La majorité d’un tribunal du CIRDI ne reconnait pas de violation du traitement juste et équitable par l’Albanie dans un différend pétrolier

Mamidoil Jetoil Greek Petroleum Products Societe S.A. c. la République d’Albanie, Affaire CIRDI n° ARB/11/24

Un arbitrage entre une entreprise grecque de produits pétroliers et la République d’Albanie a atteint l’étape de la sentence au Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI). Le tribunal du CIRDI a établi sa compétence au titre du traité bilatéral d’investissement (TBI) Grèce-Albanie de 1991.

Le tribunal a rejeté à l’unanimité le recours de l’investisseur portant sur une prétendue expropriation indirecte. La majorité du tribunal a rejeté le recours de l’investisseur portant sur le fait que l’Albanie ne lui avait pas offert un traitement juste et équitable (TJE) ; cependant, l’arbitre nommé par le demandeur a considéré que la conduite de l’Albanie violait la norme TJE.

Le contexte

Mamidoil Jetoil Greek Petroleum Products Societe S.A. (Mamidoil) est une entreprise créée et fonctionnant au titre du droit grec. Dès 1991, Mamidoil a exploré différentes opportunités commerciales en Albanie liées à ses activités principales : le transport, le stockage et la vente de produits pétroliers.

Mamidoil a finalement décidé de construire et de gérer un parc de réservoirs de mazout dans la région du port de Durrës (le parc de Durrës), ce qui l’a incité à réaliser une série d’investissements de plus en plus importants en 1999 et 2000. Pendant cette période, les agents gouvernementaux locaux ont adressé divers courriers liés au fait que Mamidoil n’avait pas obtenu les permis nécessaires. Le parc de réservoirs de Durrës se situe près d’une zone résidentielle.

En 2000, le demandeur avait achevé la construction de la majeure partie du parc de réservoirs de Durrës. Par la suite, des inquiétudes se sont fait entendre quant aux incidences sociales du parc de réservoirs, et le gouvernement albanais, en tandem avec la Banque mondiale et l’Union européenne, a adopté des propositions de modifications du zonage forçant la délocalisation du parc. L’Albanie soutenait que l’interdiction ultérieure des navires pétroliers à Durrës faisait partie de sa stratégie à long-terme pour le secteur du transport et de la modernisation nécessaire du système portuaire.

Mamidoil affirmait que l’Albanie l’avait encouragé à investir dans le pays. L’Albanie n’a pas nié avoir apporté un certain soutien à Mamidoil, mais rétorqua que celui-ci était purement provisoire et apporté au plus haut niveau du gouvernement.

Les activités commerciales sont considérées comme un investissement unique aux fins de la compétence

L’Albanie arguait que « les différents éléments de l’investissement formaient un tout qui devait être examiné conjointement » (para. 364). Le tribunal admit que la construction du parc de réservoirs de Durrës, l’établissement d’une filiale albanaise d’abord contrôlée puis intégralement détenue par le demandeur, la conclusion d’un bail et l’exploitation du parc de Durrës par la filiale devaient être considérés comme constituant un investissement unique.

Si le tribunal convint avec l’Albanie que l’investissement devait être considéré comme un tout, il ne fut pas convaincu par l’argument selon lequel certains éléments de l’investissement ne remplissaient pas les critères d’un investissement couvert par la Convention du CIRDI. Il considéra plutôt que les activités commerciales de l’investisseur constituaient un investissement au titre de la Convention du CIRDI.

L’Albanie objecta également arguant que l’investisseur était dans l’illégalité puisqu’il n’avait pas réussi à obtenir les permis requis. Le tribunal considéra que cet argument était plus pertinent pour la phase de l’examen quant au fond : puisque l’Albanie avait informé l’investisseur du fait qu’elle était disposée à envisager de régler ces illégalités, l’on pourrait attendre du tribunal qu’il établisse sa compétence. (Toutefois la majorité a ensuite déterminé que sans ces permis, l’investisseur ne pouvait avoir d’attente légitime à poursuivre son investissement et que le recours pour violation du TJE, entre autres, devait être rejeté.)

Le Traité sur la Charte de l’énergie invoqué pendant l’étape des actes de procédure

Dans sa demande d’arbitrage, le demandeur a fondé son recours exclusivement sur le TBI et la Convention du CIRDI. Toutefois, le mémoire du demandeur affirmait par la suite que le consentement du défendeur à l’arbitrage du différend par le CIRDI se trouvait également dans le Traité sur la Charte de l’énergie (TCE).

Le tribunal rejeta le TCE comme source de droit applicable, mais tint compte du désaccord légitime entre les parties sur le fait de savoir si l’investissement avait été réalisé de manière illégale et ne pouvait donc pas bénéficier de la protection du TCE. Pour conclure sur ce point, le tribunal nota que « dans la mesure où les deux Parties ont pris position quant à la bienséance de la conduite du défendeur au titre du TCE, pour cette seule raison le Tribunal examinera le TCE lorsqu’il s’interrogera sur l’existence et la légalité d’un investissement au titre du TBI et du TCE, ainsi que sur le respect par le défendeur du TBI et du TCE » (para. 278).

Le recours pour expropriation indirecte est rejeté à l’unanimité

Le demandeur avançait que l’Albanie avait indirectement exproprié son investissement tant au titre du TBI qu’au titre du TCE. Il se fondait sur les points clés suivants : en juin 2000, Durrës a fait l’objet d’un nouveau zonage afin d’exclure l’investissement ; en juillet 2000, l’investisseur a reçu l’ordre de suspendre la construction du parc de réservoirs, qui a ensuite été autorisée de nouveau ; et, dès juillet 2009, l’accès au port de Durrës a été interdit aux navires pétroliers.

Le tribunal n’était pas d’accord ; il considéra que le nouveau zonage relevait de la politique du transport et que, de toute façon, le demandeur n’avait été autorisé à exploiter le port à des fins commerciales avant sa fermeture aux navires pétroliers en 2009. Il souligna que « les réglementations qui réduisent la rentabilité d’un investissement sans toutefois le clore complètement en en laissant le contrôle à l’investisseur ne pouvaient généralement pas être considérées comme des expropriations indirectes » (para. 572), faisant référence à l’affaire El Paso c. Argentine.

La majorité rejette les recours fondés sur le TJE et la discrimination

La majorité du tribunal (Rolf Knieper et Yas Banifatemi) nota que l’histoire récente de l’Albanie – « un régime communiste très répressif et isolationniste » suivi d’ « une crise financière et économique majeure » (para. 625) – était pertinente pour examiner l’obligation TJE au titre du TBI, notamment l’obligation de fournir un cadre juridique stable et transparent. Pour la majorité, Mamidoil savait que l’Albanie était un pays aux infrastructures délabrées et au cadre juridique et réglementaire problématique, et que l’on ne pouvait donc pas y attendre la même stabilité que dans d’autres juridictions.

S’agissant des mesures déraisonnables et discriminatoires, pour la majorité, « la conduite de l’État avait un lien raisonnable avec une politique rationnelle. […] Finalement, la fermeture de l’accès au port aux navires pétroliers n’a pas favorisé de compétiteur local puisqu’elle concernait tous les importateurs de produits pétroliers » (para. 791).

L’arbitre à l’opinion divergente détermine qu’il y a EU violation de la norme TJE

L’arbitre dissident (Stephen Hammond) n’était pas d’accord avec la conclusion de la majorité selon laquelle l’Albanie avait offert à l’investisseur un traitement juste et équitable. Son opinion s’opposait à la majorité sur plusieurs décisions factuelles de la sentence, par exemple sur le fait que le demandeur était conscient de la transformation imminente du port au moment de lancer la construction du parc de réservoirs.

Son opinion s’opposait également aux incidences juridiques de la poursuite de la construction après notification du nouveau zonage imminent. Citant la sentence de l’affaire MTD c. le Chili, l’arbitre suggérait qu’il s’agissait d’un simple manquement à l’obligation d’atténuation, et que cela ne pouvait entrainer une confiscation des droits conférés au titre du traité. S’agissant notamment des attentes légitimes, l’arbitre dissident décida que le moment opportun pour déterminer si des attentes légitimes avaient été créées était le moment où la décision d’investir avait été prise.

L’arbitre dissident détermine qu’il y a eu violation de l’interdiction de prendre des mesures déraisonnables ou discriminatoires au titre de la Charte sur l’énergie

L’arbitre dissident détermina que l’interdiction pour les navires pétroliers d’accéder au port de Durrës appliquée par l’Albanie entrainait un refus d’accorder le traitement juste et équitable, et constituait une violation de l’interdiction de prendre des mesures déraisonnables ou discriminatoires au titre de la Charte sur l’énergie. Si l’Albanie avançait que sa décision d’interdire l’accès aux navires pétroliers au port de Durrës se fondait sur des considérations de politique publique, Mamidoil contra qu’elle se fondait plutôt sur la nécessité de régler un autre différend, cette fois au titre d’un contrat à la Chambre de commerce internationale de Paris. M. Hammond convint que les documents disponibles montraient que l’interdiction résultait de l’accord de règlement de l’Albanie. (La majorité indiquait dans la sentence que l’accord de règlement réaffirmait les objectifs politiques du gouvernement.


Remarques

Le tribunal était composé de Rolf Knieper (président, nommé par le président du conseil administratif du CIRDI, de nationalité allemande), de Stephen A. Hammond (nommé par le demandeur, de nationalité étasunienne) et de Yas Banifatemi (nommée par le défendeur, de nationalité française). La décision finale du 20 mars 2015 est disponible sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw4228.pdf. L’opinion divergente du 20 mars 2015 est disponible sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw4235.pdf.


Auteur

Matthew Levine est avocat au Canada et contributeur du programme Investissement étranger et développement durable de l’IISD.

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