par la suite été considérablement réduit, bien en dessous du minimum juridiquement requis – ce qui au final aurait entrainé la dissolution de l’entreprise. Il remarqua également que Nueva Edificación n’avait pas commencé ses activités dans les délais impartis par la loi. S’agissant d’INCOGESA, le tribunal remarqua que bien que l’entreprise soit formellement créée et que ses actions aient soi-disant été intégralement payées, rien ne démontrait que les actions avaient été déposées sur un compte en banque, comme l’exige le droit équato-guinéen.

Concluant qu’aucune des deux entreprises n’avaient été établie dans le respect du droit national, le tribunal décréta qu’elles n’avaient pas la personnalité juridique pour agir en tant que vecteur des investissements du demandeur. Selon la majorité, « les arguments et la conduite du demandeur mettent en relief son manque de connaissances adéquates du droit interne applicable à son investissement supposé » et « reflète une conduite négligente » (para. 227).

S’agissant de la construction d’Oyala, la majorité remarqua que la résolution du gouvernement formalisant l’attribution directe ne remplace pas la nécessité de conclure un contrat dans les 30 jours suivants l’attribution, comme l’exige le droit des contrats. Et puisque rien ne prouvait que le Groupe Contreras avait cherché à conclure un contrat ou que la Guinée équatoriale aurait refusé de le conclure, le Groupe Contreras avait, selon la majorité, abandonné son intention d’investir dans le pays.

Le renvoi et les coûts

La majorité considéra qu’il n’était pas nécessaire d’examiner les critères de durée et de risque du test de Salini. Il rejeta le recours car l’investisseur et l’investissement n’étaient pas protégé, et ordonna à chacune des parties de payer ses propres frais juridiques, et la moitié des coûts de l’arbitrage.

L’arbitre à l’opinion divergente rejette les critères de Salini, la notion formaliste de contrat, et commente le manque de connaissances du demandeur

Pour sa part, l’arbitre Orrego Vicuña aurait déclaré le tribunal compétent. Dans son opinion divergente, il indique que les critères du test de Salini n’étaient pas mentionnés dans le TBI, et auraient été rendus obsolètes par les traités d’investissement et par la jurisprudence. Reconnaissant l’absence de contrat écrit, il n’était pourtant pas d’accord avec l’interprétation formaliste de la majorité. Selon lui, il y avait suffisamment d’éléments pour démontrer l’existence d’un contrat, consistant en un accord, exprimé par une offre suivi d’une acceptation.

Il s’opposait également aux observations de la majorité quant à la négligence de l’investisseur : « si l’investisseur passe un contrat avec l’État, c’est ce dernier qui a l’obligation d’exiger que toutes les étapes requises par la loi soient réalisées » (opinion divergente, para. 14).

Remarques : Le tribunal du CIRDI était composé de Bernardo Sepúlveda Amor (président, nommé par le président du conseil administratif du CIRDI, de nationalité mexicaine), de Francisco Orrego Vicuña (nommé par le demandeur, de nationalité chilienne) et de Raúl E. Vinuesa (nommé par le défendeur, de nationalités espagnole et argentine).

La décision, y compris l’opinion divergente de Francisco Orrego Vicuña, est disponible en espagnol sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7106.pdf.

Martin Dietrich Brauch est conseiller en droit international et travaille au Brésil pour le programme Investissement étranger et développement durable à l’IISD.

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