Garantir le développement durable : le financement du développement et le régime international des investissements
La discussion portant sur la gouvernance de l’investissement international a depuis quelques années changé de nature. Alors que certains spécialistes examinaient les effets potentiellement négatifs des Accords internationaux d’investissement (AII), les enceintes officielles des précédentes décennies s’attachaient souvent à protéger au mieux et à faciliter l’investissement étranger direct (IED). À présent, et notamment du fait des négociations en cours des méga accords commerciaux et d’investissement régionaux, la question fait partie du débat politique plus général.
Les chefs d’États membres des Nations Unies se sont réunis fin septembre dernier pour formellement adopter le Programme de développement durable d’ici à 2030 [1], qui inclut un ensemble de 17 objectifs de développement durable (ODD). Ces objectifs, qui portent sur les dimensions économique, environnementale et sociale du développement durable, prévoient une nouvelle vision pour le monde.
Afin de réaliser cette vision, les systèmes financiers internationaux devront jouer leur rôle. Les négociations internationales conclues en juillet 2015 lors de la Troisième conférence internationale sur le financement du développement (Conférence FDD) à Addis-Abeba en Éthiopie, précisent que les gouvernements cherchent de nouvelles voies de financement, notamment dans le cadre du régime international de l’investissement.
Politique d’investissement et développement durable
Les pays en développement ont besoin d’investissement pour atteindre de meilleures conditions de vies et pour adopter des pratiques durables. Toutefois, la cohérence politique demeure importante.
L’épargne et l’investissement mondiaux sont importants ; les marchés financiers mondiaux traitent des milliards de dollars chaque année[2]. Pourtant, certains domaines de priorité publique tels que les services de base universels et les infrastructures connaissent un sous-investissement. Si les grandes économies parviennent souvent à mobiliser des ressources au niveau national, les petites économies plus pauvres ne peuvent le faire et dépendent donc du financement transfrontière. Malgré la réforme du climat d’investissement, la plupart des pays reçoivent de trop faibles investissements étrangers. Le développement durable exigera également des changements réglementaires et politiques profonds en vue de façonner des économies sensibles aux questions sociales et environnementales.
Le régime actuel de l’investissement international a fait l’objet d’un examen car il s’est avéré incapable de produire des résultats toujours cohérents en matière de développement durable. Il sera difficile d’orienter les investissements dans les priorités mises en avant par les ODD. Certains décideurs politiques considèrent que les AII et la promotion de l’investissement ont un rôle à jouer, notamment pour aider les pays les moins avancés à obtenir davantage d’investissement. Les AII peuvent influencer le choix de destination de l’investissement[3], même si peu d’éléments démontrent un large effet[4]. Pourtant, ils peuvent aussi limiter la capacité des pays à identifier des secteurs prioritaires en faisant une sélection proactive des investissements. Et il est reproché aux AII d’induire un gel réglementaire et de limiter la marge de manœuvre politique nécessaire dans différents domaines. Le règlement des différends investisseur-État est particulièrement préoccupant, puisqu’il a à la fois des effets réglementaires et fiscaux.
Mais les Nations Unies ne sont pas les seules à se préoccuper d’un investissement dans des infrastructures durables et résilientes. En 2015, le G20, sous la présidence de la Turquie, a mis la priorité sur l’investissement, notamment sur le fait d’attirer des investisseurs institutionnels (tels que les fonds de pensions) dans les projets d’infrastructures transfrontières. Les projets d’infrastructure sensibles, coûteux et risqués pourraient faire l’objet de changements réglementaires, de demandes de renégociation de contrats ou de décisions politiques quant à la participation du secteur privé[5]. Le développement de structures financières complexes en vue d’attirer l’investissement international dans de tels projets pourrait accroître encore la pression sur le régime de l’investissement international, alors que les changements réglementaires et politiques pourraient être contestés par des investisseurs étrangers au titre des dispositions des AII.
Il faudra intensifier le travail afin de réconcilier les objectifs importants de la promotion et la protection de l’investissement et ceux du développement durable. Pourtant, si la volonté politique est là, il est possible de renforcer la cohérence entre les souhaits des investisseurs et les besoins publics.
Des engagements innovants
La première Conférence FDD, organisée à Monterrey au Mexique en 2002, était le premier sommet de haut-niveau soutenu par les Nations Unies et abordant les principales questions financières relatives au développement mondial ; elle a été organisée avec la participation du Fonds monétaire international (FMI), de la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement (CNUCED), du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), de la Banque mondiale et de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). La référence aux investissements transfrontières contenue dans le document final de la conférence, intitulé le Consensus de Monterrey, est typique de l’époque : « Les flux internationaux de capitaux privés, en particulier les investissements étrangers directs, […] sont un appoint indispensable aux efforts de développement nationaux et internationaux »[6]. Il appelle à la réalisation d’efforts particuliers « dans des domaines prioritaires tels que les cadres législatifs et réglementaires de nature à promouvoir et protéger les investissements » et remarque que « d’autres mécanismes tels que les partenariats entre les secteurs public et privé et la signature d’accords d’investissement peuvent se révéler tout aussi importants »[7].
La deuxième Conférence FDD, tenue à Doha au Qatar en 2008, mentionnait également l’importance de la promotion de l’investissement : « Les traités bilatéraux d’investissement peuvent favoriser les flux d’investissements privés en améliorant la stabilité et la prévisibilité des régimes légaux pour les investisseurs »[8]. Alors que la Déclaration de Doha encourageait les pays à veiller à ce que ces accords « tiennent compte de la coopération régionale et multilatérale »12, l’on faisait l’impasse sur les conflits potentiels avec les objectifs du développement.
Toutefois, en 2015, les gouvernements ont pris conscience de la nécessité de garantir la cohérence des AII et des objectifs politiques. Pendant le processus préparatoire de la troisième Conférence FDD, les coprésidents des négociations (les Ambassadeurs du Guyana et de Norvège) ont communiqué un document identifiant certains obstacles[9] :
[L’]on assiste à une prolifération des accords commerciaux et d’investissement bilatéraux, régionaux et interrégionaux. Les préoccupations relatives aux effets sociaux (notamment sur l’égalité des sexes), à la stabilité financière et au respect de l’environnement n’ont pas été pleinement prises en compte dans certains de ces accords, ce qui soulève des questions quant à leur compatibilité avec les objectifs de développement durables. Alors que les pratiques commerciales et d’investissement sont de plus en plus intégrées, l’environnement politique demeure largement fragmenté.
En quelques mois, les coprésidents ont publié leur premier avant-projet du Programme d’action d’Addis-Abeba (le Programme d’action), le document final de la conférence, servant de base aux négociations des États membres. Il contenait des propositions majeures : [10]
Nous négocierons et exécuterons des accords commerciaux et d’investissement a manière transparente afin de veiller à ce que les traités commerciaux et d’investissement ne limites pas les politiques nationales visant à réduire les inégalités, à protéger l’environnement ou à garantir le bon fonctionnement de l’impôt. Nous renforcerons les garanties contenues dans les traités d’investissement, notamment par un examen attentif des dispositions relatives au règlement des différends entre un investisseur et un État (RDIE), pour veiller au respect du droit à réglementer dans les domaines essentiels du développement durable, notamment la santé, l’environnement, l’emploi, les infrastructures (y compris électriques et de transport), la sécurité publique, les réglementations macro-prudentielles et la stabilité financière.
Le projet de libellé s’est avéré plus ambitieux que n’en n’ont convenu bon nombre de pays. Au bout du compte, le Programmeaffirme[11] :
La volonté de protéger et d’encourager l’investissement ne doit pas compromettre notre capacité de poursuivre des objectifs de politique publique. Nous nous efforcerons de rédiger des accords relatifs au commerce et à l’investissement comportant des garanties appropriées de façon à ne pas empêcher l’adoption de politiques et de lois allant dans le sens de l’intérêt général. Nous appliquerons ces accords en toute transparence.
Un paragraphe spécifique sur les AII intervient dans la partie introductive qui stipule : « Nous respecterons la marge de manœuvre et l’autorité de chaque pays en ce qui concerne l’application des politiques d’élimination de la pauvreté et de développement durable, sans perdre de vue les règlements et les engagements internationaux pertinents »[12].
Le libellé sur les AII représente un engagement intergouvernemental tout à fait nouveau : tous les pays du monde, ont reconnu au plus haut-niveau et par consensus, la nécessité de faire en sorte que les AII ne limitent pas les autres politiques publiques. La présence à cette conférence de 24 chefs d’États ou de leurs représentants, de plus de 100 ministres, et de représentants de haut-niveau de 174 pays appuie d’autant plus ces résultats.
Mettre en œuvre les engagements
L’élaboration de « garanties appropriées » est un élément essentiel de la mise en œuvre idéale du Programme d’action. Tout nouvel AII devrait désormais comporter des garanties du droit à réglementer dans l’intérêt public. Dans ce sens, la CNUCED s’est dotée d’un programme de travail sur la réforme des AII : son mandat a été adopté dans le cadre du Programme d’action. Sa mise à jour du Cadre directeur pour l’investissement au service du développement durable donne des conseils aux législateurs quant aux possibilités existantes[13], et le Rapport 20015 sur l’investissement dans le monde prévoit une feuille de route fondée sur des actions de réforme, et présente des alternatives pour les législateurs nationaux, régionaux et multilatéraux[14].
En outre, il est nécessaire de reformer les AII existants. En juin 2015, au moins 50 pays ou régions avaient révisés ou révisaient leurs modèles d’accords et leurs stratégies[15]. Bien que laborieuse, la révision des traités passés n’est pas impossible avec une bonne dose de volonté politique. Ces révisions devraient s’axer sur les réformes vitales, par exemple celle des clauses relatives au droit de réglementer et du règlement des différends, et sur le renforcement des fonctions de promotion et de facilitation de l’investissement.
La nature intergouvernementale des engagements d’Addis-Abeba sont un signe positif pour les réformes à venir. Par le passé, les politiques d’investissement, les réglementations commerciales et les négociations de traités étaient gérées de manière séparée. Il est pourtant évident qu’une coordination transministérielle est nécessaire, ainsi qu’une cohérence mondiale entre les objectifs sociaux, environnementaux et économiques. L’investissement est une priorité évidente des ministères des Finances, et est abordée par les chefs d’États et de gouvernement dans le cadre du G20 et de la FDD. Les AII ne doivent plus rester la seule prérogative des seuls ministres du Commerce.
Le suivi est une partie intégrante du Programme d’action, et les Nations Unies organiseront désormais chaque année un Forum d’une semaine sur le financement du développement pour discuter de la mise en œuvre du Programme. La prochaine réunion aura lieu à New York en avril 2016. Il s’agira d’une occasion importante de discuter, entre États, de la réforme des AII.
Auteur
Peter Chowla est économiste au Bureau du financement pour le développement des Nations Unies. L’auteur remercie Elisabeth Tuerk et Shari Spiegel pour leurs observations et leurs suggestions. Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles des Nations Unies.
Note
[1] Nations Unies. (2015, 2 août). Programme de développement durable à l’horizon 2030. Tiré de http://www.un.org/pga/wp-content/uploads/sites/3/2015/08/120815_outcome-document-of-Summit-for-adoption-of-the-post-2015-development-agenda.pdf
[2] Assemblée générale des Nations Unies, Rapport du Comité intergouvernemental d’experts sur le financement du développement durable. Doc. N.U. A/69/315, 15 août 2015. Tiré de http://www.un.org/ga/search/viewm_doc.asp?symbol=A/69/315
[3] Voir par exemple Urata, S. (2015, mai). Impacts of FTAs and BITs on the locational choice of foreign direct investment: The case of Japanese firms (Effets des ALE et des TBI sur le choix de destination de l’investissement étranger direct : l’exemple des entreprises nipponnes). Série de documents de discussion 15-E-066 du Research Institute of Economy, Trade and Industry (RIETI). Tiré de http://www.rieti.go.jp/jp/publications/dp/15e066.pdf
[4] Bellak, C. (2015, 13 août). Economic impact of investment agreements (Effets économiques des accords d’investissement). Série de documents de travail du Département d’économie, 200. Vienne : WU Vienna University of Economics and Business. Tiré de http://epub.wu.ac.at/id/eprint/4625
[5] La note résumant une table ronde de haut-niveau de mai 2015 sur les investisseurs institutionnels organisée par le G20 et l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) décrit les préoccupations des investisseurs institutionnels existants portant sur les risques et la protection de l’investissement à l’heure d’investir dans les infrastructures des marchés émergeants et des pays en développement. Voir OCDE, septembre 2015 : Résumé de la table ronde de haut niveau du G20/OCDE/Ministère des Finances de Singapour sur les investisseurs institutionnels et l’investissement à long terme. Tiré de http://www.OECD.org/g20/meetings/antalya/G20-OECD-LTI-High-level-Roundtable-Singapore-May-2015-Discussion-Summary-G20-version.pdf
[6] Nations Unies. (2003). Consensus de Monterrey de la Conférence internationale sur le financement du développement, para. 20. Tiré de http://www.ipu.org/splz-f/ffd08/monterrey.pdf.
[7] Id., para. 21.
[8] Nations Unies. (2008). Déclaration de Doha sur le financement du développement : document final de la Conférence internationale de suivi sur le financement du développement, chargée d’examiner la mise en œuvre du Consensus de Monterrey, para. 25. Tiré de http://www.ipu.org/splz-f/finance09/doha.pdf.
[9] Nations Unies. (2015, 21 janvier). Processus préparatoire de la troisième Conférence internationale sur le financement du développement :éléments, p. 7. Tiré de http://www.un.org/esa/ffd/wp-content/uploads/2015/01/FfD_Elements-paper_drafting-session.pdf.
[10] Nations Unies. (2015, 16 mars). Avant-projet du document final de la troisième Conférence sur le financement du développement : l’accord d’Addis-Abeba, para. 81. Tiré de http://www.un.org/esa/ffd/wp-content/uploads/2015/03/1ds-zero-draft-outcome.pdf
[11] Nations Unies. (2015). Programme d’action d’Addis-Abeba de la troisième Conférence sur le financement du développement (le Programme d’action d’Addis-Abeba), para. 91. Tiré de http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/69/L.82&Lang=F
[12] Id., para. 9.
[13] Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED). (2015). Cadre directeur pour l’investissement au service du développement durable. Tiré de http://investmentpolicyhub.UNCTAD.org/Upload/Documents/INVESTMENT%20POLICY%20FRAMEWORK%202015%20WEB_VERSION.pdf.
[14] CNUCED. (2015, juin). Rapport 2015 sur l’investissement dans le monde, p. 108. Tiré de http://unctad.org/en/PublicationsLibrary/wir2015_en.pdf
[15] Id., page 108.