Un tribunal de la CNUDCI reconnait un déni de justice de la part des tribunaux indonésiens, mais rejette la demande de dommage et intérêt du demandeur pour cause de méconduite
Hesham T. M. Al Warraq c. la République d’Indonésie, CNUDCI
Dans une décision du 15 décembre 2014, un tribunal de la CNUDCI a reconnu un déni de justice dans les procédures pénales indonésiennes par contumace contre Hesham T. M. Al Warraq, un citoyen saoudien.
Bien qu’elle ait déterminé que l’Indonésie avait violé ses obligations de traitement juste et équitable (TJE) au titre de l’accord d’investissement de l’Organisation de la Conférence islamique (l’Accord de l’OCI), la majorité du tribunal jugea que le recours de Warraq pour expropriation n’était pas recevable car il avait violé son obligation de respecter les lois indonésiennes au titre de l’Accord de l’OCI. Le tribunal rejeta les demandes reconventionnelles de l’Indonésie sur le fond, et ordonna aux parties de payer leurs propres frais juridiques et de se partager les coûts de l’arbitrage.
Le contexte
En 2004, Warraq est devenu le seul actionnaire de First Gulf Asia Holdings Limited (FGAH), une entreprise des Bahamas qui avait acquis des parts dans trois banques indonésiennes qui ont plus tard fusionné pour former Bank Century. Au moment de l’arbitrage, FGAH détenait des parts dans Bank Century à hauteur d’environ 14 millions USD.
En octobre 2008, Bank Century connu des problèmes de liquidités. Warraq, en tant qu’actionnaire majoritaire, et d’autres actionnaires signèrent une lettre d’engagement auprès de Bank Indonesia, la banque centrale indonésienne, pour réaliser des stratégies de redressement. En novembre 2008, Bank Century a demandé un soutien de trésorerie à Bank Indonesia, qui a approuvé le renflouement de Bank Century et a placé la banque sous « surveillance spéciale », puis sous administration de l’agence indonésienne de garantie des dépôts bancaires.
Plusieurs enquêtes ont été lancées pour examiner les recours publics portant sur la légalité du sauvetage financier. Bank Indonesia dénonça Warraq à la police nationale pour irrégularités bancaires. Warraq et d’autres ont alors fait l’objet d’une enquête pénale portant sur l’effondrement de Bank Century. Un mandat pour l’arrestation de Warraq a été émis en décembre 2008, et en mars 2010, il a été accusé de fraude bancaire, de mauvaise gestion et de transfert illégal de fonds bancaires. Il ne s’est pas rendu dans le pays pour les procédures, craignant de ne pas recevoir un procès équitable. Son procès a été mené en son absence, il a été reconnu coupable de plusieurs crimes le 16 décembre 2010, et environ 230 000 USD ont été saisis sur ses actifs. Warraq a lancé l’arbitrage le 1er août 2011.
Warraq est reconnu comme « investisseur » au titre de l’Accord de l’OCI
Warraq arguait que, puisqu’il détenait FGAH et était citoyen saoudien, il pouvait être considéré comme un investisseur, tandis que l’Indonésie avançait que l’Accord de l’OCI ne protège que les « investissements directs ». Considérant que l’Accord de l’OCI n’exige pas explicitement des investisseurs qu’ils détiennent directement un capital, le tribunal convint que Warraq pouvait être considéré comme un investisseur « grâce à sa propriété indirecte de Bank Century par le biais de FGAH » (para. 517).
Le tribunal rejette l’argument selon lequel le sauvetage de 2008 constituait une expropriation
Le tribunal a ensuite examiné l’argument selon lequel le sauvetage financier de Bank Century par Bank Indonesia et la participation passive subséquente de celle-ci dans Bank Century équivalait à une expropriation de l’investissement de Warraq. Se rangeant du côté de l’Indonésie, le tribunal considéra que Warraq avait pleinement connaissance des termes du sauvetage et les avait acceptés, et maintenait le contrôle des parts qu’il détenait avant le sauvetage. Le tribunal considéra ensuite que l’Indonésie avait toute discrétion et autorité pour lancer une procédure de sauvetage financier.
Bank Indonesia n’a pas été négligente dans sa supervision de Bank Century
Warraq arguait que la supervision négligente de Bank Century par Bank Indonesia équivalait à une expropriation. Soutenu par la déclaration de l’expert indonésien selon laquelle les lacunes dans la supervision n’atteignaient pas le niveau de la négligence, le tribunal rejeta cet argument, considérant que Bank Indonesia avait « fait preuve de suffisamment de diligence dans ses activités de supervision » (para. 538).
Les recours fondés sur les attentes légitimes et sur la sécurité et la protection adéquates sont rejetés
Warraq a formulé un recours fondé sur ses attentes légitimes relatives à la supervision de Bank Century par Bank Indonesia. Le tribunal a rejeté ce recours déclarant que le devoir fondamental de diligence de Bank Indonesia était envers les déposants, et non envers les investisseurs de portefeuille tels que Warraq.
Il rejeta également le recours selon lequel l’Indonésie avait violé son obligation de fournir « une sécurité et protection adéquates » pendant le sauvetage et la supervision de Bank Century. Le tribunal affirma que le pays hôte n’avait que l’obligation de fournir « une mesure raisonnable de protection, qu’un gouvernement bien géré serait tenu de fournir dans des circonstances similaires » (para. 635), et que l’Indonésie avait respecté cette obligation.
Finalement, il rejeta le recours de Warraq selon lequel l’Indonésie avait violé cette obligation de fournir une sécurité et protection adéquates en violant ses droits à un procès équitable, car il considéra que cette protection ne s’appliquait qu’aux « investissements » et non pas aux « investisseurs ».
Le tribunal rejette l’argument selon lequel l’Accord de l’OCI donne à l’investisseur le droit à un procès équitable
L’article 10 de l’Accord de l’OCI précise les « droits élémentaires » des investisseurs. Le demandeur argua que cela incluait les « droits fondamentaux » et les « droits humains, civils et politiques codifiés dans le droit international » (para. 519), y compris le droit à un procès équitable au titre de l’article 14 du Pacte international sur les droits civils et politiques (PIDCP).
Le tribunal détermina que ces « droits élémentaires » faisaient référence aux « droits de propriété de base » liés à la propriété, à l’utilisation, au contrôle et à la jouissance de l’investissement. Il remarqua toutefois qu’il réexaminerait la question lors de l’examen du recours fondé sur le TJE.
La disposition TJE importée grâce à la clause NPF
Bien que l’Accord de l’OCI contienne une disposition TJE, Warraq a cherché à importer l’obligation TJE contenue dans le TBI Royaume-Uni-Indonésie en invoquant la clause de la Nation la plus favorisée (NPF) contenue dans l’Accord de l’OCI. L’Indonésie rétorqua que la disposition NPF ne s’appliquait que dans le contexte de la même activité économique et que les deux traités abordaient des activités différentes. Le tribunal importa la clause TJE, considérant que l’objet et le but de l’Accord de l’OCI, tel que souligné dans le préambule, était la promotion et la protection des investissements, qui confèrent un large éventail de droits aux investisseurs.
Le TJE et le PIDCP
Le tribunal souligna que les États n’ont aucune obligation au titre du droit international de fournir un « système juridique parfait, mais [ont l’obligation] de fournir un système juridique où les erreurs majeures sont évitées ou réparées » (para. 620). Il souligna que les critères pour déterminer un déni de justice étaient élevés et déclara qu’un déni de justice constitue une violation de la norme TJE. Selon le tribunal, le PIDCP était un outil pertinent pour mesurer le degré de conformité des tribunaux indonésiens aux normes internationales relatives à la régularité de la procédure, et pour déterminer s’il y avait EU ou non déni de justice. Pour ce faire, et sans s’attarder sur les éléments de la norme TJE elle-même, le tribunal se basa largement sur le PIDCP, qu’il interpréta comme contenant des obligations juridiquement contraignantes pour l’Indonésie en tant qu’État partie. Il détermina également que, au-delà des dispositions explicites, le PIDCP incluait un principe général contraignant de « bonne foi » pour les États.
Le tribunal affirma que « toute personne accusée d’un délit pénal dispose d’un droit fondamental sans restriction à être présent lors de son procès et à se défendre » au titre du PIDCP (para. 564), mais considéra qu’un procès par contumace ne constituait pas une violation systématique du PIDCP. Il considéra que Warraq n’avait pas été correctement informé des accusations pénales ou de sa condamnation, n’avait pas été interrogé comme suspect, et avait été empêché de nommer un représentant juridique lors de son procès et pendant la procédure d’appel. Aussi, l’Indonésie n’avait pas respecté les mesures fondamentales de sauvegarde établies dans le PIDCP, ce qui constitue un déni de justice en violation du PIDCP.
Le tribunal rejeta les recours de Warraq selon lequel les prétendues demandes de pots-de-vin de la part de représentants indonésiens constituaient une violation du TJE, avançant à la fois un manque de preuves, et un manque de lien entre la supposée conduite de l’État et la dépossession de son investissement.
La violation de l’Accord de l’OCI par le demandeur rend le recours relatif aux dommages irrecevable
L’article 9 de l’Accord de l’OCI exige explicitement des investisseurs qu’ils respectent certaines normes et s’abstiennent de mener des activités illégales.
Le tribunal considéra que Warraq avait commis six types de fraude bancaire et violé son obligation au titre de l’article 9 de ne pas agir de manière « préjudiciable à l’intérêt public » en n’étant pas pleinement conscient de ses obligations au titre du droit indonésien, en tant que membre unique du conseil d’administration de Bank Century.
Invoquant la doctrine des mains sales, la majorité du tribunal considéra que, compte tenu de la violation du droit indonésien par Warraq, il s’était privé de la protection offerte par l’Accord de l’OCI, et que sa demande relative aux dommages était irrecevable. L’un des arbitres n’était pas d’accord puisque, selon lui, les illégalités de l’action de Warraq n’étaient pas liées à l’acquisition de son investissement. Il affirma que Warraq avait droit au remboursement des frais juridiques engagés en lien avec sa condamnation abusive.
Le tribunal affirma sa compétence sur les demandes reconventionnelles, mais les rejeta toutes sur le fond
Au titre d’une autorisation spécifique de l’Accord de l’OCI, le tribunal affirma sa compétence sur les demandes reconventionnelles de l’Indonésie portant sur les fraudes bancaires supposées commises par Warraq. Bien que ces demandes reconventionnelles fussent étroitement liées à l’investissement ainsi qu’aux recours portant sur le sauvetage financier de la banque, elles n’ont pas dépassé l’étape de l’examen quant au fond car l’Indonésie n’a pas réussi à identifier la responsabilité personnelle de Warraq vis-à-vis de toutes les autres personnes et organisations non parties à l’arbitrage.
Remarques : Le tribunal était composé de Bernardo M. Cremades (président nommé sur accord des coarbitres), de Michael Hwang (nommé par le demandeur), et de Fali S. Nariman (nommé par le défendeur). La décision est disponible sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw4164.pdf.
Marquita Davis est « Geneva International Fellow » de la Faculté de droit de l’Université de Michigan et stagiaire auprès du programme Investissement étranger et développement durable à l’IISD.